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Claude Jarry « Moins de places et plus de solutions »

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Pour le président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa), l’avenir est à une diversification des modes de prise en charge et à des solutions de maintien des personnes dépendantes au cœur de la ville.
L’émergence des EHPAD comme centres de ressources, comme plateformes ouvertes sur le territoire, pourrait-il être un moyen de résoudre la crise que traverse le secteur ?

Oui, même si poser la plateforme comme un moyen de faire face à la crise me rend triste. Mais c’est forcément dans de nouveaux modèles d’accompagnement qu’on trouvera la solution pour demain, aux confluents de contraintes économiques publiques, mais aussi de la difficulté pour certaines personnes âgées de financer leur accompagnement, ou parce qu’elles souhaitent rester à domicile. On a longtemps fonctionné avec des modèles où on voulait des places avec des combinaisons improbables et des coordinations inefficaces. J’aimerais qu’on parle moins de places et plus de solutions. Le modèle économique en serait une conséquence heureuse, mais pas la motivation première.

Quelles sont les solutions auxquelles vous faites référence ?

Luc Broussy [auteur, en 2013, du rapport interministériel sur l’adaptation de la société au vieillissement] parle d’écosystème favorable : des logements conçus pour des personnes à mobilité réduite, en cœur de cité pour faciliter les liens sociaux. Les personnes âgées isolées sont plus enclines à perdre de l’autonomie. La cité doit s’adapter pour qu’elles puissent accéder à ces lieux de vie.

Il faut pouvoir apporter des réponses graduelles en fonction des besoins, en développant une offre de services plus intégrée : c’est l’idée des services polyvalents d’aide et de soins à domicile, qui combinent les services de soins infirmiers à domicile et les services d’aide à domicile. Le fait d’avoir énormément d’opérateurs différents est un frein à certaines évolutions.

Vous êtes donc favorable aux résidences services seniors ?

Idéalement, ces structures de logement collectif ne devraient pas être exclusivement réservées aux seniors, mais mixer les populations. La résidence Guillaume-Apollinaire, au-dessus de Lyon, propose des appartement reliés entre eux par un téléphone interne, et la personne âgée qui ne peut plus acheter son pain peut demander de l’aide au voisin du dessous, ce qui favorise le contact, la solidarité entre les populations. Les solutions doivent être les plus normales possibles, et ne pas ghettoïser. C’est ce qui devrait guider notre approche. Les gens âgés n’ont pas vocation à être en marge de la société. Hier, ils étaient dans leur famille, et aujourd’hui on veut les mettre entre eux, mais ce n’est pas porteur.

Votre vision dépasse donc le cadre de la résidence ?

Cette question de société inclusive est une question de dignité. Il faut faciliter une forme de normalité qui fait de la personne âgée un concitoyen avec des singularités, mais qui reste un homme debout. Quand on n’organise pas le lien social naturel, ça se paie : on fait venir l’infirmier et le médecin plus que de raison, pour garder une relation à l’autre. Or, le soin ne doit pas être la porte d’entrée de la sociabilité.

Quelles autres évolutions sont nécessaires ?

Il faut adapter la société au phénomène du vieillissement. Les soins en direction des personnes âgées doivent être pensés comme tels et gradués. Le juste soin, c’est plus de prévention et moins de médicaments, et une offre supplétive de solutions graduées à la perte d’autonomie. L’EHPAD continuera d’exister, mais il faut repenser son modèle économique : il faudra plus de personnel, avec des profils différents (ergonomes, psychologues…) pour honorer les attentes légitimes des résidents. Egalement, l’aide sociale a tendance à transformer la personne âgée en mendiant dans la société, avec les tensions que cela peut créer dans la famille. Il faut réfléchir sur les minima sociaux, et donner la possibilité d’honorer les prix de journée, avec de l’allocation logement adaptée à la personne âgée en établissement. Dès qu’on gagne un peu d’argent, l’APL [aide personnalisée au logement] fond, et les couches moyennes sont atomisées, alors que les riches bénéficient de mesures fiscales. Il faut aussi se poser des questions en matière de financement des postes et d’aide à la pierre. Est-ce qu’il est normal que l’animatrice soit supportée par le tarif hébergement ? Est-ce qu’il est normal que, dans un hôpital, le directeur soit payé par la sécurité sociale, et par l’hébergement dans l’EHPAD ?

Quelle sera la place de l’intelligence artificielle (IA) dans l’EHPAD de demain ? Sous forme matérielle, qui pourrait être vécue comme une gêne par les résidents, ou immatérielle ? Pour assister ou remplacer le personnel soignant ?

L’IA va s’inviter dans les établissements comme dans le reste de la société. On n’est pas à la veille de supprimer des emplois au bénéfice des robots. En revanche, on pourrait maintenir des effectifs avec une valeur ajoutée en matière de lien social et d’accompagnement en libérant le personnel de certaines tâches. J’ai connu des EHPAD où il fallait plus d’une heure à deux personnes pour ouvrir les volets le matin. Aujourd’hui, il suffit d’appuyer sur un bouton, et on peut parler aux résidents en même temps. La nature de la relation est fondamentale, elle soigne les âmes en peine. Car des âmes en peine sont des corps qui vont potentiellement faillir, et donc des coûts sociétaux. S’agissant des robots, le système Paro(1) a présenté des vertus apaisantes sur les résidents, notamment ceux atteints de la maladie d’Alzheimer. J’étais dubitatif, mais c’est aussi efficace qu’un chat et c’est docile. Si le robot est assez élaboré et peut être en capacité de partager oralement avec une personne âgée, cela crée du lien. Attention, cependant, il y a une limite : les robots qui permettent d’aller chercher un objet ou de l’aide, ça va. Mais il ne faut pas que la déshumanisation fasse des personnes âgées des objets au même titre que les robots. On est encore loin de pouvoir remplacer le contact humain, la main qui se pose sur l’épaule, les nuances dans le regard, les échanges profonds, les émotions… L’introduction du robot ne doit pas être l’occasion de retirer du personnel, car les résidents feraient les frais d’une déshérence sociale.

Notes

(1) Paro est un robot socio-pédagogique ayant l’apparence d’un bébé phoque, utilisé en atelier d’animation et en thérapie relationnelle individuelle pour les malades atteints de troubles du comportement et de la communication.

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