Véronique Blanchard et Mathias Gardet, historiens, ont apporté leurs connaissances sur l’histoire de l’enfermement des mineurs. Leurs travaux portent particulièrement sur une analyse : comment la société a considéré l’enfermement comme une solution. Cela en a donné un livre publié fin 2017(1). Véronique Blanchard résume les deux derniers siècles comme « 200 ans d’enfermement, comme colonne vertébrale de la justice des enfants ».
« Il faut se rappeler qu’avant le XIXe siècle, la question de l’âge n’est absolument pas présente, raconte Mathias Gardet. La première idée de l’Etat va être de créer des quartiers de mineurs dans les établissements pénitentiaires. En 1819, un arrêté ordonne la séparation des enfants et des majeurs, pour éviter la promiscuité entre adultes et enfants. » Il faut se rappeler qu’à l’époque, la vagabondage était un délit. Des gosses de 5 ans sans domicile fixe pouvaient se retrouver en prison, aux côtés de criminels aguerris. Des années plus tard, même si des choses ont par ailleurs changé, une mission générale dénonce le non-respect de cette disposition, en 1990. A cause de la surpopulation carcérale et des coûts importants qu’impliquent les aménagements, l’étanchéité entre enfants et adultes dans les établissements pénitentiaires n’a jamais été totalement respectée.
Mais l’imagination de la société ne s’arrête pas là. Au début du XIXe siècle, on invente les prisons spécifiques. La Petite Roquette est bâtie en 1825, en plein Paris. L’établissement pénitentiaire pour mineurs veut interdire tout contact entre les jeunes détenus, qui ont entre 14 et 20 ans. Pour les réunir, un amphithéâtre à boxes est construit. Les enfants y sont conduits une cagoule sur la tête. Ils ne peuvent jamais se voir, et encore moins se parler. Pour simple exercice physique, on leur donne un cerceau, dans une cour de l’établissement de deux mètres de large, à peine 20 minutes par jour. « Il faudra un siècle pour abandonner l’idée de l’isolement complet, qui provoquait des suicides ou des folies chez les mineurs », précise Mathias Gardet.
La justice française des enfants repose sur un deuxième pilier : le placement. Ce sont par exemple les maisons de correction, dont le terme administratif était « colonies agricoles pénitentiaires ». Les enfants étaient envoyés à la campagne pour les faire travailler dans les champs. « Il n’y avait pas de hauts murs, explique Véronique Blanchard. Mais les champs et le travail marquaient une très forte ressemblance à des univers carcéraux. » Une image passe à travers le vidéoprojecteur. Une photo en noir et blanc, vieillotte, d’un immense corps de ferme, dans lequel sont posées des cages en fer. Un gardien les longe, en marchant, un trousseau de clés énorme à la main. « Les punitions sont fréquentes, raconte encore Véronique Blanchard, comme pour enfoncer le clou. Elles font partie de l’organisation : les gamins pouvaient aller au mitard, au pain et à l’eau, avec de la soupe tous les 4 ou 5 jours. Les plus récalcitrants d’entre eux auront droit à la camisole de force. » Réalité effrayante de ce qu’on appelle « pays des droits de l’Homme ». Ce genre d’établissement a existé jusque dans les années 1930.
L’Etat cherche toujours une solution alternative à l’enfermement et finit par en trouver une : le milieu ouvert. « L’idée est de placer en apprentissage chez des petits patrons des jeunes qui ont eu affaire à la justice. On va jouer sur l’éloignement du quartier, de la ville. L’enfant est placé et déplacé. » Milieu ouvert, certes, mais on est encore loin d’un environnement « naturel ». Dans les années 1950, des inspecteurs internes aux sociétés de patronage dénoncent les conditions de vie de ces jeunes apprentis : « Nos garçons sont logés dans des écuries, dépendances, buanderies. Nous seront intransigeants sur ces questions. Le jeune homme doit être logé dans une chambre. » Les familles d’accueil de l’époque exploitaient davantage qu’elles n’accueillaient…
L’ordonnance de 1945 était censée marquer un tournant dans l’histoire de la justice des mineurs. Dans l’exposé des motifs, le gouvernement de l’époque précise que les mineurs ne pourront faire l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme. Et pourtant, dès l’article 2, on y trouve l’exception. « On va essayer d’imaginer un monde sans incarcération, explique Véronique Blanchard, et puis tout de suite après, c’est comme si le législateur se disait “bon, mais quand même…” » Finalement, les premiers vrais changements n’interviendront que dans les années 1970. Les éducateurs vont refuser de punir les enfants et vont inventer de nouveaux lieux de prise en charge, tels qu’on les connaît aujourd’hui.
(1) Mauvaise graine. Deux siècles d’histoire de la justice des enfants – Véronique Blanchard et Mathias Gardet – Ed. Textuel, coll. « Histoire Beaux Livres », 2017.