La loi de mars 2002 relative aux droits des malades commence déjà à l’évoquer. Après, la première loi qui aborde véritablement le sujet est la loi « Leonetti » du 22 avril 2005. Mais le débat sur la fin de vie a surtout été médiatisé par des affaires comme celle de Vincent Imbert, tétraplégique depuis 2003 et ayant demandé le droit de mourir, et celle des époux Pierra, dont le fils est décédé après huit ans et demi de coma végétatif. Celui-ci a été l’une des premières personnes pour lesquelles la loi « Leonetti », instituant un droit au « laisser mourir », a été appliquée. Puis cette loi, révisée en 2016, est devenue la loi « Claeys-Leonetti ».
En 2005, la priorité a porté surtout sur l’autonomie du patient. L’idée est que tant qu’une personne peut s’exprimer ou tant qu’elle a confié ses souhaits à une autre, on doit respecter sa volonté. Cette loi avait mis le patient au centre de son dispositif. La loi du 2 février 2016 a renforcé les mesures anticipatives, les fameuses « directives anticipées », rédigées par les usagers, qui informent de leurs souhaits en matière de fin de vie et qui, aujourd’hui, sont opposables au médecin. Ce n’était pas le cas en 2005. Désormais, elles s’opposent à lui, c’est-à-dire qu’il est tenu de les respecter. La loi prévoit néanmoins deux exceptions : les cas d’urgence et les demandes d’arrêt des soins inadaptés à la situation. Cela introduit forcément une part de subjectivité et laisse une marge de manœuvre à l’équipe soignante. Heureusement, d’ailleurs ! En participant aux débats de préparation de la loi de 2016, j’ai appris une chose fondamentale : à propos de la fin de vie, il y a vraiment une grande distance entre ce que l’on décide quand on est en bonne santé et ce que l’on décide à l’instant T, quand l’issue de la maladie semble irréversible. Même chez des personnes ayant déclaré ne pas vouloir continuer à vivre si elles étaient condamnées ou maintenues artificiellement en vie, il arrive qu’une sorte de réflexe de vie, de sursaut, se produise. Il est donc impossible d’appliquer les directives anticipées de façon systématique. C’est beaucoup plus compliqué.
Ecrire ses directives anticipées, autrement dit ses dernières volontés en cas de risque vital, est une chose. Le problème est que l’on ne sait ni quand cela arrivera, ni comment. On en a peur. On ne peut pas se mettre en situation réelle. On peut donner des consignes en cas de situation extrême, par exemple : « Je ne veux pas vivre avec une trachéotomie toute ma vie si je sais qu’elle est définitive. » Mais le médecin n’est pas un simple exécutant. Il est là aussi pour estimer, évaluer au cas par cas. Certains diront que l’exception à l’opposabilité des directives est tellement large qu’elle vide de son contenu le principe d’opposabilité. Elle était néanmoins nécessaire.
Cela s’appuie sur les témoignages de médecins et de patients. Lors de la mission confiée au professeur Sicard, en vue de la préparation de la révision de la loi de 2005, nous avions organisé des forums où les gens s’exprimaient. Et c’est ce qui est ressorti. Cet écart entre ce que l’on peut vouloir aujourd’hui et le moment où l’on frôle la mort m’a marquée. Le principe des directives anticipées est, néanmoins, que le médecin les respecte. Les exceptions doivent rester des exceptions. Pour l’heure, on a trop peu de recul sur l’application de la loi pour savoir ce qu’il en est vraiment. Mais une chose est essentielle : la formation des médecins. On pourra promulguer toutes les lois du monde, elles ne répondront jamais à toutes les situations. Chacune est particulière. La mort est un sujet délicat et le restera. Le propre de la loi est d’avoir donné les grandes directions, posé un cadre. Au moment de la décision, il y a un médecin et un patient face à face, même si ce dernier est dans le coma. Voilà pourquoi il est nécessaire de former les médecins à ces situations. Cela commence à se développer, notamment sous l’impulsion de l’espace éthique de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France.
Non, dorénavant, la loi interdit l’« obstination déraisonnable », c’est-à-dire les soins qui n’ont pas d’autre objectif que de maintenir la personne en vie alors qu’il n’y a aucun espoir d’amélioration de son état. Mais si le patient est conscient, c’est lui qui décide. S’il demande que l’on arrête les soins, le médecin arrête les soins. Le problème se pose quand le patient n’est plus en capacité de parler et qu’il n’a pas laissé de directives écrites, ni évoqué la question de la fin de vie avec ses proches. En revanche, s’il a désigné une personne de confiance – dont le rôle a été renforcé dans la loi de 2016 –, cette dernière est consultée prioritairement par l’équipe soignante lors de tout questionnement sur la mise en œuvre, la poursuite ou l’arrêt d’un traitement. Elle est là pour rendre compte de la volonté du patient. D’où l’importance d’en désigner une ou d’écrire ses directives anticipées. Car ce que cherchent d’abord les médecins, c’est un accord avec l’entourage. Nous sommes sortis de l’ère du paternalisme et de la toute-puissance médicale.
Chaque pays réagit en fonction de sa propre culture et de ses pratiques. Il y a, dans ces deux pays, une longue tradition de respect de la volonté du patient. Ainsi, dans le livre que j’ai codirigé [voir ci-contre], Ruth Horn, chercheuse en éthique médicale à Oxford, souligne que le droit anglais admet qu’un patient puisse refuser un traitement pour des raisons rationnelles, irrationnelles ou pour aucun motif précis. En cas de désaccord, le médecin doit expliquer son point de vue sans exercer de pression ni porter un jugement de valeur sur la décision du patient. Quant au droit allemand, il se fonde en premier sur la dignité humaine et le libre développement de l’individu. Ce contexte a été favorable à l’essor des soins palliatifs en Allemagne et en Angleterre, où de nombreuses structures dédiées existent. Les Anglais en ont même fait une spécialisation médicale à partir des années 1970. On en est loin en France, où il n’y a pas assez de services et de lits pour tout le monde. Il faut qu’on développe les soins palliatifs. Il serait souhaitable qu’ils arrivent bien plus tôt dans le parcours médical et deviennent des soins de repos, de confort et d’accompagnement. Cela rassurerait les Français : aujourd’hui, ils ont peur de mourir dans un couloir d’hôpital en souffrant et en étant abandonnés. De même, la grande majorité d’entre eux voudraient décéder chez eux, mais ils ne sont que 25 % à réaliser ce souhait.
Elle va sans doute être révisée. La question de la fin de vie est au programme des états généraux de la bioéthique. Le législateur la retiendra-t-elle ? Je ne sais pas. La loi de 2016 est récente. Beaucoup de médecins ne la connaissent pas encore bien. Une mission d’évaluation de son application a été lancée, attendons ses conclusions. La société évolue, il faut l’écouter, mais il n’y a pas d’urgence. Cela dit, il est vrai qu’il y a une forte demande, revendiquée par certaines associations, pour choisir le moment et les conditions de sa fin de vie, ce qu’on appelle le « suicide assisté ». Mais, dans leurs pratiques, les médecins constatent que peu de patients demandent l’arrêt des traitements. Je crois que les gens ont besoin de savoir que cela serait possible au cas où… Si la loi est révisée, ce sera probablement la prochaine étape. L’autorisation actuelle de pouvoir donner à un patient une sédation profonde et continue qui vise à le plonger dans le sommeil jusqu’à son décès est une première marche. Ce n’est pas l’euthanasie, qui consiste à injecter une substance létale pour que la mort survienne très rapidement, pas plus qu’une assistance au suicide. Cela pourrait être considéré comme le dernier soin du médecin qui a suivi le parcours de son patient, arrivé au bout de son existence. Il ne faut pas oublier que, pendant longtemps, la mort a été la grande absente des études de médecine. Les médecins avaient le devoir de soigner, pas d’accompagner la fin de vie, d’où leur désarroi. Les esprits changent, mais il y a des siècles derrière nous.
Valérie Depadt est maître de conférences à l’université Paris 13 Sorbonne Paris-Cité et conseillère juridique de l’espace éthique Paris Ile-de-France. Elle a participé à la mission présidentielle de réflexion sur la fin de vie et a codirigé, avec Karine Lefeuvre, professeure à l’Ecole des hautes études en santé publique, le livre Protéger les majeurs vulnérables. Quels nouveaux droits pour les personnes en fin de vie ? (éd. Presses de l’EHESP, 2017).