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Les esprits s’échauffent !

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Mesure phare de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte adoptée en 2015, le chèque énergie, qui remplace les tarifs sociaux de l’énergie, sera généralisé en mars 2018, après une expérimentation qui s’est déroulée dans quatre départements. Sur le terrain, les travailleurs sociaux émettent des doutes sur l’efficience du dispositif et font part de leur inquiétude quant au ciblage des foyers les plus modestes.

A partir du 26 mars 2018, environ 4 millions de personnes devraient recevoir directement dans leur boîte aux lettres un chèque énergie, d’une valeur moyenne de 150 €, à envoyer à l’un de leurs fournisseurs d’énergie. Le chèque est valable quelle que soit l’énergie de chauffage utilisée, et constitue une diminution de la facture globale de dépense énergétique. A titre de comparaison, la facture d’électricité annuelle moyenne d’un ménage chauffé à l’électricité est de 1 726 €(1). Actuellement, en France, au moins 20 % des ménages sont confrontés à la précarité énergétique.

Dans un premier temps, le chèque énergie a été expérimenté, en 2016 puis en 2017, dans quatre départements : l’Ardèche, l’Aveyron, les Côtes d’Armor et le Pas-de-Calais. Lors de cette période de test, les centres communaux d’action sociale (CCAS), les travailleurs sociaux des conseils départementaux et les associations de l’action sociale et environnementale ont été mobilisés sur l’appropriation de la mesure par les publics les plus en difficulté.

Mesure de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV)(2), le chèque énergie vient remplacer les tarifs sociaux de l’énergie, qui ont pris fin le 31 décembre 2017. Le passage des tarifs sociaux, qui ne s’appliquaient qu’à l’électricité et au gaz naturel, au chèque énergie vise à prendre en compte tous les modes de consommation – bois, fioul domestique – et à venir en prévention de la dépense, l’aide pouvant servir à financer des travaux de rénovation énergétique. Le chèque énergie a aussi été conçu dans un souci de simplification : l’éligibilité des bénéficiaires est établie selon l’unique critère du revenu fiscal de référence, soit un seul fichier. Le plafond du revenu fiscal de référence est de 7 700 € par an pour une personne vivant seule et de 16 170 € pour un couple avec deux enfants. Enfin, le chèque a pour objectif affiché, grâce à son envoi automatisé, de lutter contre le non-recours. Pour permettre aux ménages de connaître leurs droits, le ministère de la Transition écologique et solidaire a créé un simulateur(3) consultable gratuitement. Après le vote de la mesure, le médiateur national de l’énergie, Jean Gaubert, avait expliqué, dans une tribune(4), combien il trouvait le système des service sociaux « insuffisant et coûteux », soulignant que « l’aide annuelle moyenne par énergie stagne autour de 100 €, […] avec des coûts de gestion du dispositif qui atteignent, eux, plus de 5 % du montant total de l’aide, soit près de 17 millions d’euros, que les fournisseurs se font intégralement compenser par tous les consommateurs ».

Plus récemment(5), Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, a, lui aussi, argumenté sa préférence pour le chèque énergie : « Nous inversons la logique, ce n’est plus aux personnes de prendre un rendez-vous pour tenter d’avoir accès aux tarifs sociaux du gaz et de l’électricité. C’est à nous, service public, d’aller directement vers [elles] pour leur permettre de payer. »

En plus du chèque, les bénéficiaires disposent d’attestations, qui leur permettent de signaler auprès des fournisseurs d’énergie leur situation de précarité énergétique et ainsi de bénéficier de droits connexes à la mesure (exonération des frais de mise en service, maintien de la puissance électrique en période hivernale même en cas d’impayés).

Des bilans contrastés

En préfiguration de la généralisation du dispositif, le ministère de la Transition écologique et solidaire a publié, en décembre 2017, son rapport d’évaluation de la phase expérimentale(6). Selon ce bilan, le dispositif a été globalement bien compris par les bénéficiaires, et ce, dès la première année d’expérimentation. Le critère d’éligibilité, estimé « plus simple », permettrait de cibler les foyers les plus en difficulté et d’éviter les effets d’aubaine. En deux ans, 170 000 chèques ont été distribués dans les quatre départements test, soit une augmentation d’environ 3 % par rapport au nombre de bénéficiaires de tarifs sociaux. Le rapport conclut à des « résultats encourageants, qui peuvent encore être améliorés » concernant le taux d’utilisation et le non-recours, qui a été d’environ 22 %.

Réagissant à ce rapport gouvernemental, l’Union nationale des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (Unccas) a diffusé son propre bilan(7), beaucoup plus circonspect. L’Unccas attire l’attention sur le taux de recours qu’elle juge « très insatisfaisant » et craint que le dispositif « ne soit un facteur de précarisation ». Elle estime que « le seul critère du revenu fiscal contribue à l’exclusion du dispositif d’une partie des personnes souffrant de précarité énergétique ». Enfin, elle craint que les droits connexes associés au chèque énergie ne soient guère actionnés, ce qui constitue, selon son analyse, « un recul par rapport aux tarifs sociaux ». L’Unccas en conclut que l’impact de la nouvelle mesure « n’est pas à la hauteur des besoins » et demande une « augmentation significative » du montant de l’aide. « Les tarifs sociaux ont disparu, les personnes qui y avaient droit vont voir leurs factures d’énergie augmenter. Au mieux, elles vont aller en parler à un travailleur social. Mais les travailleurs sociaux n’ont pas reçu de formation ou d’informations spécifiques pour accompagner le public dans la bonne utilisation du chèque énergie. »

« Il y a un important besoin d’information grand public et à destination des professionnels, qui, pour l’heure, n’est pas engagé », regrette Juliette Boureau, responsable « politiques de lutte contre les exclusions et accès aux droits » à l’Unccas. De son côté, Serge Decaillon, secrétaire général du Secours populaire français Pas-de-Calais, qui a observé le déploiement de l’expérience dans son département, craint que le dialogue entre les associations et les fournisseurs, qui avaient mis en place leurs propres actions de solidarité, ne soit compromis. « Le système des tarifs sociaux de l’énergie fonctionnait et donnait accès aux bénéficiaires à un traitement différencié de la part des fournisseurs. Avec le chèque énergie, on peut craindre que les plus en difficulté soient moins pris en compte », explique-t-il.

Couacs sur le terrain

Comme les têtes de réseau, les CCAS et les services départementaux des quatre territoires qui ont expérimenté le dispositif signalent différents problèmes, alors même qu’ils observent une hausse continue des dettes et des demandes d’aide liées aux dépenses d’énergie. Anne Le Flour, adjoint administratif en charge de l’accueil au CCAS de Guingamp (Côtes-d’Armor), regrette de « n’avoir reçu aucune information en amont, comme cela était prévu par le ministère », et, par conséquent, « a vu des personnes se présenter au CCAS, leur chèque énergie à la main, sans savoir comment les conseiller ». Lucie Cadoret, seule agent du petit CCAS (file active d’une soixantaine de bénéficiaires) de Tréguier (Côtes-d’Armor), a un avis très tranché : « Mon expérience du chèque énergie est 100 % négative. Il aurait été beaucoup plus pertinent d’améliorer le système des tarifs sociaux ! » Selon son expérience de travailleuse sociale, le chèque énergie présente un défaut de fond : « Un chèque une fois dans l’année, certes, c’est un coup de pouce, mais ponctuel, cela ne va pas dans le sens que nous préconisons. Soit se mensualiser au maximum afin de parvenir à maîtriser son budget, voire d’anticiper. Le nouveau système n’est absolument pas pédagogique. » D’autant plus que, selon les observations de Lucie Cadoret, « le chèque n’est encaissé qu’au bout de plusieurs mois, avec des rappels qui continuent d’être adressés aux personnes en difficulté de paiement ».

« Très forte complexité administrative »

Directrice du CCAS de Millau (Aveyron), Joëlle Paulhac a été confrontée à un autre type de difficulté, ayant reçu « de nombreuses personnes qui auraient pu prétendre au chèque mais qui ne l’avaient pas reçu ». Le CCAS s’est donc appliqué à faire valoir les droits de ce public, « avec de nombreuses pièces justificatives à fournir ». N’arrivant pas à obtenir des attestations relatives à la taxe d’habitation, le CCAS « a alors été contraint de faire appel aux services du défenseur des droits », relate Joëlle Paulhac. Pour la directrice, le dispositif « souffre d’une très forte complexité administrative ». Chargée de mission « Toits d’abord » à la Fondation Abbé-Pierre, Julie Courbin confirme : « Le retour d’acteurs de terrain nous montre que le dispositif est complexe et demande beaucoup d’accompagnement des ménages invisibles, en difficulté avec les exigences administratives, éloignés de leurs droits. » Les services concernés du conseil départemental de l’Ardèche établissent un bilan un peu plus positif que les CCAS, même s’ils ont, eux aussi, rencontré des difficultés au moment de demander une ouverture des droits pour des personnes qui étaient passées entre les mailles du filet de l’envoi du chèque. « Heureusement, nous avons toujours été bien renseignés par le Numéro vert réservé au dispositif », souligne Alice Jardin-Tonkens, directrice de l’action sociale de proximité et insertion.

Finalement, les travailleurs sociaux du département qui sont en contact direct avec les bénéficiaires sont partagés sur les bénéfices du nouveau système : « Il y a deux écoles, résume Alice Jardin-Tonkens, ceux qui estiment qu’il apporte une simplification et ceux qui sont dans le doute de savoir si les personnes ont bien été ciblées. » Par ailleurs, les moins enthousiastes remarquent que la diffusion du chèque énergie n’a pas fait baisser le nombre d’aides attribuées pour les dépenses d’électricité, d’eau et de chauffage dans le cadre du fonds unique logement (FUL), géré par le département.

Pour faciliter le travail d’information des travailleurs sociaux dans leur accompagnement du dispositif, le département a élaboré son propre document interne, qui synthétise l’ensemble des informations émises par le ministère et les fournisseurs. « L’objectif était d’avoir un support simple et pratique lors de entretien », précise la directrice. Aujourd’hui, elle est contactée par des conseils départementaux limitrophes qui se préparent à la généralisation du dispositif et auxquels elle transmet le document afin de les faire bénéficier de son expérience.

Chèque énergie, mode d’emploi

Le chèque énergie est envoyé une fois par an au domicile des bénéficiaires. Pour la première année de généralisation, il sera reçu à partir du 26 mars 2018 et sera valable jusqu’au 31 mars 2019. La liste des bénéficiaires a été établie par les services fiscaux en tenant compte du revenu fiscal de référence et de la composition des ménages. Le montant moyen du chèque énergie est de 150 € (de 48 € à 227 € suivant les foyers). Le chèque peut être utilisé en paiement de tout ou partie d’une facture de toute énergie liée au logement, ainsi que pour financer une dépense liée à l’acquisition ou à l’installation des équipements, matériaux et appareils donnant droit au crédit d’impôt. Sous certaines conditions, le chèque énergie peut aussi servir au paiement du loyer d’un foyer-logement. En revanche, il ne peut pas être utilisé pour régler des factures de chauffage collectif. Le bénéficiaire l’adresse au fournisseur de son choix en joignant une copie de la facture à payer en tout ou en partie, ou fait la démarche en ligne(1) mise en place par le ministère de la Transition écologique et solidaire. Par ailleurs, les bénéficiaires d’un chèque énergie ont droit, s’ils se sont signalés comme tels, au maintien de leur puissance électrique pendant la trêve hivernale, même en cas d’incident de paiement, comme cela était le cas lors de l’application des tarifs sociaux de l’énergie.

Les points faibles

• Le chèque énergie est un simple courrier, qui peut être égaré, voire jeté par méconnaissance.

• Le chèque énergie sera distribué en mars 2018 alors que les tarifs sociaux ont pris fin en décembre 2017. Dans ce laps de temps, sans aide, des foyers ont pu voir leur situation s’aggraver.

• L’éligibilité est calculée à partir de la déclaration fiscale (déclaration d’impôt sur les revenus de l’année 2016) ; une démarche que ne remplissent pas certains foyers en grande difficulté, du fait, notamment, de leur absence de revenus. Il faut en outre habiter dans un logement imposable à la taxe d’habitation (même si le bénéficiaire en est exonéré).

• Les personnes en difficulté devront faire la démarche de demander l’application des droits connexes associés au chèque énergie là où ces droits étaient automatiquement appliqués avec les tarifs sociaux.

Notes

(1) Source : Observatoire de l’industrie électrique (OIE).

(2) Le décret n° 2016-555 du 6 mai 2016 définit les conditions de mise en œuvre du chèque énergie.

(3) www.chequeenergie.gouv.fr.

(4) Tribune en date du 1er décembre 2016.

(5) Le 5 janvier 2018, à l’occasion d’un déplacement dans le Val-d’Oise, lié à la généralisation du dispositif.

(6) « Bilan de l’expérimentation du chèque énergie en vue de sa généralisation » – Ministère de la Transition écologique et solidaire » – 18 décembre 2017.

(7) « Evaluation du dispositif du chèque énergie : vonstats et enjeux identifiés par les CCAS dans l’expérimentation de ce nouveau droit » – Unccas – Août 2017.

(1) Sur www.chequeenergie.gouv.fr.

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