« Etudiants en formation de diplôme d’Etat en ingénierie sociale (DEIS) à l’IRTS Paris-Ile-de-France ou travailleurs sociaux de profession, nous avons mené, à partir d’une commande de l’association Intermèdes Robinson, une étude de terrain sur la pertinence et la faisabilité d’un projet innovant et hybride pour favoriser l’inclusion des Roms vivant dans un bidonville de l’Essonne : la création d’une école de danse et de chant tsiganes et d’éducation populaire, appelée “Skol”.
Cette étude de terrain, au-delà des aspects d’enquête et de recherche, a comporté une dimension humaine très importante, émaillée de rencontres, de découvertes et de surprises qui nous ont amenés à changer notre regard, à nous questionner et à nous repositionner.
Cette expérience, pour nous travailleurs sociaux, a été extrêmement enrichissante, pour plusieurs raisons et à différents niveaux. Tout d’abord, elle nous a permis de découvrir une population que l’on connaissait mal. Alors que nous sommes a priori des spécialistes du social, la rencontre avec les Roms nous confronte à l’évidence que nos connaissances des institutions et nos cadres de travail sont bien souvent faux. Nous avons petit à petit compris que les travailleurs sociaux ne sont pas à l’abri des stéréotypes et des idées reçues qui touchent les publics précaires. La réalité est tellement plus complexe ! Nous avons découvert que la plupart des Roms, même quand ils sont ressortissants européens, ne touchent généralement aucune allocation familiale et que toute ouverture de droits leur est particulièrement difficile.
Face à cette situation, ils sont souvent contraints de s’organiser au quotidien pour subvenir à leurs besoins et connaissent les plus grandes difficultés pour se projeter vers l’avenir.
Lors de notre première rencontre dans un bidonville, nous avons été frappés par des sentiments contradictoires. Nous avons été choqués par leurs conditions de vie, que nous découvrions et qui nous ont semblé inacceptables, et en même temps étonnés par l’énergie et la force dont les habitants semblaient faire preuve. Nous étions quelque peu dépassés. Comment des personnes peuvent-elles résider dans un tel endroit et continuer à vivre, à rire et à danser ? Comment, malgré la dureté de leur quotidien, peuvent-elles nous accueillir avec le sourire et autant de bienveillance ? Un premier élément de réponse nous avait pourtant été apporté par Laurent Ott, directeur de l’association, et avait d’ailleurs interloqué certains membres du groupe : “Les Roms sont des résilients sociaux.”
Un deuxième élément de réponse a émergé au fil de notre enquête. A plusieurs reprises, nous avons pu constater l’attachement à la vie familiale et communautaire exprimé par certaines personnes qui vivent en logement mais qui reviennent quotidiennement dans le bidonville pour continuer à partager des moments de convivialité avec leur famille et leurs amis.
Pour ces personnes, le confort offert par un appartement leur semble moins important que l’isolement qu’il engendre. Cette étude a donc requis que nous nous décentrions de nos représentations, afin de considérer les éléments récoltés de manière objective et dans une démarche réflexive. Toutefois, il est important de toujours garder à l’esprit que, probablement, seule une minorité de personnes d’origine rom résidant en France vit en bidonville. Beaucoup, arrivés depuis plus longtemps, voire des générations, vivent dans des logements et sont certainement insérés socialement et professionnellement. Notre étude pourrait laisser penser que les Roms installés en France présentent tous des difficultés pour accéder à l’emploi, au logement, à l’école, aux prestations. Cela est faux. En revanche, les familles roms vivant en bidonville connaissent une litanie interminable de difficultés sociales, administratives, éducatives et politiques.
Alors que cette population est contrainte de vivre au jour le jour dans des habitats insalubres, qu’elle est souvent dans l’impossibilité de se projeter, qu’elle est éloignée du droit commun, de l’école, de l’emploi, du logement, du soin, la société semble attendre d’elle qu’elle s’intègre, que les parents trouvent du travail, que leurs enfants aillent à l’école et que les familles quittent leurs abris de fortune pour vivre dans des logements.
Pourtant, la société ne leur apporte pas les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs qu’elle leur a elle-même assignés, générant ainsi de l’exclusion et, par la même occasion, l’incompréhension d’une partie de l’opinion publique.
Les Roms, plus importante minorité culturelle d’Europe, sont régulièrement stigmatisés, victimes de racisme et de discriminations de toutes sortes, en France comme dans d’autres pays européens. Pourquoi ? Est-ce que leur culture, leurs traditions sont trop éloignées des nôtres ? Les connaissons-nous vraiment ? Peut-on affirmer que nos us et coutumes ont plus de valeur, qu’ils sont meilleurs que les leurs ? Peut-on imaginer une France où cette diversité culturelle serait une source de richesse plutôt que de discriminations ?
Mais alors, comment enclencher ce processus et, surtout, par où commencer ? En France, des initiatives émergent au niveau local pour essayer de mettre en place des actions innovantes, qui sous-entendent une transformation des pratiques éducatives et sociales, à l’aune de l’expérience de vie des publics concernés.
Le projet de la Skol s’inscrit dans cette dynamique. Le positionnement de l’association est clair : l’école et la société ne remplissent pas leurs rôles en laissant des milliers d’enfants aux portes de l’école et dans des bidonvilles insalubres. Il faut proposer une solution.
Lors de nos entretiens et de nos observations, nous avons souhaité faire connaissance avec les enfants et les jeunes qui composent ce public ; nous voulions comprendre leurs attentes, leurs besoins, leurs projets et leurs rêves, afin de voir si la Skol peut y répondre de manière adaptée. Les parents comme les enfants nous ont souvent fait part de leur désir d’avoir un travail et un logement ; mais derrière leurs réponses transparaît parfois le fait qu’ils sont comme écartelés entre leur identité rom et la nécessité ou l’injonction de vivre “à la française”, de s’intégrer. Sur la question de l’école, les éléments récoltés ont permis d’identifier de nombreux freins, de nombreuses ruptures qui n’ont pas permis une scolarisation durable. Mais nous avons également repéré des potentialités sur lesquelles nous appuyer. A travers notre étude, nous nous sommes rendu compte que ce projet pourrait permettre de remplir le vide qui existe entre la vie dans le camp, où les enfants ne développent pas beaucoup d’échanges avec l’extérieur, et les institutions, qui restent aujourd’hui inaccessibles pour la grande majorité d’entre eux. Ce sont des projets comme celui-ci qui pourraient combler une carence dans la palette des interventions sociales.
Car c’est bien tout l’enjeu de ce projet : permettre aux personnes roms d’être outillées pour leur avenir, de développer des compétences, des savoir-faire qui les aideront à mettre en œuvre leurs projets et à gagner une place reconnue et entière au sein de la société française. C’est donc le défi du multiculturalisme qui est mis en exergue par la question de l’inclusion des personnes roms en France. Serons-nous, citoyens français, à nos niveaux respectifs, en mesure de le relever ? »
Contact : laurent.ott@orange.fr