« Nos délais d’examen des demandes d’asile demeurent trop longs », peut-on lire au début de l’exposé des motifs du projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », plus couramment dénommé « loi Collomb », du nom du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, qui la porte. Le texte a été présenté en Conseil des ministres mercredi. Il est déjà loin de faire l’unanimité, y compris dans la majorité. Le Conseil d’Etat lui-même, dans un avis non rendu public, s’est montré très sceptique (voir encadré page 8). Trois lieux en « situation tendue » ont poussé le gouvernement à légiférer à nouveau sur le droit d’asile, deux ans à peine après la dernière loi sur ce sujet(1) : Menton (Alpes-Maritimes), Paris et, bien sûr, Calais (Pas-de-Calais).
La priorité du ministre de l’Intérieur est de « réduire les délais d’instruction des demandes d’asile », indique l’exposé des motifs de l’avant-projet de loi publié par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI). Le ministère de l’Intérieur veut passer à 6 mois la durée de la procédure complète d’une demande d’asile, contre 11 mois en moyenne aujourd’hui. Pour cela, le délai au-delà duquel le dépôt de la procédure accélérée peut être décidé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) passerait de 120 à 90 jours à compter de l’entrée sur le territoire. Concrètement, lors de cette procédure accélérée, les recours formés devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) restent suspensifs, mais celle-ci doit statuer à juge unique dans les 5 semaines suivant le dépôt du recours, contre 5 mois et en instance collégiale (à trois membres) en procédure normale. La procédure accélérée serait également applicable si la décision de retrait du statut de réfugié est « fondée sur des risques de menace grave pour l’ordre public ». Le gouvernement veut d’ailleurs diviser par deux le délai de recours devant la CNDA, le faisant passer de 1 mois à 15 jours. Dans l’exposé des motifs, l’exécutif assure que « ces ajustements préservent intégralement les garanties dues aux justiciables ».
La lutte contre l’immigration illégale est le deuxième chantier de l’avant-projet de loi. A cette fin, le ministère de l’Intérieur veut « en particulier sécuriser le prononcé des décisions d’éloignement, renforcer l’efficacité des outils de leur mise en œuvre et aménager les modalités de leur contrôle contentieux ». Notons notamment l’élargissement des motifs pour lesquels il peut être décidé de ne pas assortir une obligation de quitter le territoire français d’un délai de départ volontaire. En conséquence, la personne concernée pourra être immédiatement assignée à résidence ou placée en rétention administrative. Le risque de soustraction sera considéré comme établi, forme de présomption simple du risque, dans quatre cas : si la personne a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; si elle a utilisé un titre de séjour ou un document d’identité sous un autre nom que le sien, sans qu’il soit nécessairement falsifié par lui-même ; si elle refuse de coopérer avec l’autorité administrative pour l’exécution de l’éloignement ; ou si elle fait déjà l’objet d’une mesure d’éloignement prise par un Etat membre de l’espace Schengen. La durée maximale de la rétention administrative serait doublée, passant de 45 à 90 jours. Juridiquement, une directive de l’Union européenne, dite directive « retour », autorise les Etats membres à placer les étrangers en rétention pendant 18 mois maximum. Cette période de rétention pourra être prorogée de 15 jours dans le cas où la personne fait obstruction, lors de la dernière période de rétention, à l’exécution de la décision d’éloignement. Cette « obstruction » se présente lorsque la personne en rétention fait une demande d’asile ou lorsqu’elle fait valoir qu’elle ne peut être éloignée en raison de son état de santé. Enfin, signalons l’augmentation de 16 à 24 heures de la durée de la rétention administrative pour vérification du droit au séjour.
Il est à noter que, dans un avis non rendu public du 15 février, le Conseil d’Etat a estimé qu’il était encore trop tôt pour une nouvelle législation sur le droit des étrangers. Deux réformes sont intervenues dans les 3 dernières années : celle du 7 mars 2016 et celle du 29 juillet 2015. La haute juridiction administrative déplore notamment le manque de recul par rapport à l’application de ces deux textes, dont certaines des mesures sont exécutées depuis moins d’un an. « S’emparer d’un sujet aussi complexe à d’aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile et diminue sensiblement la lisibilité du dispositif », a indiqué le Conseil d’Etat, une position plus politique que juridique.
Dans un rapport publié en février, la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) a, elle aussi, tenté d’alerter le gouvernement sur le manque de pertinence d’une multiplication des textes : « D’une réforme à l’autre, l’asile en danger », avait-elle titré son document, dont l’objectif était de faire un état des lieux de la loi du 29 juillet 2015. La conclusion est sans appel : « Deux ans après son entrée en vigueur, la situation des personnes en demande d’asile reste problématique en bien des points », a noté la CFDA.
(1) Loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.