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Dr Laurent Alexandre « L’intelligence artificielle forte serait une menace pour la société »

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Pour le médecin, l’homme doit s’adapter à l’intelligence artificielle.
Pourquoi vouloir adapter l’humain à l’IA ?

Sur quelques décennies, le besoin en travail non qualifié va beaucoup diminuer, des gens vont être mis de côté par la société. Réformer l’école et la formation est extrêmement compliqué : les politiques vont avoir naturellement tendance à aller vers un revenu d’assistance plutôt que de changer le système.

Vous percevez le revenu universel comme une régression sociale ?

Je pense que c’est une idée imbécile, qui conduit à un apartheid intellectuel. Le revenu universel, ce n’est pas la mort du travail, mais sa concentration dans les mains d’une petite élite et donc la mise en place d’une société de type Metropolis, à deux vitesses.

Et l’idée sous-jacente de libération progressive du travail ?

Cela conduirait à une société de dépression généralisée. Un système dans lequel les robots bossent à notre place, dans lequel les maîtres du data et de l’IA nourrissent 95 % de la population, est un système qui conduit à une dictature.

Quelle est votre stratégie de « lutte » pour éviter cette situation ?

Il faut se battre pour rendre les gens compétitifs par la réforme du système de formation pour les adultes, de l’éducation. Cela ne va pas être simple, mais nous n’avons pas le choix, il faut des investissements considérables, du même ordre que ceux pour la recherche contre le sida ou le cancer.

Comment conduire cette réforme ?

Recherche-évaluation. Cesser avec la pensée magique et évaluer une politique éducative comme une chimiothérapie, de manière indépendante, en voyant ce qui marche le mieux. Il faut transformer les écoles en schools-labs, équivalents des CHU [centres hospitaliers universitaires] dans le système éducatif. Ces trente dernières années, le niveau de l’école a beaucoup baissé : il faut se diriger vers le paradigme singapourien, avec des professeurs bien payés, respectés et admirés. Singapour est le numéro 1 mondial en matière de coefficient intellectuel et dans le classement PISA [Programme international pour le suivi des acquis des élèves].

Vous raisonnez beaucoup en matière de coefficient intellectuel : les dirigeants de la société de demain seront-ils automatiquement ceux qui ont un fort QI ? Que faites-vous d’autres paramètres comme la discrimination à l’embauche ou le déterminisme social ?

On ne peut pas faire du Bourdieu toute la journée. Il y a toujours du déterminisme social, mais beaucoup moins que dans le passé. Je pense que le déterminisme social est plus faible que le déterminisme biologique. Si vous êtes doué, vous serez repéré par le système et on ne vous laissera pas devenir cantonnier. Même si cela est moins vrai dans certains cas : le système scolaire a du mal à détecter les bons éléments dans les quartiers en difficulté.

Vous vous définissez comme schumpétérien de centre gauche. Pensez-vous l’IA faible comme le cycle final de création-destruction ?

Il est impossible aujourd’hui de faire des pronostics sur l’IA forte. L’IA faible fait de gros progrès sur la reconnaissance de patterns, de la parole humaine, d’images, sur la conduite automobile… Mais elle n’en fait pas beaucoup sur l’interaction avec l’humain et aucun sur la conscience artificielle. Même l’IA qui a gagné contre le champion du monde du jeu de go n’a pas conscience d’elle-même, elle ne se rend pas compte qu’elle a gagné la partie. Ce qui nous sépare de l’IA forte est le projet, la capacité à se projeter dans le futur, et la subtilité de l’esprit humain, sa multidisciplinarité. L’humain peut d’ailleurs apprendre à partir de très petits volumes de données, à l’inverse de l’IA : une IA aura besoin de 1 000 photos pour apprendre à reconnaître un dinosaure, là où un homme en a besoin de trois. C’est une supériorité de long terme du cerveau humain. L’IA forte serait un changement de civilisation et une menace majeure pour la société.

Un scénario à la Terminator est-il envisageable ?

Une IA faible, un objet connecté par exemple, pourrait évoluer, acquérir un embryon de conscience artificielle en étant connecté au réseau global et se cacher. Il est raisonnable de mettre en place un programme à l’échelle mondiale de cybersurveillance des IA dans les siècles qui viennent, même si, pour l’instant, on ne voit pas la queue d’une IA forte.

Quelle éthique imprimer à l’IA actuelle, dans le cadre du dilemme du tramway par exemple ? Les trois lois sur la robotique d’Isaac Asimov seraient-elles pertinentes pour une IA forte ?

Il va falloir expliciter nos choix moraux : si on pense qu’il vaut mieux écraser deux vieillards ou trois enfants de 10 ans [pour les voitures autonomes, ndlr]. Il va falloir donner une valeur à la vie humaine, même si ces situations arriveront peu en pratique. Quant aux lois d’Asimov, elles sont touchantes de niaiserie : soit on a une IA faible, et il n’y a pas de risque de transgression, soit on a une IA forte qui outrepasse ces lois immédiatement.

Donc les IA fortes ne pourront souffrir d’aucune barrière ? Il faudra faire confiance à une autre forme d’intelligence ?

Ou bien trouver un consensus à l’échelle mondiale pour les interdire.

Repères

Laurent Alexandre est passé par Science Po Paris et l’ENA tout en poursuivant des études de médecine qui l’amèneront à être chirurgien urologue. Il délaisse rapidement les salles d’opération au profit de l’entreprenariat. Au début des années 1990, pressentant avant tout le monde la révolution Internet, il crée le site d’informations médicales Doctissimo, qu’il cédera quelques années plus tard au groupe Lagardère. Anticipant – à nouveau – la révolution de la médecine génétique, il crée une société de séquençage de l’ADN tout en théorisant cette mutation de la médecine, ce qui l’amènera à se plonger dans l’autre révolution, celle de l’intelligence artificielle, dont il deviendra un expert reconnu dans le monde et qu’il théorise dans son dernier livre, « La Guerre des intelligences » (Ed. JC Lattès, 2017).

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