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Jean-Marie Delarue : « Traités en bêtes fauves, les détenus se comportent en bêtes fauves »

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Jean-Marie Delarue, conseiller d’Etat, ne mâche pas ses mots pour regretter la faiblesse des politiques publiques en matière de réinsertion et de travail en prison. Celui qui fut le premier contrôleur général des lieux de privation de liberté, chargé de veiller au respect des droits fondamentaux des personnes détenues, dresse le constat amer du serpent qui se mord la queue : la sécurité érigée en leitmotiv de l’administration pénitentiaire conduirait en fait à… moins de sécurité pour les surveillants de prison comme pour la société, le taux de récidive des détenus désœuvrés et sans perspective professionnelle étant drastiquement élevé. Contributeur du rapport « Travail en prison : préparer (vraiment) l’après », Jean-Marie Delarue plaide pour une revalorisation du travail en milieu carcéral en y intégrant « l’après » plutôt que de rester focalisé sur le « pendant ».
Qu’est-ce qui a motivé votre contribution à ce rapport ?

Jean-Marie Delarue : Le travail en prison est un enjeu essentiel, car c’est le premier outil affecté à la réinsertion des détenus. Il ne marche pas bien aujourd’hui, donc la réinsertion ne marche pas bien : on le voit avec le taux de récidive. C’est pour moi l’un des leviers sur lesquels il faut agir si on veut changer la prison.

L’opinion publique est pourtant plus concernée par le côté punitif et sécuritaire de la privation de liberté que par ses aspects amendants et les possibilités de réintégration dans la société : les sondages sur le rétablissement de la peine de mort en sont un exemple probant.

J.-M. D. : Je pense que l’opinion publique se trompe. Nous sommes tous habités par des mythes, et le mythe de la prison punitive qui règle les problèmes est l’un des plus beaux que je connaisse. En réalité, la prison exclusivement punitive sans perspective de réintégration ne règle rien de la délinquance. On se pose encore les mêmes questions qu’en 1880 : on met les gens en prison et « basta », sans se préoccuper de l’état dans lequel ils sortent. Mais traitez les détenus en bêtes fauves et ils se comportent en bêtes fauves.

Si l’on suivait l’opinion publique, on ferait un rapport sur les coups de fouet que reçoivent les détenus et sur les barbelés qui entourent la prison, mais notre optique est de dire que si les gens sortent de prison en se disant qu’ils peuvent avoir un travail, qu’ils peuvent avoir un logement, ils n’auront pas besoin de recommencer. ça fait 150 ans qu’on se dit que la prison est l’école du crime, les outils de réinsertion ne fonctionnent pas. Si on continue comme ça, le taux de récidive à la sortie restera le même.

Pourquoi ces outils de réinsertion ne fonctionnent-ils pas ?

J.-M. D. : Je vais être brutal : ce n’est pas la priorité de l’administration pénitentiaire. On lui demande de garantir la sécurité de ses établissements, ce qui n’est pas simple, et d’empêcher les évasions, ce qu’elle fait bien, car nous avons l’un des taux d’évasion les plus bas d’Europe. On ne lui demande pas de prendre en compte le taux de récidive, à l’inverse de l’Angleterre, par exemple, où il est pris en compte pour la notation des prisons. Depuis qu’on a supprimé le travail obligatoire en prison en France, il est considéré comme quelque chose de secondaire. Pareil pour la formation professionnelle : dans les bonnes années, c’est 15 % des détenus qui en bénéficient.

Pourquoi préconisez-vous de rapprocher le travail en prison du travail à l’extérieur ?

J.-M. D. : Le code de procédure pénale indique déjà qu’il faut rapprocher les deux. Il faut savoir que la mesure de la productivité d’une personne en prison fait l’objet de trafics invraisemblables : des contrôleurs, qui ont souvent une influence dans la prison, la déterminent de manière subjective. Si on passe à la rémunération horaire, on évite de laisser des détenus sous la coupe d’autres, d’entretenir le rapport dominant-dominé. Il faut aussi changer le contenu du travail en prison, qui est actuellement le travail des sous-prolétaires du XIXe siècle. Il faut le rendre plus intelligent, plus formateur et plus respectueux de la dignité de la personne. On doit aussi se préoccuper d’orientation professionnelle à l’entrée. Il y a aujourd’hui un diagnostic sur la dangerosité et la psychologie du personnage. Nous voulons qu’à cette grille d’évaluation se superpose une autre, en ajoutant le bagage professionnel et les possibilités de devenir, type bilan de compétences Pôle emploi. Ce serait très opératoire, notamment dans les maisons d’arrêt où l’on reste peu de temps sans pouvoir être affecté à un emploi durable. Il ne faut pas oublier que la durée moyenne de détention en France est de 11 mois.

Pourquoi vouloir réorienter le travail dans les prisons vers le secteur numérique ?

J.-M. D. : Premièrement, le numérique ne prend pas beaucoup de place. Il attire les gens toutes qualifications confondues, notamment les jeunes générations, qui peuplent massivement les prisons. Le numérique est aujourd’hui une dimension essentielle de qualification à l’embauche. Or, aujourd’hui, on distribue quelques petits diplômes de type B2I [brevet informatique et Internet] : héberger des entreprises qui fonctionnent avec une dose massive de numérique en prison serait plus pertinent.

Que répondez-vous sur les craintes en matière de dumping social relatives à cette potentielle réorientation ?

J.-M. D. : Quelques ateliers de haute qualification existent déjà dans le milieu carcéral et sont potentiellement concurrentiels. Mais les risques sont très limités, grâce à la croissance du marché numérique, sans oublier que les quantités produites en prison sont très faibles.

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