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Sur le chemin de l’école

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Lancées en 2014, les unités d’enseignement en maternelle accueillent les enfants de 3 à 6 ans atteints de troubles autistiques. Enseignants et professionnels médico-sociaux y travaillent de concert pour ramener leurs élèves vers un parcours scolaire ordinaire. Ouverte en 2015 au sein d’une école classique, celle de Saintes, en Charente-Maritime, offre à ses huit élèves autistes un suivi très personnalisé. Une expérience porteuse d’espoir.

« C’est la meilleure école que l’on puisse avoir », souffle Caroline Laudas, mère de la petite Lucia. Autiste, sa fille de 5 ans a rejoint en septembre dernier l’unité d’enseignement en maternelle (UEM) de Saintes, en Charente-Maritime. Installée dans les locaux de l’école maternelle Emile-Combes, en milieu scolaire ordinaire, cette classe d’un genre nouveau accueille huit enfants de 3 à 6 ans atteints de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Ces petits y côtoient leurs camarades du même âge et bénéficient tout à la fois d’interventions pédagogiques, éducatives et thérapeutiques. Celles-ci sont dispensées par une équipe de dix personnes qui associe une institutrice, une auxiliaire de vie scolaire (AVS) de l’Education nationale et des professionnels médico-sociaux (éducateurs spécialisés, psychologue, psychomotricienne, orthophoniste).

L’UEM de Charente-Maritime a vu le jour en septembre 2015 grâce à un partenariat entre l’Education nationale, l’Association départementale pour l’éducation et l’insertion (ADEI), l’institut médico-éducatif (IME) local et l’agglomération de Saintes. « Nous avons essuyé les plâtres », se souvient Nicolas Machet, aide médico-psychologique devenu entre-temps éducateur spécialisé. L’équipe avait alors hérité d’une pièce vide, de cinq premiers élèves et d’un projet novateur à bâtir. Les professionnels ont dû apprendre à travailler ensemble, à croiser leurs disciplines. « Il nous a fallu du temps pour prendre nos marques. Mais nous avons aujourd’hui développé des automatismes », assure Nicolas Machet.

L’enjeu du « décodeur »

Clé de voûte du dispositif, c’est l’enseignant spécialisé qui « donne le ton » dans chaque UEM. Marie Durand a pris les rênes de l’unité saintaise en septembre, après avoir travaillé trois ans auprès de publics handicapés. « Les emplois du temps de nos élèves sont à peu près identiques à ceux des autres classes de maternelle, détaille l’enseignante. Seuls les temps collectifs sont moins nombreux, c’est ce qui pose problème aux enfants autistes. » Les apprentissages sont ici hyper-individualisés. Chaque élève dispose de son espace de travail personnalisé avec sa photo, son emploi du temps ainsi qu’une horloge et un sablier, indispensables pour rythmer les phases de travail et de loisirs. L’équipe multiplie au quotidien les temps « un pour un », soit un adulte pour un enfant. Face à la maîtresse, ce matin-là : Léon, 4 ans. « Où sont les carottes ? Tu rêvasses ! », lance Marie Durand. A deux pas, Yann maîtrise mieux l’exercice : un jeu de loto. Ces deux élèves du même âge ne verbalisent pas. « Ils ne comprennent pas forcément ce qu’on leur demande, ils n’y voient parfois aucun sens. »

Psychologue de l’UEM, Nathalie Colas use d’une image pour décrire leurs troubles autistiques : celle d’étrangers venus d’un pays lointain dont nous ne connaîtrions ni la langue, ni l’histoire, ni la culture. L’équipe n’a pas toujours le « décodeur » et doit sans cesse s’adapter. Le travail portera pour certains sur leurs angoisses, pour d’autres sur leurs habiletés sociales. Des élèves devront développer la propreté ou leur motricité, quand d’autres apprendront à compter et dénombrer. Les disparités, réelles, obligent Marie Durand à composer. « Je m’appuie sur le programme de l’Education nationale et l’adapte à chacun enfant, précise-t-elle. Mon rôle est de les rendre autonomes, c’est aussi ce qui est le plus compliqué. » Pour autant, la progression s’avère spectaculaire chez la plupart des enfants.

« Yann, par exemple, ne soutenait pas les regards à son arrivée. Il pouvait passer sa journée seul, à l’écart, avance Maryline Gavaud, une éducatrice spécialisée. Puis il nous tapait parce qu’il ne comprenait pas ou qu’il n’était pas d’accord. » Depuis, Yann a appris la patience et réagit bien, désormais, aux astuces déployées par l’équipe pour le motiver. Ainsi, les autistes peinant à se concentrer, les éducateurs utilisent des « renforçateurs », des objets anodins, pour susciter leur intérêt. Ça peut être un jouet, une comptine, un gâteau ou, dans le cas de Yann, de la pâte à modeler. « Nous en avons discuté avec les familles, pour savoir ce qu’ils aiment, leurs centres d’intérêt », explique la psychologue. Plus les élèves progressent, moins l’équipe utilise ces « renforçateurs ». Autre règle de l’UEM : s’ils réussissent trois fois de suite un même exercice auprès de trois personnes différentes et « sans guidance physique ou verbale », ils peuvent alors passer à autre chose. L’enjeu est ici de leur apprendre à « généraliser », à reproduire leurs gestes quel que soit le contexte.

Lylian est « sorti de sa bulle »

Pour évaluer le travail et les progrès des élèves, l’équipe de l’UEM consigne méthodiquement leurs moindres faits et gestes dans des classeurs individuels. Elle se réunit toutes les semaines et échange en permanence avec les parents – de précieux partenaires pour comprendre ce qui fonctionne ou non… « Je les rencontre aussi toutes les sept ou huit semaines pour faire un point et présenter les prochaines séances de travail », ajoute la professeure des écoles. Si besoin, la psychologue leur propose également du soutien et de la guidance parentale, en collaboration avec l’un des éducateurs spécialisés. « Ils questionnent beaucoup le diagnostic posé sur leurs enfants, résume Nathalie Colas. Certains ne veulent pas voir, d’autres sont dans la revendication vis-à-vis des institutions. »

Tous s’accordent pourtant sur les bénéfices des UEM, « un cadeau du ciel », selon Caroline Laudas. Les TSA de sa fille Lucia ont été diagnostiqués en septembre 2016. Jusque-là, cette mère se heurtait aux comportements inexpliqués de son enfant, seule face aux remarques de son entourage et à la culpabilité qui en découle. « Lucia ne parlait pas, elle ne gérait pas ses émotions, décrit Caroline Laudas. Aujourd’hui, je communique avec ma fille comme avec n’importe quel autre enfant. » En l’espace de quatre mois, la petite fille a récupéré le niveau de moyenne section. Une victoire qui amène chaque jour Lucia à franchir le couloir de l’école pour « des temps d’inclusion » dans une classe ordinaire, « avec une autre maîtresse ». Durant une heure, elle partage ainsi le quotidien des enfants de son âge. « Et ça va augmenter, assure Marie Durand. L’inclusion reste le meilleur moyen pour savoir si un retour en classe ordinaire est envisageable. » Elle est aussi, plus largement, « l’objectif commun [fixé] à tous les acteurs » des UEM par le gouvernement.

Pour Lucia, les chants et comptines s’enchaînent. Intimidée, la petite observe et reprend les paroles avec de grands yeux rieurs. Parmi la vingtaine d’enfants assis en cercle se trouve aussi Ethan, l’un des premiers élèves à avoir intégré l’UEM en 2015. Depuis, ses progrès lui ont permis d’inclure un parcours classique. La classe de CP voisine accueille Lylian, accompagné de Coralie Fontaine, AVS. Lui aussi est passé par l’unité d’enseignement saintaise. « Il n’écoutait rien ni personne, se rappelle son père, Benjamin Marchant. On ne pouvait capter son regard. Avec l’UEM, on a vu notre garçon progresser de façon formidable en moins de six mois. Et désormais il vient nous demander des câlins. Jusque-là, on faisait des câlins à son corps. Son esprit n’était pas là… » Depuis, Lylian est « sorti de sa bulle, il exprime des sentiments ». Désemparé face à son fils, Benjamin Marchant cherchait surtout « des clés pour apprendre à le gérer ». « Nous ne nous attendions pas à le voir intégrer si vite un parcours ordinaire. L’UEM a été un tournant dans sa vie, sourit-il. Désormais, notre fils a un avenir. »

L’UEM ne convient pourtant pas à tous les enfants. L’un d’entre eux ne trouve « aucun intérêt » à l’école, à l’apprentissage. A tenter l’impossible, l’équipe redoute « une forme de maltraitance ». Les temps d’inclusion, ingérables, ont été arrêtés. « L’école aura-t-elle du sens pour ces enfants-là ? interroge l’institutrice. Sa place est peut-être plus en IME » (institut médico-éducatif). Plus âgé, un autre garçon régresse au contact des plus jeunes. « Il imite. Du coup, son langage s’amoindrit », résume Nicolas Machet. Une orientation dans une unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) serait plus appropriée. Ces possibilités s’avèrent parfois difficiles à entendre pour les familles. « Elles mettent beaucoup d’espoir dans cette classe et le retour à une scolarité ordinaire, confirme Maryline Gavaud. Il faut trouver les mots, convaincre sans rien imposer. » Pour chaque orientation, l’éducatrice spécialisée et le reste de l’équipe s’efforcent de préparer le terrain, de visiter les futurs lieux d’accueil de leurs élèves. « Les parents craignent les changements, les séparations et les nouvelles structures qui les ramènent chaque fois au handicap de leurs enfants », explique-t-elle. Autre source d’inquiétude, selon Nicolas Machet : le manque de places pour ces enfants autistes, notamment dans les IME.

Tous les matins, Marie Durand entame la journée par des chants. Chaque enfant choisit une comptine reprise en chœur par le groupe. Les petits sont guidés, aidés, le but étant de favoriser les interactions et l’imitation. La professeure des écoles travaille ensuite les jours et mois du calendrier avec les plus grands. « Il est où, mon sabre laser ? « , s’impatiente Alan, obnubilé par les personnages de Star Wars. Marie Durand tente alors une ruse : « Tu l’auras après le travail. » Alan hésite, finit par épeler la date du jour avant d’hériter d’un long tube en carton. Victoire dans les deux camps.

Une intégration réussie

Lucia, elle, a rejoint la psychomotricienne. Catherine Pagerie reçoit individuellement les élèves de l’UEM une à deux fois par semaine. Elle travaille ici la motricité fine, le développement psychomoteur. Selon les niveaux, il s’agira d’apprendre à mieux se servir de ses mains pour viser l’autonomie, ou d’acquérir les prérequis pour l’apprentissage de la lecture ou de l’écriture. « Lucia ne connaissait pas les notions spatiales et temporelles », décrypte Catherine Pagerie. L’un des exercices consiste aujourd’hui à situer un personnage dans l’espace : un sans-faute. De retour en classe, Lucia s’exercera à tracer les lettres de son prénom avec l’aide d’une AVS. La motricité globale des élèves est, elle, travaillée en groupe tous les matins. Les tapis, cerceaux et ballons y servent de défoulions et permettent au passage de transmettre un enseignement de façon ludique.

Orthophoniste, Laure Jolly se rend également deux fois par semaine à l’UEM. Pierre angulaire du dispositif, elle travaille sur les retards massifs du langage. Certains élèves ne verbalisent pas encore et « n’en ressentent pas le besoin ». Un problème, pour ces jeunes autistes : « Puisqu’ils n’interagissent pas et n’imitent rien, ils n’apprennent rien », schématise Laure Jolly. Pour contourner cette difficulté majeure, les UEM utilisent le PECS (acronyme anglophone pour « Picture Exchange Communication System »). Cette méthode associe des images à des objets ou des actions. Les petits apprennent à les identifier et à les utiliser pour se faire comprendre. « Les parents sont associés au choix des pictogrammes et les utiliseront aussi, comme l’équipe de l’UEM. Les trois quarts du temps, cette méthode est mise en place en moins de deux semaines », garantit l’orthophoniste. Père de Yannis, 4 ans, Nacer Toualbia s’est emparé du PECS. « Je ne connaissais pas ce système. Il était très difficile de dialoguer avec mon fils. Depuis, il progresse », explique-t-il en pointant le manque d’information des familles avant que ne soit posé un diagnostic lié aux TSA.

A la maison, Yannis commence à jouer avec ses deux frère et sœur, « à s’intégrer ». Un cap décisif selon son père, qui guette désormais le prochain. « Le plus beau cadeau serait que mon fils me parle rapidement. Et qu’il souffle la bougie de son gâteau d’anniversaire en sachant que c’est le sien », lâche Nacer Toualbia. A l’école Emile-Combes, un « timer » retentit dans la salle de classe. C’est l’heure de la récréation pour les huit élèves de l’UEM. Ils en partagent une partie avec toutes les classes et déjeunent aussi, chaque midi, avec les autres enfants. Pris dans leur univers, Yann et Léon déambulent, seuls dans la cour et dans leur coin. Yannis s’essaie au tricycle. Lucia a retrouvé ses amies. Une chenille s’improvise, les rires et les cris fusent. La petite fille a été invitée à un anniversaire. L’équipe de l’UEM de Saintes sourit, enthousiaste : « Une première en trois ans ! »

Des unités d’élite

Les unités d’enseignement en maternelle (UEM) ont pour objet d’améliorer l’articulation entre les secteurs scolaire et médico-social par un travail conjoint, avec, en ligne de mire pour chaque enfant atteint de troubles autistiques, un retour rapide vers une scolarité « classique » ou, à défaut, une orientation plus adaptée à ses besoins. Les premières UEM ont été ouvertes en septembre 2014 et disposent toutes de sept ou huit places. L’ambition assignée par le gouvernement dans le cadre du troisième plan « autisme » lancé en 2013 était d’en compter, au minimum, une par département d’ici à la fin 2017 (un quatrième plan est attendu vers le début avril). Plus de 110 unités fonctionnent désormais, pour un budget annuel de 30,8 millions d’euros, sans compter le financement des postes d’enseignants. Actuellement, les enfants scolarisés en UEM représentent 10 % des autistes inscrits dans une école classique. Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de mai 2017, il s’agit d’enfants qui n’auraient pas été scolarisés en milieu ordinaire et qui représentent plus du double des enfants avec TSA des mêmes classes d’âge accueillis dans le médico-social.

L’autisme pour les « nuls »…

L’autisme est un trouble du neurodéveloppement qui se manifeste de façon précoce chez l’enfant. Les principaux symptômes en sont des interactions sociales limitées ainsi que des troubles de la communication et du comportement (intérêts restreints ou répétitifs). La notion de « troubles du spectre de l’autisme » (TSA) est aujourd’hui préférée au terme plus restrictif d’« autisme », car elle prend mieux en compte la diversité des profils. Celle de « troubles envahissants du développement » (TED) est également employée au plan international. En effet, les manifestations de l’autisme varient d’un enfant à l’autre, mais aussi, avec le temps, chez un même enfant. Les autistes ne partagent le plus souvent qu’un seul point commun : la difficulté à comprendre les codes sociaux et de communication. Au-delà, les troubles varient jusqu’aux cas les plus sévères (tels que l’absence de langage et d’intérêt pour les apprentissages). Les TSA sont d’origine multifactorielle, à la fois génétique et liée à l’environnement. Les causes restent ainsi largement méconnues. En France, les données manquent cruellement pour quantifier les TSA. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), la prévalence serait d’une personne sur 150. Les associations avancent une autre estimation : 1 naissance sur 100, voire plus. Près de 650 000 personnes seraient atteintes de TSA en France.

Reportage

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