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Laurence Devillers « Nous projetons sur les robots des capacités humaines »

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Pour la chercheuse, les robots s’adapteront à l’humain et lui seront complémentaires.
Qu’est-ce qu’un robot ?

Un robot est une machine comportant au moins trois éléments : des capteurs pour comprendre l’environnement dans lequel elle se trouve, des processeurs qui analysent les paramètres recueillis pour prendre une décision et des actionneurs qui lui permettent d’agir dans le monde réel. Certains robots sont aussi doués de la possibilité de dialoguer.

Quels sont les plus grands progrès récents faits en matière de robotique, et ceux à venir dans un futur proche ?

La robotique comporte plusieurs secteurs, comme la robotique industrielle ou la robotique de service. Le robot social est une entité artificielle, majoritairement utilisée pour le service, située dans le monde réel, qui transforme sa perception en action ; de plus, elle écoute et parle aux êtres humains. De grands progrès ont été faits dans ces différents secteurs. Pour la robotique sociale, deux grands domaines sont en cause : la mécatronique et le dialogue homme-machine. Il est encore difficile pour un robot de se mouvoir, de prendre des objets dans l’environnement complexe des humains. Les principaux progrès ont été obtenus sur le dialogue homme-machine, plus particulièrement dans la reconnaissance de la parole.

Les robots vont-ils bientôt envahir notre quotidien, comme le laissent penser leurs apparitions médiatisées ?

Les robots sont encore chers, mais on verra sans doute les premiers robots pour l’assistance à la personne. Les chatbots comme Google Home ou Amazon Alexa ont déjà envahi notre quotidien. Bientôt, ils seront capables de se mouvoir ou de prendre des objets.

Cette intégration passe-t-elle par une nécessaire « humanisation » du robot pour qu’il soit accepté plus facilement par nos semblables ?

Il n’est pas nécessaire de passer par une humanisation des robots pour qu’ils soient acceptés. L’humain a tendance à anthropomorphiser les robots, c’est-à-dire à leur prêter des comportements humains. Par exemple, les aspirateurs sont vus comme connaissant votre maison. Si jamais ils tombent en panne, il est souvent demandé de réparer le robot plutôt que de le remplacer, car il connaît la maison ! Souvent, il a déjà un nom.

Quels robots vont-ils être utiles auprès des publics fragiles (handicapés, personnes âgées) ?

La robotique sociale et affective veut créer des robots compagnons, censés nous apporter une aide thérapeutique, d’assistance ou de surveillance… Pourquoi ? En 2060, 32 % de la population française aura plus de 60 ans, soit une hausse de 80 % en cinquante ans. La charge de la dépendance et des maladies chroniques ira de pair avec ce vieillissement. Cette aide robotisée sera-t-elle d’une plus grande assistance dans des structures de type EHPAD, ou pour assister les personnes à domicile et les y maintenir le plus longtemps possible ? Les robots peuvent être très utiles pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées et réduire leurs périodes d’hospitalisation. Ils sont disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ils sont patients, ils peuvent pallier les défaillances de perception (surdité, malvoyance) et donner accès à des informations sur Internet plus facilement qu’un ordinateur. Ils se révèlent précieux également pour aider dans l’accompagnement de la vie quotidienne.

Cette intégration progressive des robots présente-t-elle des risques ?

Actuellement, les robots ne sont pas réellement autonomes : ils n’ont donc pas de conscience, ni d’émotions, ni de désirs comme les humains. Cependant, nous projetons sur eux des capacités humaines. Pour cette raison, il est fondamental de réfléchir à la régulation de leur fonctionnement. Mais aussi de démystifier leurs capacités, par l’éducation notamment, et, également, de rendre plus transparents et compréhensibles les programmes informatiques qu’ils embarquent.

L’avènement d’une intelligence artificielle forte, consciente d’elle-même, est-il plausible ? Serait-ce un danger pour l’humanité ?

Nous sommes loin d’une intelligence artificielle (IA) forte, c’est-à-dire « consciente », ayant des sentiments et des projets propres, et capable de sens commun ! Yann LeCun, directeur du laboratoire d’IA de Facebook, est le premier à reconnaître que nous parlons d’IA faible. L’intelligence artificielle n’est pas une menace pour notre humanité, mais nous devons réfléchir à la société de demain avec l’IA.

L’éthique appliquée aux robots sera-t-elle différente de celle à appliquer aux humains ? Notre arsenal juridique comporte-t-il déjà certaines réponses ou faudra-t-il l’adapter complétement ?

La démarche éthique a plusieurs dimensions : proposer des pistes de réflexion sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, pour soi-même et pour la société dans l’usage et la conception des robots, concevoir ces machines intelligentes avec des règles morales, construire des outils et des mesures pour cadrer et vérifier les performances et le comportement des robots. Les résultats de la réflexion sont des préconisations éthiques qui permettent aux designers de robots de répondre à des enjeux concrets, tant du point de vue de la forme et du processus décisionnel que du point de vue des valeurs et des principes en jeu. Pour l’aspect juridique, le cadre légal existant, par exemple sur les objets défectueux, permet d’analyser un bon nombre de questions juridiques relatives à la robotique. Toutefois, la question de la nécessité de normes nouvelles fait actuellement débat. Certains avancent l’idée que les robots pourraient posséder des droits, d’autres proposent de doter les robots d’une personnalité juridique particulière.

Une société où les robots accompliraient l’essentiel du travail est-elle envisageable ? Quelle serait la place de l’humain dans cette société ?

On entend beaucoup parler de robots qui remplaceraient l’homme ! Les robots industriels, déployés sur des sites de production suivant des protocoles très stricts d’action et d’interaction, ont déjà supprimé des emplois. Les travaux qui ont été automatisés étaient jusqu’à présent postés, non qualifiés, répétitifs. Le caractère de qualification n’est plus discriminant. Certains métiers nécessitent une expertise longue et difficile à acquérir pour une activité répétitive, ces métiers sont automatisables. Plus de 40 % des transactions sur les principales places financières européennes sont réalisées par des algorithmes de trading à haute fréquence. Les ordres sont passés à une vitesse inatteignable par l’humain.

Le fait que les métiers soient remplacés par des robots n’est pas lié au fait qu’ils soient manuels ou intellectuels, ni lié aux nombres d’années d’études. Les deux seront impactés. Certains resteront réservés aux humains, comme le métier de plombier, où il faut s’adapter sans arrêt. Le diagnostic des maladies à partir de radiographies ou d’images médicales devrait être pris en charge partiellement par les machines, en complémentarité avec l’humain. L’équation devrait être que les métiers nécessitant empathie, variabilité et créativité restent le lot des humains et que les métiers pénibles, dangereux et répétitifs soient remplacés par des machines.

Repères

Laurence Devillers est professeure à l’université Paris-Sorbonne et chercheuse au Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur (LIMSI) du CNRS. Ses domaines de recherche portent principalement sur l’interaction homme-machine, la détection des émotions, le dialogue oral et la robotique affective et interactive. Auteure de « Des robots et des hommes. Mythes, fantasmes et réalités » (Ed. Plon, 2017).

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