« A l’heure où se décide une nouvelle réforme des professions du travail social, loin des décisions technocratiques, à l’Afertes d’Avion, on apprend à devenir travailleur social non seulement grâce au dehors, à l’extérieur, aux autres, mais aussi grâce à soi. Les frontières “sautent”, les murs ne servent plus de base de repli, de retranchement aux jeunes professionnels ; ils abritent les temps de réflexion, d’apprentissage partagé et d’étayage conceptuel. Dans cet écrin de formation métissée, les étudiants expérimentent les ressorts philosophiques et techniques de la pédagogie sociale, du développement social…
Partir du territoire pour penser les dispositifs de formation s’impose actuellement comme une nécessité(3). Néanmoins, au-delà de l’ambition d’apporter une réponse “toute faite” à l’injonction implicite de la commande publique, quel est l’intérêt de l’approche “hors les murs”, portée et mise en œuvre par la pédagogie sociale, pour la formation des futurs générations de travailleurs sociaux ?
Que ce développement social soit qualifié de local ou de territorial, ce rapport singulier à la formation en travail social se nourrit d’expériences passées. Les pères fondateurs de l’éducation populaire, Fernand Deligny, Célestin Freinet, Saul Alinsky, ne sont jamais très loin.
Aujourd’hui, c’est Laurent Ott qui participe à alimenter la réflexion pédagogique par des concepts de travail qui servent à construire une démarche anticipatrice du travail social de demain. C’est d’ailleurs grâce à son expérience singulière et à sa rencontre avec notre équipe de formateurs en 2013 que naîtra l’idée de formaliser, d’expérimenter et de mettre en musique, à Avion, la formation des éducateurs dans la lignée des « pédagogies sociales »(4). Cette approche formative d’un « social en actes »(5) repose sur le principe d’un travail éducatif effectué auprès d’enfants et de familles dans leur environnement naturel et direct (bas d’immeuble, rues, espaces publics…). Dans cette optique, il s’agit de penser la professionnalisation de l’éducateur non pas sur, mais en lien avec les attentes, les besoins et la compréhension de l’autre. L’autre grâce à qui et avec qui le travailleur social va se former ; celui que certains nomment « l’usager » est dans cette dynamique singulière ; il est considéré comme faisant partie d’un tout qui le lie à un environnement vivant, dynamique, affectif, émotionnel. L’idée principale est « de faire que cet espace devienne un lieu ouvert au quartier, à la localité et au bassin minier : un lieu de vie et de confrontation à travers l’accompagnement de la population dans ses besoins de formation, de projets, de discussions, à travers des temps de rencontres thématisées et des projets construits ensemble »(6). Ainsi, cet espace singulier de ressources a pour ambition de devenir un lieu de formation à la citoyenneté, un lieu soucieux de la place de chacun dans son désir d’appropriation ou de réappropriation du pouvoir d’agir. Les interactions ainsi perçues convoquent donc l’éducateur en formation à envisager l’autre, l’habitant, sous le prisme de ses liens d’appartenance forgés par l’histoire et l’ancrage dans le territoire. Ici, l’autre reste et demeure avant toute chose un acteur-auteur de sa propre histoire.
La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale enjoignait les professionnels de l’intervention sociale à placer l’usager au centre des dispositifs d’aide. Ici, il s’agit plutôt de replacer les usages professionnels au service des préoccupations des uns comme des autres. Dit autrement, c’est remettre le “faire ensemble” sur le métier à tisser de la professionnalisation, conformément aux orientations actuelles du travail social.
Dans la lignée des pédagogues sociaux, nous considérons que l’apprentissage des métiers de l’éducation ne peut reposer exclusivement sur une déclinaison mécaniciste des référentiels de formation. C’est grâce à l’articulation entre expériences vécues, in vivo et in situ, en collaboration avec la communauté éducative locale(7) et les publics qui vivent sur cet espace social, que le futur intervenant social acquiert un socle de compétences professionnelles qu’il mettra certainement au service de la transformation sociale et de la désinstitutionalisation du secteur social.
Aujourd’hui il s’agit plus d’“armer” que de former des éducateurs dans un monde en mutation. Les modèles anciens ne fonctionnent plus. Nous formons des résistants intellectuels, sociaux et culturels.
Nous ne pouvons plus concevoir un “travail social” sur le mode du passage et de l’accompagnement, mais bien du côté d’une nécessaire transformation sociale. La généralisation des précarités nécessite aujourd’hui que les acteurs éducatifs recréent le sens de leur métier. Il ne suffira plus d’adapter des personnes en situation d’exclusion. On ne peut plus considérer le travail éducatif comme un accompagnement vers une société qui insère. Car la société ne constitue plus aujourd’hui un milieu social intégratif et désinsère en continu des groupes et des individus de plus en plus nombreux.
Ce sont ces travailleurs sociaux, ces éducateurs “tout terrain”, entraînés et engagés, qui devront désormais inventer les pratiques nécessaires à notre vie commune. »
Contact : p.dugue@afertes.org
(1) Association présente à Arras et à Avion (Pas-de-Calais).
(2)
(3) Voir deux rapports relatifs aux « états généraux du travail social » : « Développement social et travail social collectif » – Rapport remis le 18 février 2015 par Michel Dagbert, alors président du conseil départemental du Pas-de-Calais –
(4) Voir Laurent Ott, Pédagogie sociale. Une pédagogie pour tous les éducateurs – Ed. Chronique sociale, 2011.
(5) Voir Michel Chauvière, « Le “social en actes” aux prises avec l’hégémonie du management », dans Marie-Dominique Perrot et al. (dir.), Ordres et désordres de l’esprit gestionnaires. Où vont les métiers de la recherche, du social et de la santé ?, éd. Réalités sociales, Lausanne, 2006, pages 186-202.
(6) Projet pédagogique de l’Afertes d’Avion.
(7) Centres sociaux, associations locales d’entraide, espaces « jeunesse », collèges, lycées, écoles élémentaires, acteurs municipaux, services sociaux départementaux, missions locales…