L’ensemble des acteurs du secteur de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion (AHI), parmi lesquels la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Emmaüs Solidarité, l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) et la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), ont récemment adressé un courrier au Premier ministre. Dans cette lettre ouverte, rendue publique le 9 mars, ils lui demandent de revenir sur la réforme de la tarification des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Portée par le ministère de la Cohésion des territoires, elle vise à faire économiser à l’Etat 54 millions d’euros en quatre ans, dont 20 millions dès cette année.
Ce plan n’est pas nouveau. Dès l’automne, il avait fait l’objet d’une information des acteurs du secteur, lesquels avaient fait part de leurs critiques et de leurs vives inquiétudes. Les acteurs de l’AHI redoutent la mise en place par voie réglementaire de tarifs plafonds de financement par les pouvoirs publics. Ces tarifs journaliers seront calculés à partir de moyennes réalisées sur la base de recueils de données remplis chaque année par les établissements. Les CHRS dont les tarifs seront supérieurs aux tarifs plafonds devront réduire leurs dépenses pour équilibrer leurs comptes. « Appliquée brutalement, cette mesure pourrait conduire à la fermeture de plus d’un millier de places d’hébergement et à la suppression de plusieurs centaines de postes d’intervenants sociaux qui travaillent quotidiennement auprès des plus exclus », craignent les associations.
Selon elles, ce plan est « en contradiction avec les objectifs fixés par le président de la République » dans le cadre du plan « Logement d’abord », dont le but affiché est l’accès et le maintien dans le logement des personnes sans domicile. « Nous ne comprenons pas cette mesure qui privilégie les hôtels et les centres d’hébergement d’urgence dans lesquels l’insuffisance de l’accompagnement limite fortement les possibilités d’insertion des personnes hébergées », écrivent les associations. En outre, soulignent-elles, « l’application mécanique d’un tarif plafond est contradictoire avec la démarche de contractualisation pluriannuelle d’objectifs et de moyens [CPOM] qui peut et doit permettre, si elle est bien conduite, d’assurer la prise en compte de projets d’établissement dynamiques et de préserver les capacités d’innovation sociale ». La mise en œuvre des CPOM est en effet au menu du projet de loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN). Enfin, concrètement, les CHRS ne connaissent pas encore les tarifs plafonds qui leur seront appliqués pour l’année 2018. Or, leurs budgets pour cet exercice sont déjà arrêtés, et « sur d’autres bases ». Par conséquent, indiquent les associations, « les économies imposées porteront uniquement sur la fin de l’année 2018 et seront donc beaucoup plus abruptes et dès lors difficilement atteignables ».
Lundi 12 mars, les signataires ont été reçus par le cabinet de Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires. Les associations ont demandé un moratoire afin que soient mesurées les conséquences de ces restrictions. « Car aucune évaluation d’impact n’a précédé cette décision », rappelle Florent Gueguen, directeur général de la FAS. « Nous ne sommes pas parvenus à les convaincre de suspendre cette mesure d’économie », regrette-t-il.
Le ministère a soumis aux associations présentes plusieurs hypothèses de mise en œuvre de la mesure. L’une ferait porter tout l’effort sur les établissements dépassant les plafonds qui vont être fixés. L’autre répartirait un peu plus largement l’effort entre les CHRS contraints à une convergence tarifaire à la baisse et les autres. « Nous ne nous prononcerons pas sur les modalités de cette mesure d’économies, à laquelle nous sommes opposés. Que le gouvernement assume son choix jusqu’au bout ! Quoi qu’il en soit, il y aura des suppressions d’emplois et de places dans les CHRS », prévient Florent Gueguen. Le ministère envisage par ailleurs une application dérogatoire de la mesure pour les CHRS de l’outre-mer, dont les tarifs journaliers sont aujourd’hui largement supérieurs à la moyenne, afin d’en réduire un peu l’impact.
Seul point de satisfaction, le ministère s’est engagé à ce que le crédit d’impôt attribué cette année encore aux établissements ne soit pas pris en compte dans le calcul de leurs budgets annuels, afin qu’ils puissent en garder le bénéfice une fois la mesure d’économie appliquée. « Nous avons demandé que cet engagement soit écrit », précise le directeur de la FAS.