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Le maquis des SAAD

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Le maquis des SAAD

Crédit photo Jonathan Blondelet
La suppression du CICE en 2019 serait, selon la Fédération française des entreprises de services à la personne et de proximité (Fedesap), un choc provoquant une chute de la rentabilité – déjà faible – d’un secteur dont la principale charge est constituée de la masse salariale. Une étude, réalisée à sa demande par un grand cabinet d’audit, démontre que la dynamique serait cassée alors que la demande explose et que les associations bénéficieraient d’un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises. La Fedesap propose cinq mesures pour revitaliser l’aide à domicile.

Spécialisés dans l’intervention auprès des publics fragiles (personnes âgées ou en situation de handicap), les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) ont connu une évolution exponentielle ces 20 dernières années. Leur poids dans le secteur des services d’aide à la personne (SAP) est passé de 15 % à 43 % entre 1998 et 2015, et près d’un million de ménages y ont recours. Pourtant, les entreprises commerciales prestataires de SAAD peinent à être rentables, en raison d’une clientèle dont le revenu disponible est inférieur à la moyenne des ménages français, et d’une activité qui requiert un fort besoin en main-d’œuvre. De fait, la masse salariale et les charges sociales représentent en moyenne 85 % de leur chiffre d’affaires (CA) pour l’année 2016.

Or, grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – la mesure phare du pacte de compétitivité lancé en 2014 par le Président Hollande dans le cadre de son virage social-libéral –, leur résultat net s’est hissé la même année à 1,6 % du chiffre d’affaires. Les opérateurs ont alors eu le vent en poupe et ont multiplié les ouvertures d’agences.

Oui, mais voilà, Emmanuel Macron a décidé de supprimer le CICE en 2019 et de le remplacer par une baisse pérenne des charges sociales, ce qui est a priori une bonne affaire pour tous. Mais c’est sans compter avec les effets pervers et les particularités du secteur des services d’aide à domicile. Comme toujours, le diable est dans les détails.

Selon une étude réalisée par le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers à la demande de la Fedesap, le résultat net des entreprises du secteur chuterait à 1 % du CA en 2018, puis à – 2,4 % en 2019 avec la suppression totale du CICE. Une perte sèche de 40 millions d’euros par an.

Pourquoi ? Comment ?

Selon la fédération, la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ne sera pas compensée par l’allégement des cotisations dans le cadre de l’allégement général dit régime « Fillon » (voir encadré page ?) puisque celui-ci ne s’applique pas aux services d’aide et d’accompagnement à domicile. Le régime n’est en effet pas compatible avec la réduction « aide à domicile », exonérant ces organismes de cotisations patronales d’assurances sociales (maladie, maternité, invalidité, vieillesse) et d’allocations familiales, qui permet de maintenir des salaires supérieurs au SMIC pour renforcer l’attractivité d’un secteur qui peine à recruter. Au-dessus du SMIC, donc, pas de compensation par abaissement de charges, « ce qui met en péril l’équilibre économique et la pérennité de la filière », selon la Fedesap.

« Les associations trustent le marché »

Le coup pourrait être rude. Mais la fédération – qui a plus d’un tour dans son SAAD – propose dans cette étude trois mesures alternatives pour garder le secteur des services d’aide et d’accompagnement à domicile à l’équilibre en compensant l’impact de la disparition du CICE.

→ Créer une « déduction forfaitaire des cotisations de 1 € par heure de SAAD prestée », pour un bénéfice chiffré par la Fedesap à 40 millions d’euros net d’impôt sur les sociétés en 2019. Une mesure qui s’applique déjà aux particuliers-employeurs pour compenser leur non-éligibilité au CICE.

→ Mettre en place un « crédit d’impôt de 6 % » sur la masse salariale des SAAD, qui leur donnerait les mêmes bénéfices que le CICE actuel.

→ Harmoniser l’exonération « aide à domicile » avec le nouveau régime « Fillon », en appliquant une « exonération non dégressive des cotisations chômage, ARRCO et AGFF aux activités de SAAD », qui permettrait d’économiser jusqu’à 49 millions d’euros net d’impôt sur les sociétés d’ici à 2022.

La Fedesap précise que ces solutions n’auraient pas de coût supplémentaire pour les dépenses publiques par rapport à 2018.

Autre sujet de prédilection de la fédération, l’égalité entre les entreprises privées et les associations. Sur 26 270 organismes prestataires de services d’aide à la personne, 18 560 sont des entreprises privées représentant 78,3 % du marché. Pourtant, les associations « trustent » le marché en termes de nombre d’heures travaillées : 57,4 % contre 31,4 % pour les entreprises (reste 10,7 % pour les organismes publics).

La fédération propose deux mesures visant un rééquilibrage entre les acteurs du secteur.

D’une part, « appliquer l’exonération versement transport et FNAL [Fonds national d’aide au logement] dont bénéficient les associations aux entreprises » afin d’harmoniser les régimes fiscaux, pour un impact annuel estimé à 24 millions d’euros.

D’autre part, une application aux entreprises du taux réduit de TVA de 5,5 % dont bénéficient les associations qui sont, par ailleurs, totalement exonérées d’impôt sur les sociétés. Ce taux réduit de TVA devrait s’appliquer aux entreprises à partir du moment où l’intervention est effectuée auprès d’une personne en situation de dépendance ou de handicap et non en considération du type d’action.

Aujourd’hui – c’est un peu kafkaïen –, trois taux de TVA s’appliquent : le taux réduit pour les actions d’aide dédiées à la dépendance, comme la prestation de conduite du véhicule personnel ou l’accompagnement dans les déplacements hors du domicile, le taux intermédiaire à 10 % pour les actes non spécifiquement dédiés aux personnes dépendantes, comme les travaux de petit bricolage, le soutien scolaire ou l’entretien de la maison et enfin le taux normal à 20 % pour le jardinage, l’informatique et les cours à domicile hors soutien scolaire. Chaque taux est associé à une action spécifique, et cette gradation est supposée refléter le degré de dépendance d’une personne. Mais les assistants de vie effectuent souvent des actions différentes pour une personne dépendante, générant ainsi différents taux de TVA pour une même prestation.

Au lieu de cet imbroglio qui les oblige à jongler entre les codes NAF (nomenclature d’activités française), tout en grommelant sur l’exemption de TVA dont bénéficient les associations, les employeurs souhaitent naturellement l’application d’une TVA uniforme (et réduite), quelle que soit l’activité prise en considération, à partir du moment où l’intervention a lieu au domicile d’une personne en situation de fragilité.

La Fedesap propose aussi d’étendre la TVA réduite, réservée à certains types d’intervention, aux travaux ménagers, à la livraison de courses et à l’assistance administrative, ce qui représenterait un allégement de 22 millions d’euros par an pour les entreprises.

Un effet Loto

La fédération, dans une approche très macronienne, attend de ses mesures un effet de ruissellement sur l’économie du pays. En effet, cumulant les impacts direct (entreprises), indirect (fournisseurs) et induit (augmentation du nombre d’employés ou de leur pouvoir d’achat), la Fedesap estime les retombées de ses propositions jusqu’à 10 600 emplois équivalents temps plein (ETP) (qui pourraient se transformer en 54 000 ETP à l’horizon 2027), 240 millions d’euros de valeur ajoutée et 95 millions d’impôts entre 2019 et 2022, pour une dépense nette de la collectivité publique comprise entre 45 et 100 millions (contre 80 millions pour la reconduite du CICE).

Pour les auteurs de l’étude, « chaque million investi par l’Etat ou les collectivités locales permettra de générer 55 ETP directs, indirects et induits ». A l’appui de ces chiffres, un sondage réalisé en 2016 auprès de 1 007 entrepreneurs de service d’aide et d’accompagnement à domicile confirme que leur priorité en cas de bénéfices va au développement de leur structure : dans les cinq années à venir, 47 % d’entre eux souhaitent proposer de nouveaux services, et 42 % ouvrir de nouvelles agences. A ce stade, ce n’est plus du ruissellement, c’est le Loto !

L’étude ne propose cependant pas de solution pour convertir les temps partiels en équivalents temps plein, dans un secteur appartenant majoritairement au privé où la part des salariés à temps partiel s’élève à 79 %, avec une moyenne de temps de travail comprise entre 20 et 25 heures par semaine.

Une difficulté parmi d’autres dans ces métiers où le taux d’accidents du travail est supérieur à celui du bâtiment, les horaires sont morcelés, et les assistants de vie travaillent sans équipe, ni collègue la plupart du temps, avec pour seule compagnie, celle des personnes qu’ils assistent. Un ensemble de paramètres qui expliquent la difficulté pour les dirigeants des entreprises du secteur de recruter. Lesquels sont bien conscients que si ces aspects ne sont pas compensés par un salaire supérieur au SMIC, c’est l’avenir de la profession qui est en jeu.

La balle est dans le camp du gouvernement.

Le régime « Fillon » : un travail de Pénélope

La loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 a créé une réduction générale des cotisations patronales Urssaf. Cette réduction, dite « régime Fillon », a depuis connu de nombreux changements. Elle s’applique, au sein du régime général et de celui des salariés agricoles, aux gains et rémunérations versés aux salariés pour lesquels les employeurs sont soumis à l’obligation d’adhésion au régime d’assurance chômage, sans tenir compte du type de contrat des salariés.

Le dispositif permet une réduction dégressive des cotisations patronales de sécurité sociale. Pour un salaire égal au SMIC, elle est maximale, puis elle décroît pour devenir nulle une fois atteint le seuil de 1,6 SMIC. Une dégressivité problématique pour un secteur qui essaie de se valoriser en proposant des salaires supérieurs au SMIC devant la pénibilité du travail et la pénurie de main-d’œuvre.

La réduction « Fillon » est donc un travail, à faire, à défaire et à refaire : un vrai travail (non fictif) de Pénélope.

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