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L’Etat prend des libertés

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Tant pour les majeurs que pour les mineurs isolés, le droit d’asile est mal appliqué en France. La faute à un manque d’information pour les demandeurs ou à une mauvaise foi de l’administration ? Pour les avocats du barreau de Paris, un peu les deux…

L’Etat français sait-il appliquer son propre droit d’asile ? Les avocats en doutent. Le 6 mars dernier, à deux pas du palais de justice de la capitale, le barreau de Paris organisait un colloque sur le sujet, plus sobrement intitulé « Le droit d’asile, un droit en danger ? « . Un événement d’actualité, quelques jours seulement après la présentation du très controversé projet de loi « asile et immigration » en Conseil des ministres(1).

« La France n’applique pas les exceptions de “Dublin III” », affirme Abderrazak Boudjelti, avocat et président de la commission des droits de l’Homme du barreau de Paris. Ce texte est la traduction juridique de la règle dite du « primo-arrivant ». Il établit un système de répartition des demandeurs d’asile entre les Etats de l’Union européenne, en déterminant une hiérarchie. Ce système est une option : l’Etat n’a en aucun cas l’obligation d’appliquer le règlement « Dublin III » et peut tout à fait choisir d’instruire la demande d’asile en son sein(2). L’Etat a ensuite six mois pour effectuer le transfert de la personne. Dans le cas contraire, il devient responsable de la demande d’asile. En cas d’emprisonnement du demandeur, ce délai peut être porté à 12 mois, et même jusqu’à 18 mois s’il existe un risque de fuite. « Il s’agit d’une toute petite ouverture que les autorités françaises vont utiliser de manière permanente », poursuit Abderrazak Boudjelti. En effet, la France définit la notion de fuite sans base législative mais uniquement sur une base réglementaire.

Une situation paradoxale

Une définition basée sur la notion de « coopération », qui a « permis d’accélérer la privation de liberté pour les demandeurs réguliers », complète l’avocat. Cette définition conduit à une situation paradoxale : les centres de rétention administrative sont remplis de personnes entrées régulièrement sur le territoire. De même, les procédures des droits étrangers sont mélangées : « La plupart des juges et l’administration appliquent la directive “retour”, qui n’a rien à voir avec “Dublin”. On applique la procédure de l’obligation de quitter le territoire français aux demandeurs d’asile qui sont dans le champ du règlement “Dublin” alors que ce sont deux choses différentes », s’indigne Abderrazak Boudjelti.

La procédure « Dublin » n’est pas applicable aux mineurs non accompagnés, très nombreux à Calais. Catherine Delanoë-Daoud, avocate au barreau de Paris, assiste comme elle peut ces réfugiés : « Manifestement, les mineurs n’ont pas d’information suffisante sur leur droit à demander l’asile. » Les enfants pensent qu’ils seront traités comme les adultes et que le fait de demander l’asile en France leur fait courir le risque d’être transférés dans un autre Etat membre de l’Union ou, au contraire, d’être bloqués en France et de ne pas pouvoir rejoindre leur famille. Ce n’est pas le cas, confirme Catherine Delanoë-Daoud : « La procédure “Dublin” ne s’applique pas à eux. On peut demander l’asile ici dans le but d’être transféré ou sans avoir peur de l’être. »

De très nombreux avocats travaillent, souvent gratuitement, pour donner des conseils à ces demandeurs d’asile, qu’ils soient majeurs ou mineurs. Un point du projet de loi a particulièrement inquiété Emmanuel Daoud, membre du conseil de l’ordre : « Le texte dit que des personnes en situation régulière pourront désormais être légalement placées en rétention. Il étend aussi la possibilité d’être placé en assignation à résidence. Avec la rétention, c’est plus facile pour nous de porter conseil, nous savons où ils sont. Mais l’assignation rendra cet exercice difficile… »

Une victoire à la Pyrrhus pour la Cimade

Dans un arrêt rendu le 5 mars dernier, le Conseil d’Etat a annulé la plupart des dispositions de l’instruction du 19 juillet 2017 relative à l’application du règlement dit « Dublin III ». Le texte prévoyait notamment le maintien préventif en rétention administrative des demandeurs d’asile. A La Cimade, on peine à crier victoire : « C’est effectivement une victoire à la Pyrrhus, soupire Rafael Flichman, porte-parole de l’association. On se demande si le Conseil d’Etat n’a pas délibérément fait traîner la procédure pour attendre la promulgation de la proposition de loi qui rend légales les dispositions de l’instruction. » En effet, le règlement « Dublin III » impose aux Etats membres de l’Union européenne une loi pour pouvoir placer les demandeurs d’asile « en fuite » en rétention administrative. La proposition de loi pour la bonne application du régime d’asile européen en question, et qui propose une définition très large de cette notion, a passé l’épreuve du Parlement, mais pas encore celle du Conseil constitutionnel. Les Sages devront rendre leur décision dans les prochains jours.

Notes

(1) Voir ASH n° 3049 du 23-02-18, p. 6.

(2) Art. 53-1 du règlement.

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