« Peut-être que la solution, c’est de commencer par arrêter de parler d’EHPAD »(1), suggère Annie Lelièvre, responsable du secteur médico-social à la Fédération hospitalière de France (FHF). Cet après-midi du 31 janvier dernier, les managers du secteur sanitaire, social et médico-social étaient invités à réfléchir ensemble, par le Syndicat des managers publics de santé (SMPS) à l’évolution des établissements. Pour Annie Lelièvre, donc, il faudrait d’abord commencer par « travailler sur la sémantique » : « A nous de réinventer l’accompagnement de demain, et non pas l’EHPAD de demain », propose-t-elle.
Gérard Brami, docteur en droit et directeur des EHPAD de Vence et de Cagnes-sur-Mer (Provence-Alpes-Côte d’Azur) – qui malheureusement n’avait pas apporté le soleil avec lui dans la capitale –, a rappelé les différentes appellations données sur les établissements sanitaires et sociaux après la Seconde Guerre mondiale. « Parmi les terminologies officielles, “hospice” est le premier. Il a donné un visage inhumain au sanitaire et social. Puis est arrivé le concept de “maison de retraite médicalisée ou non”, institué en 1975. On sentait à l’époque que les parlementaires se demandaient ce qu’était la réalité du secteur », raconte Gérard Brami. Puis arrive l’acronyme « EHPAD » en 2002. « Personne n’osait le mettre sur son établissement », se souvient le directeur.
Au-delà de la problématique sémantique, les professionnels ont redit les problèmes de moyens financiers auxquels ils sont confrontés et qui font d’ailleurs l’objet d’une grève dans beaucoup d’établissements (voir page 9). Gérard Brami dénonce notamment un « consensualisme refoulé » : « Tout le monde est unanime pour dire qu’il y a un problème d’effectif, une augmentation de la dépendance, des détériorations intellectuelles… L’Etat comprend, les politiques admettent, mais il y a une volonté de refouler tout ça pour laisser aux autres le soin de régler ces problématiques ».
Les professionnels ont également dénoncé la multiplication des lois, des arrêtés, des décrets, des obligations… Bref, une inflation réglementaire qui pèse sur leur propre exercice du métier. Jacky Sarrazin est directeur à la retraite et travaille aujourd’hui pour le secteur privé à but non lucratif : « Il y a eu un changement très important de notre métier. On a vu la technocratie s’installer dans nos établissements et nos métiers ont complètement changé », témoigne-t-il. Hélène Bulle, directrice de l’EHPAD Les Magnolias à Wintzenheim (Haut-Rhin) depuis six ans, se souvient de ses premières années : « La première année, on se casse un peu la figure, et puis on avance. On a l’impression que cette avalanche de réformes n’est pas forcément faite pour l’EHPAD, mais pour contourner les subtilités de la réforme d’avant, qu’on a à peine eu le temps d’assimiler. » Christelle Gay, directrice adjointe du Centre départemental spécialisé d’éducation de l’Enfance (CDSEE) aux Pennes-Mirabeau (Bouches-du-Rhône), partage elle aussi ce sentiment et trouve « difficile de concilier toutes ces réformes ». Elle doit également jongler avec « le manque de compétence technique des personnels », qui ne peuvent souvent pas assister les directeurs et les directeurs adjoints dans la compréhension et l’application des normes.
L’EHPAD de demain devra aussi s’adapter, non seulement aux nouvelles problématiques des résidents, mais aussi à cette nouvelle génération de professionnels : les Y. « Les futures professionnels vont avoir de nouvelles caractéristiques, indique Angèle Sauget, en fin d’études. Il va falloir leur proposer de nouvelles choses, notamment en évitant l’autorité verticale. Ce changement là est primordial. Il faut qu’on soit en adéquation avec eux. »
Ce qui est certain, c’est que l’EHPAD de demain est encore à inventer. « Mettons-nous autour d’une table », lance Jacky Sarrazin.
(1) Etablissement d’hébergement médicalisé pour personnes âgées dépendantes.