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Miracle ou mirage ?

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Après des années d’errements, la télémédecine devrait décoller en 2018, particulièrement dans les EHPAD. Le principal obstacle, la tarification des actes, devrait sauter grâce à la négociation entre les médecins et l’assurance maladie. Mais tous les établissements ne sont pas prêts à affronter cette révolution technologique et organisationnelle et la fracture numérique, dans les territoires, constitue un frein à un égal accès à cette pratique innovante.

« D’ici à 2020, tous les EHPAD [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] et tous les territoires en difficulté seront équipés d’un matériel de téléconsultation afin d’éviter les hospitalisations inutiles et [d’]améliorer la qualité du suivi des patients résidents. Pour cela, les crédits du fonds d’intervention dédié seront doublés en 2018, pour passer à 18 millions d’euros. » Cette déclaration ambitieuse du Premier ministre, Edouard Philippe, en octobre 2017, est la première d’une longue série d’engagements du gouvernement en faveur du déploiement de la télémédecine. Il est vrai que la France affiche dans ce domaine un retard flagrant. « Vingt-cinq années après la première expérimentation, la télémédecine demeure en France une pratique marginale. Les pouvoirs publics n’ont pas élaboré de stratégie unifiée, cohérente et continue pour en assurer le développement », critiquait la Cour des comptes dans un rapport sur la sécurité sociale, publié en septembre 2017.

Politique du saupoudrage

Craignant une inflation du nombre d’actes et donc des coûts, les pouvoirs publics se sont longtemps opposés à l’intégration dans le droit commun de la télémédecine, préférant multiplier les expérimentations locales afin de préfigurer des tarifs de prise en charge. « Durant les dix dernières années, la France a eu un problème de gouvernance. On a des pilotes, des copilotes, des sur-pilotes : la direction générale de l’offre de soins [DGOS], des agences de santé qui se mêlent de tout, des agences régionales de santé [ARS] et des groupements de coopération sanitaire [GCS] e-santé qui sont parfois en conflit. De l’argent a été saupoudré un peu partout pour les expérimentations. Cette politique du saupoudrage a été néfaste. Chaque région avait son propre programme de télémédecine et ses logiciels propres. Il n’y a pas eu de gros industriels qui ont émergé. Les acteurs ont dû faire face à une lourdeur administrative, à de nombreux textes, contrats et conventions, avant de commencer à pratiquer la télémédecine. La France a loupé le coche des expérimentations de la télémédecine », critique le Dr Pierre Espinoza, médecin interniste expert en télémédecine et en systèmes d’information.

Remboursement de droit commun

Mais 2018 devrait sortir la télémédecine de la marginalité pour l’inscrire à part entière dans les politiques publiques de santé. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 (art. 54) abroge le cadre expérimental de prise en charge de la télémédecine afin d’en permettre le développement grâce à une prise en charge par l’assurance maladie dans les conditions de droit commun et selon des modalités fixées par voie conventionnelle. Dans cette optique, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a entamé, le 18 janvier, les négociations – jusqu’à la fin du mois de mars – avec les cinq syndicats représentatifs des médecins libéraux (CSMF, FMF, SML, MG France, Le Bloc[1]), en vue de définir les modalités et les tarifs de la téléconsultation et de la téléexpertise.

Pour les EHPAD, les lignes ont bougé dès l’an passé. Le 1er mars 2017, les représentants des médecins et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) ont signé l’avenant numéro 2 à la convention médicale, qui admet au remboursement de droit commun l’acte de téléexpertise-admission-changement de médecin en EHPAD, dit « TDT » (téléexpertise dossier traitant). Pour rappel, l’entrée d’un résident en EHPAD se traduit, dans 46 % des cas, par un changement de médecin traitant. De fait, cette téléexpertise assurée par l’ancien médecin traitant sollicité à distance par le nouveau – avec l’accord du résident – devrait permettre une meilleure coordination des soins, en particulier pour les prescriptions. Quelque 80 000 personnes par an seraient concernées.

Le deuxième article ajouté dans la nomenclature porte sur la « téléconsultation d’un résident en EHPAD par le médecin traitant ou le médecin de garde sur le territoire sur appel d’un professionnel de santé pour une modification d’un état lésionnel et/ou fonctionnel sans mise en jeu du pronostic vital ». Cette décision de l’UNCAM – pour les deux actes – a pris effet le 1er novembre 2017.

« Beaucoup d’EHPAD vont se lancer dans la télémédecine grâce à ce feu vert du financement des actes. Mais quel sera leur accompagnement pour le projet de soins, les démarches administratives pour répondre à la réglementation, le déploiement technique ? », s’interroge Mickaël Chaleuil, président de l’association Agir pour la télémédecine. Et d’ajouter : « Le risque est de voir apparaître une télémédecine à deux vitesses avec, d’un côté, de grands groupes privés commerciaux ­d’EHPAD, tels que Korian, Orpea ou LNA Santé (ex-Le Noble Age), qui ont les atouts et les fonctions supports pour accompagner leurs établissements et, de l’autre, de petites associations gestionnaires ­d’EHPAD sans moyens de pilotage. »

Déserts numériques et déserts médicaux

Et sur le plan technique, tous les EHPAD sont-ils aujourd’hui matures pour honorer ce rendez-vous avec la télémédecine ? Pas vraiment. La mise en place de la télémédecine suppose que l’établissement réponde à certains critères d’éligibilité (réseau wi-fi, débit Internet, niveau d’informatisation avancé…). Or, de nombreuses régions font face à une disparité d’accès aux technologies numériques et notamment à Internet. En 2017, la France était classée à la 24e place dans l’Union européenne sur la couverture moyenne des opérateurs en 4G et à la 20e place sur le déploiement du très haut débit fixe. Et, bien souvent, les déserts numériques sont… les déserts médicaux.

Nouvelles pratiques professionnelles

Enfin, si le décollage de la télémé­decine en EHPAD nécessite des investissements technologiques, il repose obligatoirement sur la formation des professionnels de santé. Pour l’heure, les pratiques et techniques de la télémédecine restent à développer dans les différents cursus de formation. « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les jeunes générations de médecins sont réfractaires à la télémédecine. Les études en médecine n’ont pas évolué depuis des décennies et elles n’ont pas intégré les connaissances nécessaires pour prendre le virage du numérique en santé », souligne Mickaël Chaleuil. Et pourtant, pour assurer le décollage de la télémédecine en EHPAD, l’adhésion des médecins traitants des résidents sera capitale.

« Il faut mobiliser les médecins généralistes, les faire adhérer au projet. La télémédecine implique de vrais changements de pratiques. Les médecins peuvent avoir peur de perdre leur rôle. Il est nécessaire de leur expliquer que la télémédecine est une autre façon pour eux d’orienter leur patient, sur prescription. Ils restent maîtres du dispositif. Les commissions de coordination gériatriques des EHPAD peuvent être l’occasion d’informer les professionnels de santé, mais la participation des médecins traitants est assez faible », souligne Stéphanie Ottou, chargée de mission du GCS « e-santé » des Pays de la Loire, dévolue à l’expérimentation « Télémédecine Vendée 2017 » déployée dans sept EHPAD.

Tous les personnels des EHPAD vont être également affectés par l’arrivée de la télémédecine : organisation médicale et logistique des actes de télémédecine, nouvelles possibilités de prise en charge médicale, utilisation plus intensive de l’informatique… « Quel va être le niveau d’appréhension des personnels quant à l’usage accru de l’informatique ? Il n’est pas évident que tous les personnels maîtrisent l’informatique et, surtout, plusieurs solutions informatiques parfois complexes qui nécessitent d’être utilisées en toute sécurité – pas de mauvaises manipulations, pas de pertes d’informations… », soulignait, dès mars 2016, l’étude « Télémédecine en EHPAD mutualiste : étude, retour d’expériences » de la Fondation de l’avenir pour la recherche médicale appliquée. Deux ans après, ces interrogations restent entières.

Les cinq actes de télémédecine réalisables

Le décret du 19 octobre 2010 définit cinq types d’actes médicaux relevant de la télémédecine.

1. La téléconsultation : consultation à distance entre un patient et un professionnel médical.

2. La téléexpertise : un professionnel médical sollicite à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux, en raison de leur formation ou de leurs compétences particulières.

3. La télésurveillance médicale : un professionnel médical surveille et interprète à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, prend des décisions relatives à la prise en charge de ce patient.

4. La téléassistance médical : un médecin assiste à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte.

5. La régulation médicale : les médecins des centres du 15 établissent par téléphone un premier diagnostic afin de déterminer et de déclencher la réponse la mieux adaptée à la nature de l’appel.

Ordre et contrordre

Dès 2016, l’ordre des médecins constatait qu’« alors que le décret n° 2010-129 du 19 octobre 2010 pris pour l’application de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 continue d’imposer des conditions juridiquement strictes pour la mise en œuvre des pratiques de la télémédecine et que les conditions de la rémunération des praticiens qui y contribuent font toujours défaut à la CCAM, des offres parallèles de prestations médicales téléphoniques ou informatiques s’affranchissent de ces contraintes, ouvrant vers des situations d’“ubérisation de la médecine” ».

Le cas particulier de la télésurveillance

Par opposition à la téléconsultation et à la téléexpertise, dont les modalités de remboursement entrent donc dans le droit commun, la télésurveillance médicale, procédé qui permet à un professionnel de santé d’analyser et d’interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient, continuera à faire l’objet d’expérimentations. « La télésurveillance fait intervenir de très nombreux acteurs, notamment industriels, ce qui, selon l’Etat, induirait un temps d’appropriation plus long et justifie la présente mesure », explique le cabinet d’avocats Seban & Associés.

Les clés pour se lancer

Nathalie Salles est gériatre, professeur des universités et chef du pôle de gérontologie clinique du centre hospitalier universitaire de Bordeaux. Depuis 2012, elle est le pilote médical de l’expérimentation aquitaine de télémédecine menée en EHPAD pour laquelle elle réalise des téléconsultations et téléexpertises. Dans ce livre, elle détaille les raisons de pratiquer la télémédecine en EHPAD, les bénéfices pour les parties prenantes (résidents, soignants, spécialistes requis…), les éléments à connaître avant de se lancer et la marche à suivre. Puis elle donne les clés pour réussir son projet (dynamique collégiale, formation…).

« Télémédecine en EHPAD, les clés pour se lancer », Nathalie Salles, Ed. Le Coudrier, octobre 2017, 29,50 €.
Notes

(1) CSMF : Confédération des syndicats médicaux français. FMF : Fédération des médecins de France. SML : Syndicat des médecins libéraux. « MG France » est le nom usuel de la Fédération française des médecins généralistes.

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