En amont de la journée d’action du 30 janvier, les syndicats et l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) avaient assuré, lors d’une conférence de presse(1), qu’ils ne se contenteraient pas des 50 millions d’euros supplémentaires débloqués pour les EHPAD « en difficulté ». Ils ont décrit cette mesure comme « une provocation » ou « un pansement sur une jambe de bois ». Cela représente « à peu près 2 500 postes » par an, soit environ un tiers de poste par établissement, a calculé Luc Delrue (FO). Or, il estime que la réforme tarifaire lancée au 1er janvier 2017 va conduire, sur sept ans, à supprimer un poste d’aide-soignant par EHPAD.
Les organisations maintiennent leurs principales revendications : porter le taux d’encadrement à « un agent par résident » (contre un peu plus de 0,6 actuellement), améliorer les rémunérations et abroger la réforme de la tarification.
Cette fameuse réforme continue de diviser les employeurs : la Fédération hospitalière de France (FHF), prenant « acte » de la grève sur un ton très compréhensif, a demandé au gouvernement l’ouverture de négociations, car elle juge que le secteur public est lésé par le nouveau mode de calcul. De son côté, la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa), qui représente des EHPAD publics et privés, s’est déclarée « solidaire du mouvement social ». L’organisation « ne saurait se satisfaire » des 50 millions d’euros, car « cela correspond à 80 € par résident et par an, soit seulement trois heures d’accompagnement de plus par résident cette année, bien loin des besoins ».
A l’inverse, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) regrette « que ce mouvement social vienne s’opposer à la réforme de la tarification des EHPAD ». Il juge que son impact est positif, estimant que « plus de 9 EHPAD sur 10 verront leurs financements s’accroître, notamment ceux qui accueillent les résidentes et résidents les plus en perte d’autonomie ». Il salue aussi l’octroi des 50 millions d’euros.
La Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (Fnaqpa, qui réunit des professionnels du secteur gérontologique, mais n’est pas une organisation d’employeurs) a fait savoir qu’elle « ne saurait s’associer à ce genre de mouvement » social. Elle rappelle qu’elle « n’est pas favorable au retrait pur et simple des réformes en cours », qui « souffrent surtout d’une mauvaise application ». Pour autant, elle « comprend le malaise des professionnels de terrain, et considère que la qualité de vie au travail est un élément fondamental de la qualité de vie des personnes âgées accompagnées ».
Son directeur général, Didier Sapy, contacté par les ASH, s’est montré partagé sur les annonces faites par Agnès Buzyn. L’annonce d’enquêtes de satisfaction des résidents le laisse sceptique : cela existe « depuis plus de 20 ans » et elles montrent, selon lui, qu’une « immense majorité » des personnes hébergées sont satisfaites de leur prise en charge.
Au sujet des 50 millions d’euros, « je ne suis pas sûr que ce soit la bonne réponse aux problèmes structurels » des EHPAD, a-t-il estimé. En revanche, il s’est montré très intéressé par l’idée de la ministre de « mieux financer les EHPAD qui vont faire un travail spécifique sur la prévention de la perte d’autonomie », possiblement à partir de 2019(2).
Didier Sapy milite pour que ces financements supplémentaires valorisent aussi la qualité des prises en charge, qui ne sont pour l’heure pas prises en compte par la tarification. Il a bon espoir que cette idée soit mise à l’étude par le ministère.
Quant à la médiation à venir sur la réforme tarifaire, le directeur de la Fnaqpa la juge « très utile », car elle pourrait permettre de corriger les disparités d’application des textes et leurs interprétations variables suivant les agences régionales de santé (ARS) et les départements.
Sur le terrain, dans les établissements, la ministre de la Santé fait l’unanimité contre elle. La grève du 30 janvier a été largement suivie, au moins sous forme de débrayages. Dans l’ensemble des EHPAD, « tous secteurs confondus », le taux de participation (nombre de grévistes déclarés) a été de 10,3 % et le taux de mobilisation (grévistes déclarés et professionnels assignés) de 31,8 %, a annoncé la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) dans un communiqué. Elle précise que « les mesures d’anticipation prises par les directeurs des établissements en lien avec les ARS et l’engagement des équipes ont permis de maintenir la qualité et la sécurité de la prise en charge des patients et résidents ».
Dans de nombreuses villes ont eu lieu des rassemblements. Pour les 18 les plus importants, l’Agence France-Presse a recensé au moins 6 000 personnes dans la rue. Il faut y ajouter celles qui ont manifesté à Paris devant le ministère des Solidarités et de la Santé : 550 d’après la police, un millier selon certains organisateurs. « Donnez-nous les moyens de la bientraitance », « On n’en peut plus, on ne lâche rien », « Embauchez dans les EHPAD », a-t-on lu sur les banderoles.
Une délégation de la large intersyndicale (CGT, FO, CFDT, SUD, UNSA, CFE-CGC et CFTC) a été reçue par le cabinet de la ministre, Agnès Buzyn. Elle en est ressortie déçue, le ministère s’en tenant à ses annonces faites le 26 janvier (voir pages 6 et 7). La mobilisation va donc se poursuivre, sous une forme restant à déterminer.
La grève du 30 janvier a occasionné un afflux de témoignages publics sur les maisons de retraite. Lors de la conférence de presse des syndicats, Sandrine Ossart, aide-soignante dans un établissement associatif de Loire-Atlantique et membre de la CGT, a décrit avec amertume son quotidien : de 12 à 15 toilettes par matinée, réalisées en 8 à 10 minutes, « alors qu’à l’école, j’ai appris à les faire en 40 minutes ». Des repas servis mixés « parce que ça va plus vite », ou encore de moins en moins de sorties avec les résidents par manque de personnel accompagnant. Sur le réseau social Twitter, les messages marqués du mot-dièse #balancetonehpad s’accumulent (sans que les établissements visés soient nommément cités). Par exemple : « Etant infirmière, si je veux respecter ma fiche de poste, j’ai 1 heure 30 le matin et 35 minutes le midi/soir pour vérifier et distribuer les médicaments à 70 résidents. Des erreurs ? Non, jamais… » Une autre soignante recense « une seule douche par semaine par résident » et « deux, voire trois toilettes à partir de 5 h 30/6 heures pour avancer les collègues de jour ». Elle précise : « Oui, oui, on les réveille ! Je suis passée de nuit car je ne supportais plus l’ambiance de jour. Et je sais que c’est bien pire ailleurs… »
(1) Voir sur
(2) Agnès Buzyn a tenu ces propos lors d’un déplacement à l’hôpital gérontologique de Chevreuse (Yvelines).