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« Migration : une affaire européenne »

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Robert Lafore : Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

Le gouvernement a présenté ce mois-ci un projet de texte « asile-immigration ». On ne peut pas dire que la problématique générale soit nouvelle ; on ressent même une forte impression de répétition sans fin des mêmes solutions à un problème qui semble insoluble et suscite d’éternels débats dans lesquels les préoccupations humanitaires semblent constamment affronter la realpolitik selon un répertoire de positions établies de longue date. Inflexions à droite ou à gauche, agitations, mobilisations, protestations, tout cela compose une scène qui paraît bien dérisoire lorsque la réalité nous submerge : frêles esquifs conduisant trop souvent leurs passagers à la mort, « jungles » et autres camps où se concentrent toutes ces misères, profiteurs et mafias cyniques qui vivent de trafics d’êtres humains, familles à la dérive, mineurs lancés dans une machinerie infernale ; et, en arrière-fond, ce fait incontestable : l’immigration vers nos pays est une donnée structurelle des équilibres géopolitiques, et il est chimérique de l’affronter comme une situation conjoncturelle que des remèdes procéduraux pourraient régler. Le couple « générosité-fermeté » traduit dans un appareillage constitué de mécanismes policiers et/ou d’assistance individualisés, que l’on peut sophistiquer à l’envi, ressemble furieusement à une obsession dans le traitement des symptômes.

Pourtant, c’est bien sur ce terrain que nous ramène le projet. Côté générosité, diverses mesures : allongement important de la durée des cartes de séjour « protection subsidiaire » et « apatridie » ; extension du « passeport talent » à de nouvelles catégories ; transposition de la directive « étudiant chercheur » ; création d’un « passeport santé » ; et aussi accélération des procédures de demande d’asile – mais là avec une ambiguïté, puisque la mesure peut se comprendre aussi bien comme un avantage pour les étrangers concernés que comme un renforcement des contrôles et, par là, des reconduites à la frontière. Côté fermeté, le gouvernement veut renforcer l’« efficacité » et la « crédibilité » de la lutte contre l’immigration irrégulière : durée de retenue administrative étendue de 16 à 24 heures ; durée de rétention administrative portée de 45 à 90 jours, avec des allongements possibles ; mesures accroissant les pouvoirs préfectoraux et destinées à limiter les possibilités pour les étrangers de se soustraire aux mesures d’éloignement. Bref, un nouvel exercice d’équilibrisme juridico-procédural qui, d’ailleurs, n’a pas convaincu le monde associatif, déjà échaudé par la circulaire « Collomb » de l’automne dernier.

Mais les partisans de la plus grande fermeté ou de l’objectif phantasmatique « immigration zéro » n’y trouvent évidemment pas du tout leur compte. En considérant tout d’abord la question sur le plan des personnes étrangères se trouvant sur notre territoire sans titre à y séjourner, il semble bien que l’alternative principale au travers de laquelle on les classe est obsolète. D’un côté, le droit d’asile, vieil héritage de la Convention de Genève de 1951, construite pour les populations déplacées de l’Europe d’après-guerre : l’outil est désadapté et pervers puisqu’il conduit tout étranger un tant soit peu réaliste à s’en réclamer, ce qui paralyse le système et le transforme en un dispositif de tri extrêmement sélectif et contreproductif. Pour la masse de ceux qui ne peuvent en bénéficier, ils basculent alors dans l’immigration « économique », catégorie résiduelle et par défaut qui regroupe le plus grand nombre ; en réalité, un « fourre-tout » qui devrait conduire à l’éloignement, alors que cette visée, impraticable à grande échelle, infléchit le système vers une logique sécuritaire et policière, les « sans-papiers » appelant une répression qui, à son tour, fait grossir inéluctablement leur nombre. L’asile et le droit qui le structure doivent être reconsidérés en profondeur car ils ne correspondent plus à la réalité des migrations ; d’autres motifs de protection de ces populations doivent être pris en compte car ils constituent la réalité du problème : famine, misère, dégradation de l’environnement, conflits de toutes natures et faillite des Etats.

Il n’est pas interdit de rêver !

C’est dire que le traitement curatif, individualisé et sécuritaire est hors de propos. Il conviendrait sans doute de changer radicalement de modèle : traiter la question à une échelle géopolitique pertinente, ce qui renvoie à la capacité de construire une politique européenne des migrations ; quitter la position défensive pour anticiper ces phénomènes de façon à s’organiser pour en maximiser les effets positifs (car ils sont nombreux) et à en réduire ses aspects négatifs (qui sont incontestables) ; loin des caricatures simplistes, donc, dans un équilibre difficile, certes, mais d’une autre nature que la dialectique assistance-police sous arbitrage d’affrontements stériles. Il n’est pas interdit de rêver…

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