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Le gay Refuge

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Victimes d’homophobie, parfois rejetés par leur famille à cause d’une orientation sexuelle qu’ils n’assument pas toujours eux-mêmes, de nombreux jeunes homosexuels prennent le dangereux chemin de la précarité et de la marginalisation, qui les mène parfois jusqu’à la rue. A Montpellier, depuis 2003, une association les recueille, les aide à se réinsérer et, surtout, à retrouver confiance en eux.

« Une famille de substitution. » C’est ce que Samir, homo­sexuel de 29 ans, dit avoir trouvé au Refuge, où il est hébergé depuis six mois. « J’ai ici un soutien moral et physique de tous les jours, qui me sécurise. » Le jeune homme est arrivé à Montpellier après avoir quitté la Haute-Savoie et vécu sans domicile fixe, voire dans la rue, pendant de nombreuses semaines. « Lorsque mon homosexualité a été dévoilée, il y a eu trop de pression, de ma compagne, de ma mère, j’ai été rejeté… C’était soit mourir, soit partir. » Ce dernier a pu prendre contact avec l’association, grâce à sa référente de centre communal d’action sociale (CCAS). « Dès le premier entretien avec la conseillère du Refuge, j’ai ressenti une vraie écoute, de la bienveillance, c’était rassurant », confie Samir, accueilli en pleine dépression, avec des addictions et de grosses crises d’angoisse. « Je suis hébergé en colocation, et suis aussi suivi par une psychologue, assure-t-il. J’ai toujours des hauts et des bas, mais je me sens un peu mieux. »

Hébergés sous contrat

Outre l’appartement-relais que le Refuge a mis à sa disposition, Samir a trouvé un accompagnement individualisé et global. « Confrontés à l’homophobie et à l’exclusion familiale, ces jeunes arrivent souvent très abîmés et en situation de précarité », résume Céline Gross, conseillère en économie sociale et familiale (CESF). « Au-delà de la stabilité psychologique ou sociale, nous faisons tout pour les amener vers leur autonomie en matière d’emploi et de logement. » Salariée de l’association, la travailleuse sociale accueille chaque candidat à l’hébergement pour un entretien individuel préalable. « Cela permet d’évaluer les situations, ce que l’on peut apporter à ce jeune, et ce que lui souhaite. » Lorsqu’ils arrivent au Refuge, un temps leur est toutefois accordé pour qu’ils posent leurs valises « car le but est d’abord de les rassurer et de les tranquilliser », précise Frédéric Gal, directeur général du Refuge.

Pour ce dernier, l’accompagnement, « c’est notamment être présent quand ces jeunes ne vont pas bien. » Avant de préciser : « Vu les difficultés qu’ils ont pu rencontrer et l’homophobie à laquelle ils ont été confrontés, c’est parfois très compliqué d’aller chercher du travail si l’on n’a pas réglé certains problèmes avant. » Un soutien qui mobilise, entre autres, la travailleuse sociale dont le bureau se trouve sur le lieu même des hébergements, mais aussi deux éducateurs spécialisés stagiaires, deux services civiques, l’un chargé d’aider les jeunes dans la tenue des appartements, et l’autre, dans leurs démarches administratives, professionnelles, médicales ou sociales. Et des bénévoles viennent aussi proposer des activités : art-thérapie, musicothérapie, couture, peinture, écriture, etc.

L’hébergement temporaire se fait pour une période d’un mois, reconductible sur décision de l’équipe éducative, dans un petit immeuble de la ville dont le Refuge loue les appartements à un bailleur privé. « Cela peut durer six mois, voire un an si le projet le nécessite », résume Frédéric Gal. L’association peut loger dix jeunes au total (dans six appartements ou studio) et deux dans un hôtel, dans le cadre du dispositif hivernal d’urgence (DHU). L’entrée dans le logement, elle, passe systématiquement par la signature d’un « contrat d’hébergement » qui édicte des règles en matière d’heure de lever, de tenue de l’appartement, de respect du voisinage… « Ces jeunes ont quitté le domicile familial très brutalement, ils n’ont pas forcément appris à se débrouiller seuls. Nous les aidons à cuisiner, à faire des machines à laver, à se responsabiliser, détaille Céline Gross. Ils ont été livrés à eux-mêmes, sans règles, sans contraintes, et c’est parfois compliqué d’adhérer, de se confronter à des obligations. » La colocation, qui se fait en fonction de la place disponible, représente un moyen d’agir contre l’isolement, une façon d’apprendre à cohabiter – « à respecter l’autre, à se sociabiliser », souligne Frédéric Gal. Mais elle n’est pas toujours simple à gérer.

Une prise en charge psychologique

Par ailleurs, le contrat engage chaque signataire à entreprendre les différentes démarches qui l’amèneront peu à peu à se prendre en charge. « Je les reçois une fois par semaine, sur rendez-vous, pour faire le point sur l’avancée de leurs démarches. C’est obligatoire dans le cadre du contrat signé », indique la conseillère. Cela concerne la recherche d’un emploi, d’un logement, un budget à travailler, voire un plan d’apurement des dettes – ce qui est fréquent lorsqu’un jeune se retrouve sans soutien parental ou familial ni garant – ou encore l’ouverture d’un droit à la couverture maladie universelle ou l’orientation vers un partenaire extérieur tel que la mission locale pour l’insertion et pour l’emploi. Ce contrat est également valable pour ceux qui sont logés par des tierces personnes mais ont manifesté le besoin d’un soutien dans leurs démarches administratives, ou ont demandé l’aide de la psychologue. Des « contrats d’accompagnement » sont aussi proposés à des jeunes non hébergés qui sont suivis à l’accueil de jour de l’association, ouvert les après-midi, du lundi au vendredi, dans le centre historique.

Hébergés ou en simple suivi, ces jeunes peuvent tous se rendre, sur libre adhésion, aux permanences de l’accueil de jour pour discuter, se rencontrer, boire un café ou faire des démarches plus concrètes : se faire aider pour écrire un courrier, utiliser les ordinateurs pour rédiger un CV, une lettre de motivation, répondre à des offres d’emploi, téléphoner… Ils s’y rendent aussi pour des temps collectifs obligatoires, les mardis et jeudis soir et le samedi après-midi. « Le planning est proposé en début de mois : préparation de repas, café philo, jeux de société et activités extérieures – sorties ludiques (Laser Game) ou culturelles (visite d’exposition), affirme Morgane Le Roux, la chargée de mission responsable de l’accueil de jour. Ce sont des temps collectifs que l’on met en place pour sociabiliser et pour renforcer la cohésion de groupe. »

Une convention signée avec l’Etat

Un atelier « cours de français » animé par une bénévole a récemment été lancé, et un autre de musicothérapie vient de démarrer. « Tout dépend des propositions que les bénévoles nous font. C’est un peu au cas par cas, on voit si ça prend, sinon on arrête », note Morgane Le Roux. L’atelier cuisine, qui a lieu un jeudi par mois, est un passage obligé où chacun mitonne un plat chez soi, avant de le partager le soir, au local, avec l’équipe.

Le passage au Refuge permet d’aborder aussi, outre la question de l’homophobie, d’autres problématiques auxquelles ces jeunes ont été confrontés : la violence, les addictions aux drogues douces ou dures, la prostitution, par exemple. « Certains ont développé ce type de mécanisme pour survivre, ou parce que leur rapport à leur propre homosexualité est très difficile », note Frédéric Gal. Ainsi, l’accompagnement proposé se fait en lien avec des partenaires tels que l’unité mobile intersectorielle de psychiatrie pour les populations en situation de précarité (UMIPPP). « Une infirmière permet de faire le lien avec le volet psychiatrique qui dépend du CHU, des jeunes qui peuvent nécessiter un suivi ou un accompagnement pour des troubles de comportement », explique Céline Gross. Un médecin généraliste a été dédié au Refuge une demi-journée tous les quinze jours, pour des consultations et des prescriptions. « Ce poste très novateur a été validé par le Conseil de l’ordre des médecins », se félicite le directeur général.

Isabelle Chollet, psychologue attitrée, propose une thérapie « plutôt atypique », selon Frédéric Gal, qui fait notamment appel au jeu et à la créativité. La praticienne a démarré son travail avec l’association en 2005, bénévolement d’abord puis comme salariée à la vacation. Elle rencontre les jeunes, obligatoirement, à leur arrivée au Refuge. « Je fais le point avec eux sur leurs besoins, j’évalue comment ils l’appréhendent, résume-t-elle. A leur homosexualité se greffent des relations familiales difficiles, un passé lourd, un problème d’estime de soi. Certains restent dans le déni, d’autres ont des difficultés importantes à parler. » Le travail, dans son cabinet, se fait avec les volontaires, qui prennent eux-mêmes rendez-vous. Les séances (hebdomadaires, bimensuelles ou mensuelles) peuvent passer par l’échange verbal, sinon par un média créatif. Peindre debout pour intégrer la notion de « corps », jouer avec une ardoise à deviner des mots que les jeunes ont du mal à prononcer, ou encore utiliser un bac à sable sec pour créer un monde avec des figurines. « Ils y projettent un univers qui ressemble à leur monde intérieur. C’est une base pour produire des images et être dans l’échange autrement, explique la psychologue. Beaucoup se sont retrouvés dans la rue à cause de la parole, certains ont des vécus traumatiques. Passer par la créativité ou par des symboles permet de faire sortir plein de choses. » C’est le cas pour Samir, qui rêve de devenir danseur : « J’ai démarré avec madame Chollet, et j’ai commencé à mettre des formes, des mots, à sortir des choses. J’aimerais bien avancer. Parfois je me lève le matin, je danse, je tourne tout seul… »

Créée à Montpellier en 2003, cette association a reçu ses premiers soutiens institutionnels en 2006. La direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) de l’Hérault, intéressée par le projet, a été la première à réagir. « Elle a reconnu le besoin d’accueil pour les personnes homosexuelles exclues de chez elles et nous a conventionnés, ce qui est relativement rare, analyse Frédéric Gal. Cela nous a permis d’obtenir une allocation de logement temporaire et d’avoir une prise en charge partielle du studio dont nous disposions alors. »

Le Refuge a aussi signé une convention avec l’Etat, active depuis 2007, et a obtenu depuis plusieurs agréments : en 2013, celui de jeunesse et d’éducation populaire et, en 2014, celui des associations éducatives complémentaires de l’enseignement public, qui lui permet d’agir dans les lycées et parfois dans des collèges. « Nous intervenons de plus en plus auprès des jeunes pour les sensibiliser aux préjugés et aux stéréotypes sur l’homophobie, et à leurs conséquences, et nous agissons aussi auprès des professionnels du secteur social et médico-social, précise Frédéric Gal. Hormis certains centres qui ont inclus des modules de formation où l’on réfléchit à la question du genre et à la sexualité, les formations de travailleurs sociaux n’incluent jamais la dimension de l’homosexualité et de l’homophobie. » Le directeur intervient sur le sujet en première année de formation des éducateurs spécialisés et des assistantes du service social, à l’Institut régional du travailleur social du Languedoc-Roussillon. « Inscrire l’homosexualité dans toutes les strates de la société est encore difficile, constate-t-il toutefois. La question reste relativement taboue, il y a beaucoup de frilosité de la part des établissements. »

3 000 appels par an

Le Refuge avait démarré par l’accueil simple de jeunes homosexuels exclus du foyer familial ou partis d’eux-mêmes. L’association est aujourd’hui la seule en France à accueillir et à accompagner les personnes de façon aussi complète. Entre 2012 et 2016, le nombre de majeurs accueillis a doublé. « Le débat sur le mariage pour tous a sensiblement influé », calcule Frédéric Gal. Depuis la création, 7 000 jeunes ont été reçus en accueil de jour et 1 149 en hébergement, à Montpellier et en France. Et l’association reçoit désormais 3 000 appels par an. « Même après quinze ans d’existence, chaque année, cela augmente. Il n’y a pas d’évolution palpable dans les familles. Plus on intervient, plus on a de monde », observe Nicolas Noguier, président à l’origine de la naissance du Refuge. « Je ne pensais pas que notre association prendrait une telle ampleur. » Pour certains de ces majeurs, le passage dans la structure n’a pas été probant. Certains s’en vont du jour au lendemain, faute d’adhérer au projet, et quitte à faire une autre demande plus tard. Il y a aussi ceux qui se mettent en échec après avoir trouvé un stage ou un travail. « Ceux-là ont du mal à se projeter et craignent de quitter le Refuge », confie le président. Mais globalement, pour ceux qui y entrent et s’y tiennent : un tiers repart avec un emploi (29,4 %, selon les statistiques nationales 2016 du Refuge), retrouve un logement et une autonomie. « Le domaine de l’insertion reste, de manière générale, assez compliqué », reconnaît Nicolas Noguier, d’après qui, selon les années, 20 % arrivent à renouer des liens avec leur famille ou un de ses membres. « La réussite, ce n’est pas forcément un travail, cela peut être aussi de s’accepter en tant qu’homo­sexuel et de repartir plus fort dans la vie. C’est déjà énorme ! » Une petite proportion accède à la formation, voire à des études universitaires (6,1 %). Selon Céline Gross, la CESF, « un passage ici leur permet au minimum un travail sur eux-mêmes. »

Inquiétude récurrente : le financement du dispositif. Pour fonctionner au niveau national, l’association dispose de 1,4 million d’euros par an, une somme couverte à 70 % par des privés français et étrangers (donateurs ou adhérents, fondations ou entreprises). Le reste est financé par des collectivités territoriales et par l’Etat, par le biais de ministères qui subventionnent directement et de services décentralisés tels que la DDCS ou l’agence régionale de santé… Pour le volet alimentation, le Refuge peut aussi compter sur des partenaires réguliers comme la Banque alimentaire, les Restos du cœur, la Croix-Rouge ou encore des enseignes de supermarchés. « Chaque début d’année, nous ne savons jamais comment nous allons boucler notre budget, déclarent Frédéric Gal et Nicolas Noguier. Notre action reste la même, mais les restrictions budgétaires dans tous les secteurs sont aussi une réalité. » Chaque année, il leur faut reprendre le bâton de pèlerin et frapper aux portes des administrations, collectivités, et autres financeurs acquis ou potentiels. Aux yeux de tous ces acteurs, le Refuge peut, pour le moins, se prévaloir d’être devenu en 2013 la première association de lutte contre l’homophobie à obtenir son inscription dans le calendrier national d’appel à la générosité publique.

Maillage national

Depuis sa création en 2003, le Refuge a essaimé dans toute la France. L’association comptait deux délégations en 2008 (Montpellier, la plus ancienne, et Paris, la plus grande), puis quatre en 2010. Aujourd’hui, elle en dénombre 18, avec une capacité d’hébergement variant de 3 à 12 jeunes, soit 92 places à l’échelle du territoire. Selon les délégations, les équipes sont composées de salariés et/ou de bénévoles : par exemple, 2 salariés et 23 bénévoles à Montpellier. Certaines délégations n’ont que des bénévoles avec des profils différents, pour accompagner les jeunes, discuter… Chacune fait intervenir un psychologue, qui peut être bénévole ou payé à la vacation. Certaines délégations peuvent aussi travailler avec des partenaires extérieurs tels que les centres médico-psychologiques qui dédient un psychologue pour un quota de vacations.

Bénévole au Refuge, un engagement

Directeur d’école à Montpellier, Richard Lenormand a intégré le Refuge en novembre dernier, pour un an, comme bénévole à la permanence obligatoire du jeudi soir. « La situation de ces jeunes du fait de leur orientation sexuelle me touchait et je voulais donner de mon temps pour apporter mon aide, offrir une écoute et participer à des moments qui créent du lien. L’avantage, avec le Refuge, c’est l’accompagnement par une équipe éducative pluridisciplinaire qui suit la progression des jeunes avec leurs difficultés et tout ce qu’elles engendrent. Ils trouvent ici une nouvelle famille qui leur donne des outils pour pouvoir se dépasser. Il n’est toutefois pas simple de trouver sa place auprès de personnes en détresse, rejetées par leurs familles, qui peuvent avoir aussi, comme tous les jeunes, des difficultés relationnelles entre eux et avec les autres. Mais l’enjeu est motivant. Pour moi, c’est un engagement, une question humaniste. »

Reportage

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