La réforme de la tarification des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) vise à faire converger sur une période transitoire de sept ans (de 2017 à 2023) les enveloppes « soins » et « dépendance » des établissements.
Faut-il remettre l’ouvrage sur le métier ? Si Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a réaffirmé mordicus que la réforme de la tarification des EHPAD se poursuivrait, elle a cependant nommé, le 30 janvier, Pierre Ricordeau, inspecteur général des affaires sociales, en tant que médiateur. Sa mission ? « Expertiser les appréciations divergentes entre certains départements, certaines fédérations, et les services du ministère, sur les conditions de déploiement et les conséquences budgétaires de la réforme. » Les conclusions de cette médiation pourraient déboucher sur une « amélioration de la simplification de la réforme et de sa lisibilité ». En somme, pas question de retrait, pas question de moratoire, l’heure est au diagnostic !
Depuis la mise en œuvre de la réforme de la tarification des EHPAD, le 1er janvier 2017, la grogne n’a cessé de monter crescendo dans le secteur. En cause : la convergence tarifaire sur sept ans, de 2017 à 2023, des enveloppes « soins » et « dépendance » des établissements publics, associatifs et privés commerciaux. Le point d’orgue de l’expression des mécontentements a été le mouvement de grève d’envergure nationale, le 30 janvier, dans les EHPAD, avec un taux de mobilisation de 31,8 % selon la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Il est vrai que les appréciations concernant la réforme de la tarification sont bien aux antipodes les unes des autres. D’un côté, la ministre des Solidarités et de la Santé martèle que la philosophie de la réforme est de « rétablir de l’équité dans la répartition de financements des EHPAD au regard des seuls critères de l’état de dépendance et du besoin en soins des résidents ». Une position partagée par le Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées), dont les adhérents, les EHPAD commerciaux, sont les grands gagnants de la réforme.
De l’autre, le secteur public et, dans une moindre mesure, le secteur associatif se déclarent les premiers perdants de cette réforme. Dénonçant « l’alignement généralisé par le bas », la Fédération hospitalière de France (FHF) évalue à 200 millions d’euros le transfert des établissements publics vers les établissements privés – notamment commerciaux – au titre de la convergence des tarifs « dépendance ». Durant l’an I de la réforme, en 2017, certains établissements publics et associatifs ont subi une baisse de leur dotation dépendance de 20 % à 30 % avec, comme principale conséquence, la disparition de milliers d’emplois.
« On retire aux établissements dits “surdotés” pour donner aux sous-dotés, sans ressources supplémentaires, alors que 85 % des EHPAD sont déjà sous-dotés. Cet échelonnement sur sept ans pour atteindre la dotation globale maximum en 2023 est insupportable », critique Pascal Martin, secrétaire général adjoint du CH-FO (Syndicat national des cadres hospitaliers Force ouvrière). « La convergence tarifaire n’a rien d’équitable, elle est aveuglément égalitaire. Les établissements ne sont pas soumis aux mêmes réglementations fiscales et sociales, entre le privé commercial, le privé non lucratif, les EHPAD territoriaux rattachés aux centres communaux d’action sociale (CCAS) et les établissements publics autonomes », ajoute Yvan Le Guen, permanent syndical chargé des D3S (directeurs des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux) au Syncass-CFDT.
Selon les chiffres de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), le GIR moyen pondéré (GMP) des structures est passé de 680 à 722 entre 2010 et 2016, et le pathos moyen pondéré (PMP) de 180 à 211 dans le même temps. Et les ratios d’effectifs oscillent entre 0,65 et 0,63 ETP (équivalents temps plein), encore loin des objectifs du plan « solidarité grand âge » 2007-2012, qui visait 0,8 ETP pour 10 résidents. « Les effectifs n’ont pas évolué depuis dix ans, alors que la charge de travail du personnel augmente du fait du GMP et du PMP des établissements », souligne Frédéric Cecchin, vice-président du SMPS (Syndicat national des managers du public).
En réponse aux cris d’alerte du secteur public, la DGCS et la CNSA ont dégainé une démonstration toute mathématique. La perte sur le forfait dépendance de certains établissements serait globalement compensée par la hausse des forfaits soins. Une logique des vases communicants qui irrite les représentants du secteur public. « Les augmentations de dotations “soins” visent à accompagner la médicalisation, pour tenir compte des effets de santé, et non à compenser les pertes sur la dépendance », rectifie le Syncass-CFDT.
Interpellée semaine après semaine par les parlementaires à l’occasion des questions au gouvernement, la ministre des Solidarités et de la Santé égrène les montants alloués aux EHPAD : 100 millions d’euros dans le budget 2018 de la sécurité sociale, dont 72 millions d’euros pour créer des postes de soignants, une enveloppe de 28 millions d’euros destinée aux 20 % d’établissements « qui ne gagneront pas à la réforme de la tarification ». Rebelote, fin janvier, Agnès Buzyn a débloqué une enveloppe de 50 millions d’euros supplémentaires pour les EHPAD en difficulté(1).
« Ce n’est pas suffisant ! 50 millions d’euros, cela équivaudra seulement à un budget moyen de 6 800 € supplémentaire par an et par EHPAD dans les six prochaines années », critique Frédéric Cecchin. « Il y a clairement une incompréhension des enjeux de la part du gouvernement ! considère pour sa part Yvan Le Guen. Les crédits non reconductibles ne sont pas un principe d’action. Ce n’est pas avec du saupoudrage de crédits que l’on va régler le problème. Un moratoire de la réforme de la tarification n’aurait qu’un caractère suspensif. Il faut revoir profondément la copie. »
Alors stop ou encore, pour la convergence tarifaire ? « A l’Assemblée nationale, nous ne sommes pas enthousiastes sur la réforme de la tarification des EHPAD », reconnaissait, lors du colloque du SMPS le 30 janvier, Monique Iborra, députée (LREM) de la sixième circonscription de Haute-Garonne, vice-présidente de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale et corapporteure de la mission d’information parlementaire sur les EHPAD, qui rendra ses conclusions le 14 mars. Reste désormais à savoir quel sera le verdict posé par le médiateur. Celui-ci retiendra-t-il l’idée que la convergence tarifaire est un scénario dynamique pour le secteur privé commercial et un scénario « dynamite » pour le secteur public ?
Selon les calculs de la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie), bien que le solde de la convergence « dépendance » soit négatif de 65,6 millions d’euros pour les EHPAD publics, celui-ci est plus que compensé par la convergence positive sur le forfait « soins » : + 165,8 millions d’euros sur la période 2017-2023. Selon cette même estimation, le secteur privé non lucratif gagnerait 104 millions d’euros dans la réforme (+ 1,1 million d’euros sur la dépendance et + 103 millions d’euros sur le soin). Les EHPAD du secteur privé commercial sont les mieux lotis, avec un gain à hauteur de 193,6 millions d’euros (+ 88,7 millions d’euros sur le soin et + 104,9 millions d’euros sur la dépendance). Au final, seuls 2,9 % des EHPAD, tous statuts confondus, seraient en convergence négative sur les deux dotations (soins et dépendance).