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L’univers impitoyable de la maltraitance financière

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Escroqueries organisées par des réseaux, abus commis par des proches ou des aidants professionnels, détournements par les mandataires : les maltraitances financières envers les aînés, en situation de faiblesse ou d’incapacité, se multiplient mais sont difficiles à repérer et à dénoncer. Les outils judiciaires restent peu accessibles aux personnes âgées dépendantes. Une mission présidée par un psycho-gérontologue vient de rendre un rapport appelant à rompre le silence et proposant des solutions.

« Mme V. reçoit la visite d’une personne se présentant comme agent d’EDF pour faire des travaux sur le compteur. Elle le laisse entrer et lui indique le lieu où [il se trouve] car elle a des difficultés à se déplacer. L’agent revient après peu de temps et présente une facture exorbitante à Mme V. qui accepte de payer, ne sachant pas de quelle nature relèvent exactement les travaux et sans pouvoir vérifier la réalité de ceux-ci. » Ou encore : « M. et Mme C. résident tous deux en EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. Monsieur souffre d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et Madame présente une maladie d’Alzheimer à un stade avancé. Aidé d’un notaire peu regardant, leur fils obtient la signature de divers mandats pour la gestion de leurs biens. Après quelques semaines, l’EHPAD et le médecin traitant ne sont plus payés. »

Ces deux témoignages figurent, parmi bien d’autres, dans le rapport Les maltraitances financières à l’égard des personnes âgées, un fléau silencieux. Publié le 19 février, il résulte des travaux d’une mission d’une quinzaine d’experts pilotée par Alain Koskas, président de la Fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA) et de la Fédération 3977 (qui gère ce numéro de téléphone d’alerte et d’information). La maltraitance financière est multiforme, rappellent les auteurs : vols, escroqueries, abus de procuration, détournement d’aides sociales, emprise exercée par des « gourous » ou des pseudo-thérapeutes… Toutes ces actions peuvent se fondre dans cette définition : « tout acte commis sciemment en vue de l’utilisation ou de l’appropriation de ressources financières d’une personne à son détriment, sans son consentement ou en abusant de sa confiance ou de son état de faiblesse physique ou psychologique »(1).

Ce rapport a connu quelques péripéties. Il avait été commandé à Alain Koskas en septembre 2016, sous l’ancienne majorité, par Pascale Boistard, alors secrétaire d’Etat chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Il lui a remis les grands axes de ses propositions début 2017. Cette fois, le rapport complet a été présenté officiellement le 19 février dernier à la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, ainsi qu’au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), qui a inscrit la maltraitance financière à son programme de travail pour 2018(2).

Syndrome de Stockholm

Le premier constat du rapport est qu’« on ne connaît que le très petit sommet de l’iceberg des maltraitances financières », explique Alain Koskas aux ASH (lire également son interview, page 19). Si les professionnels du secteur savent décrire le phénomène et ont le sentiment d’une « constante augmentation », les chiffres manquent. La mission appelle donc à lancer une série d’enquêtes publiques sur la question. Au-delà, « nous avons besoin d’un véritable observatoire », assure le président de la mission.

Comme dans d’autres formes de maltraitance, les personnes âgées sont souvent réticentes à dénoncer les abus dont elles sont victimes, par crainte de représailles, par peur de ne pas être crues, ou encore en raison de la complexité des procédures… et ce d’autant plus si elles sont dépendantes. La personne peut ne même pas se rendre compte de la gravité de la situation, excuser le comportement de l’« abuseur », voire se sentir responsable de la situation, développant ainsi une forme de « syndrome de Stockholm ».

La mission constate aussi « l’hésitation des aidants professionnels à dénoncer une situation de maltraitance, alors que les textes de loi ont évolué [ces dernières années] pour leur assurer une meilleure protection ». En particulier, la loi du 9 décembre 2016 « relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », dite « Sapin II », a mis en place un statut protecteur pour les lanceurs d’alerte. Malgré cela, les professionnels « continuent à s’interroger et s’inquiètent des conditions de leur protection et de la levée du secret professionnel, ainsi que des atteintes possibles au respect de la vie privée », regrettent les auteurs.

Protéger les lanceurs d’alerte

L’une de leurs 19 propositions vise donc à « empêcher les poursuites et les pressions exercées sur les alerteurs par l’instauration d’une immunité provisoire durant la première phase de l’enquête, tant qu’il n’a pas été établi que le signalement était abusif avec intention de nuire ». En parallèle, un guide « de signalement » serait rédigé à l’intention des alerteurs potentiels, leur précisant les procédures à suivre et les autorités à contacter. Enfin, la mission réclame une campagne de communication sur les numéros d’appel contre la maltraitance (le 3977 et le numéro de France Victimes, 08 842 846 37). « Ils restent très peu connus », y compris des professionnels, « et c’est grave », regrette Alain Koskas.

Le rapport invite aussi à lancer des formations sur la maltraitance financière auprès de tous les professionnels concernés. Par exemple, en formant mieux à la gestion comptable les personnes qui exercent une tutelle ou une curatelle. Autre piste identifiée : mieux contrôler les comptes de gestion que les tuteurs et curateurs déposent chaque année au tribunal d’instance, et que les greffiers peinent à analyser faute de temps ou de savoir-faire en ce domaine.

Une fois l’alerte donnée, quelles réponses apporter ? Afin de faciliter le recours de la personne âgée ou de ses proches aux forces de l’ordre et à la justice, la mission se prononce pour une présence systématique de travailleurs sociaux dans les commissariats. Pour éviter que la personne âgée ait à fournir elle-même tous les éléments de preuve de la maltraitance financière alléguée, la mission invite à « évaluer la faisabilité d’un aménagement de la charge de la preuve […] en vue de faciliter l’aboutissement du procès ».

Pour régler certains conflits, Alain Koskas et ses collègues suggèrent de créer « un corps de médiateurs qualifiés et habilités en gérontologie sociale, formés au traitement des emprises » sur les personnes âgées. Ils interviendraient auprès de la victime et de l’auteur présumé de la maltraitance lorsqu’ils font partie d’une même famille.

Enfin, ils plaident pour des mesures spécifiques aux maisons de retraite. « Constatant que les pratiques de facturation des journées ne sont pas harmonisées, ni réellement régulées par les autorités de contrôle des établissements publics ou privés », la mission recommande la production d’une instruction ministérielle récapitulant « les règles et bonnes pratiques de facturation et d’élaboration du contrat de séjour, ainsi que l’intégration de ces items dans les programmes et calendriers des corps d’inspection ». Les auteurs appellent aussi à engager « de façon urgente une réflexion décisionnelle sur la place de l’argent de poche » en institution.

Evaluation croisée pour les mandataires judiciaires

La mission « Koskas » a auditionné de nombreuses organisations comme la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs (FNMJI). Ces professionnels sont en première ligne dans la lutte contre les maltraitances financières, car ils sont régulièrement amenés à régler des litiges au nom de la personne protégée. « Parfois, l’entourage ne se rend même pas compte qu’il est maltraitant, par exemple lorsqu’un enfant occupe gratuitement la résidence secondaire de son parent âgé, alors que la vendre ou la louer permettrait à ce dernier de vivre dignement », explique David Matile, coprésident de la FNMJI.

Les mandataires doivent aussi se garder de devenir eux-mêmes maltraitants par une mauvaise gestion des biens de la personne. La fédération a donc mis en place une « évaluation croisée » : un mandataire peut demander à être évalué par deux homologues qui exercent dans d’autres départements. « Ces collègues vont m’apporter un regard extérieur, mais en retour, je peux moi aussi partager mes bonnes pratiques », poursuit David Matile. La FNMJI anime également des groupes d’analyse des bonnes pratiques professionnelles qui remplissent la même fonction.

Interrogé sur les réformes souhaitables, David Matile prône, notamment, un droit à réaliser leurs démarches en format « papier » si elles le souhaitent. « Les personnes âgées sont exclues des moyens de communication numériques, qui se généralisent pour les relations avec les banques, les allocations familiales, les impôts… » Or, des tiers leur proposent de jouer les intermédiaires, récupèrent leurs données et peuvent s’accaparer leurs biens. « La modernité elle-même est source de maltraitances », constate le mandataire.

Notes

(1) Cette définition provient d’un précédent rapport d’Alain Koskas, Véronique Desjardins et Jean-Pierre Médioni sur « la maltraitance financière à l’égard des personnes âgées dans les établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux », remis au médiateur de la République en 2011 – Voir ASH n° 2696 du 11-02-11, p. 8.

(2) Voir actualités p. 15.

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