Recevoir la newsletter

Retour à la case prison

Article réservé aux abonnés

Un colloque a mis en lumière que les principes de l’ordonnance de 1945 sur la protection des mineurs privilégiant l’éducation à l’enfermement sont battus en brèche. Faute de moyens, de temps et de capacités d’adaptation des structures judiciaires, l’envoi en détention d’un jeune délinquant redevient la règle et les stratégies éducatives l’exception. Explication d’une dérive.

L’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante a semblé marqué un tournant dans la justice des mineurs puisque son objectif était de faire de l’éducation un principe, et de l’enfermement une exception. A l’occasion d’un colloque organisé, à Paris, les 9 et 10 février 2018 – conjointement par le Syndicat national des personnels de l’éducation et du social, section protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ), le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l’Observatoire international des prisons section française (OIP) –, les professionnels du secteur ont fait part de leurs inquiétudes. Il semblerait qu’au fil des réformes de l’ordonnance, dont la dernière a eu lieu en 2016, l’éducation soit (re)devenue l’exception. Principal manque des professionnels pour changer l’équilibre : les moyens, bien sûr, mais surtout, le temps.

Sonia Ollivier est éducatrice en milieu ouvert. Elle commence par un bref rappel de ce que cela veut dire : « C’est une équipe pluridisciplinaire qui accueille et accompagne un jeune et sa famille dans le cadre d’une ordonnance prononcée par un juge spécialisé. Le but, c’est de leur offrir un espace de parole pour qu’on puisse le mettre en œuvre ensemble. Il s’agit de rencontrer l’ado et de créer un lien de confiance pour qu’il puisse s’exprimer sur la société dans laquelle il vit, son avenir et ses relations avec ses proches. Au final, l’objectif c’est de faire en sorte qu’il explique pourquoi il a violé la loi. » Pour cela, il faut du temps. Comme Rome, un lien de confiance ne se fait pas en un jour. Sonia Ollivier poursuit : « La multiplication des procédures rapides aboutit à un basculement trop fréquent entre pénal et éducatif. On a besoin de temps. Chaque histoire est singulière, il faut prendre soin des ados qu’on accueille, ne pas choisir à leur place, les responsabiliser, leur permettre d’adhérer a minima aux lois. Chercher à mater les plus récalcitrants donnent des mauvais résultats. »

Mettre les mineurs en détention plutôt que les éduquer, la faute aux juges, qui prononcent des mesures dont ils ignorent trop les conséquences ? Pas si sûr. Lucille Rouet est venue expliquer son quotidien de juge des enfants. La magistrate a un regard tout particulier, puisqu’elle a également exercé au parquet, en tant que substitut du procureur.

La singularité de l’adolescent n’est pas prise en compte

Confirmant les propos de Sonia Ollivier, elle précise : « On va plus vite. Quand un mineur est déféré[1], il voit le juge de permanence. Celui-ci ne sait pas qu’il ne faut pas forcément donner une réponse pénale immédiate. » Le droit est aussi une contrainte : « Le législateur a créé des qualifications pénales[2] qui font qu’on arrive vite à 7, voire à 10 ans d’emprisonnement, notamment quand ils s’agit d’affaires de stupéfiants. Nous sommes contraints par la qualification prise dès le départ. Lors de la mise en examen, on doit s’interroger sur l’exactitude de la qualification des faits. » Les magistrats vont également plus vite à cause des logiciels qu’ils utilisent « conçus d’une logique parquetière » dans laquelle « on ne voit pas forcément tout ». « L’outil nous pousse à aller plus vite », insiste Lucille Rouet. La magistrate dénonce également le manque d’alternatives à l’incarcération : « C’est difficile de trouver des lieux d’accueil adaptés dans l’urgence. De plus, un contrôle judiciaire ne fonctionne pas tout le temps pour les mineurs. Par exemple, il n’est pas compatible avec les adolescents. » De fait, donc, en attente de leur jugement, les mineurs sont souvent placés en détention.

« Je ne suis pas du tout éducateur en prison », explique avec déception Vito Fortunato, dont c’est pourtant le métier. « Pour éduquer, il faut pouvoir tenter des choses. En prison, on ne peut pas. » Il raconte les conditions de vie des jeunes détenus qu’il tente, tant bien que mal, de soutenir et d’assister, sur des choses simples : « Quand je suis devenu éducateur, j’ai appris qu’à l’adolescence, on mange plus qu’un adulte. Mais dans toutes les prisons, ce sont les mêmes rations. La singularité de l’adolescence n’est pas du tout prise en compte. La question de la sincérité est au cœur de la vie carcérale, la présomption de mensonge est permanente. » En principe, les mineurs de moins de 16 ans doivent poursuivre leur obligation scolaire, mais Vito Fortunato dénonce un « maximum de 1 h 30 de scolarité par semaine ». En effet, les enseignants doivent dispenser leurs cours de manière individuelle, car toute l’organisation carcérale est basée sur le critère de la dangerosité. Rien de collectif n’est organisé. Trop risqué, pour l’administration pénitentiaire.

De l’institut médico-éducatif à l’EHPAD, on enferme

Pour Christophe Daadouch, « on a perdu la bataille des mots ». « Ce qui m’a choqué en 2002, raconte le juriste, c’est le terme de “mineur” : on parle d’enfant quand on est bienveillant et de mineur quand on parle d’enfermement. Mais cette question de l’enfermement dépasse les mineurs sous main de justice. Ce n’est pas une volonté d’enfermer, mais une situation de sous-effectif chronique qui provoque la fermeture des lieux. » Une tendance qui, selon lui, ne se résume pas à la délinquance des enfants : « De l’institut médico-éducatif à l’EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes], on enferme et on contraint. Cela touche l’ensemble du médico-social », dénonce le juriste.

Véronique Blanchard et Mathias Gardet, historiens, ont apporté leurs connaissances sur l’histoire de l’enfermement des mineurs. Leurs travaux portent particulièrement sur une analyse : comment la société a considéré l’enfermement comme une solution. Cela en a donné un livre publié fin 2017(3). Véronique Blanchard résume les deux derniers siècles comme « 200 ans d’enfermement, comme colonne vertébrale de la justice des enfants ».

« Il faut se rappeler qu’avant le XIXe siècle, la question de l’âge n’est absolument pas présente, raconte Mathias Gardet. La première idée de l’Etat va être de créer des quartiers de mineurs dans les établissements pénitentiaires. En 1819, un arrêté ordonne la séparation des enfants et des majeurs, pour éviter la promiscuité entre adultes et enfants. » Il faut se rappeler qu’à l’époque, la vagabondage était un délit. Des gosses de 5 ans sans domicile fixe pouvaient se retrouver en prison, aux côtés de criminels aguerris. Des années plus tard, même si des choses ont par ailleurs changé, une mission générale dénonce le non-respect de cette disposition, en 1990. A cause de la surpopulation carcérale et des coûts importants qu’impliquent les aménagements, l’étanchéité entre enfants et adultes dans les établissements pénitentiaires n’a jamais été totalement respectée.

Mais l’imagination de la société ne s’arrête pas là. Au début du XIXe siècle, on invente les prisons spécifiques. La Petite Roquette est bâtie en 1825, en plein Paris. L’établissement pénitentiaire pour mineurs veut interdire tout contact entre les jeunes détenus, qui ont entre 14 et 20 ans. Pour les réunir, un amphithéâtre à boxes est construit. Les enfants y sont conduits une cagoule sur la tête. Ils ne peuvent jamais se voir, et encore moins se parler. Pour simple exercice physique, on leur donne un cerceau, dans une cour de l’établissement de deux mètres de large, à peine 20 minutes par jour. « Il faudra un siècle pour abandonner l’idée de l’isolement complet, qui provoquait des suicides ou des folies chez les mineurs », précise Mathias Gardet.

La justice française des enfants repose sur un deuxième pilier : le placement. Ce sont par exemple les maisons de correction, dont le terme administratif était « colonies agricoles pénitentiaires ». Les enfants étaient envoyés à la campagne pour les faire travailler dans les champs. « Il n’y avait pas de hauts murs, explique Véronique Blanchard. Mais les champs et le travail marquaient une très forte ressemblance à des univers carcéraux. » Une image passe à travers le vidéoprojecteur. Une photo en noir et blanc, vieillotte, d’un immense corps de ferme, dans lequel sont posées des cages en fer. Un gardien les longe, en marchant, un trousseau de clés énorme à la main. « Les punitions sont fréquentes, raconte encore Véronique Blanchard, comme pour enfoncer le clou. Elles font partie de l’organisation : les gamins pouvaient aller au mitard, au pain et à l’eau, avec de la soupe tous les 4 ou 5 jours. Les plus récalcitrants d’entre eux auront droit à la camisole de force. » Réalité effrayante de ce qu’on appelle « pays des droits de l’Homme ». Ce genre d’établissement a existé jusque dans les années 1930.

L’Etat cherche toujours une solution alternative à l’enfermement et finit par en trouver une : le milieu ouvert. « L’idée est de placer en apprentissage chez des petits patrons des jeunes qui ont eu affaire à la justice. On va jouer sur l’éloignement du quartier, de la ville. L’enfant est placé et déplacé. » Milieu ouvert, certes, mais on est encore loin d’un environnement « naturel ». Dans les années 1950, des inspecteurs internes aux sociétés de patronage dénoncent les conditions de vie de ces jeunes apprentis : « Nos garçons sont logés dans des écuries, dépendances, buanderies. Nous seront intransigeants sur ces questions. Le jeune homme doit être logé dans une chambre. » Les familles d’accueil de l’époque exploitaient davantage qu’elles n’accueillaient…

L’ordonnance de 1945 était censée marquer un tournant dans l’histoire de la justice des mineurs. Dans l’exposé des motifs, le gouvernement de l’époque précise que les mineurs ne pourront faire l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme. Et pourtant, dès l’article 2, on y trouve l’exception. « On va essayer d’imaginer un monde sans incarcération, explique Véronique Blanchard, et puis tout de suite après, c’est comme si le législateur se disait “bon, mais quand même…” » Finalement, les premiers vrais changements n’interviendront que dans les années 1970. Les éducateurs vont refuser de punir les enfants et vont inventer de nouveaux lieux de prise en charge, tels qu’on les connaît aujourd’hui.

Notes

(1) Le déferrement est un stade de la procédure pénale qui suit notamment la garde à vue. Il consiste en une audition devant le procureur de la République, qui décide des suites à donner aux poursuites. Le mis en cause a droit à l’assistance d’un avocat.

(2) La qualification est l’étape pendant laquelle le juge détermine si des faits se rattachent à une infraction prévue par le code pénal.

(3) Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enfants – Véronique Blanchard et Mathias Gardet – Ed. Textuel, coll. « Histoire Beaux Livres », 2017.

Actualités

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur