Avec 13 missions à remplir, le médecin coordonnateur peut être considéré comme le chef d’orchestre du projet de soins de l’Ehpad. « Depuis plus de quinze ans que ce métier est apparu dans nos établissements, nous avons tous beaucoup fait pour qu’il soit confié à des confrères formés au management d’équipe, rompus à la gestion de crise, familiers de la pluridisciplinarité, avertis des arcanes des instruments d’évaluation de la dépendance, soucieux de l’impact économique de leurs choix, en un mot pour qu’ils soient très coordonnateurs… et très peu médecins, puisque le soin pur est exclu de leurs missions », se satisfait la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG).
Et pourtant, ce métier protéiforme souffre d’un réel manque d’attractivité. Comme l’a rappelé, en septembre dernier, la mission « flash » devant les membres de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, un Ehpad sur trois fonctionne sans la présence – en principe obligatoire – d’un médecin coordonnateur. Dans ses conclusions, Monique Iborra, députée (LREM) de la Haute-Garonne et rapporteure de la mission déplorait « un statut peu clair », sans droit de prescription avec des « temps partiels ou même très partiels ». Et cette pénurie va crescendo puisqu’en 2015 le taux de structures ne trouvant pas de médecin coordonnateur était estimé à 20 %.
Il va sans dire que certains Ehpad sont victimes de leur isolement géographique, de la démographie médicale en berne et de la surcharge de travail des professionnels de santé libéraux de leur territoire. « Lorsque les Ehpad n’ont pas de médecin coordonnateur, le poste est inoccupé depuis plus de deux ans pour la moitié d’entre eux. Et 20 % des Ehpad qui en avaient un, l’avaient depuis un an ou moins », soulignait, en 2014, une étude de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) médecins libéraux des Pays-de-Loire, dressant un état des lieux dans les Ehpad « en zones fragiles » dans la région. « Cette situation a pu encourager quelques Ehpad à salarier des médecins traitants pour prendre en charge leurs résidents et assurer la coordination. On a pu constater que cette formule, qui pourrait remettre en cause le libre choix du médecin traitant par le résident, risque de se développer dans le futur », pronostiquait la même étude.
Presque inéluctablement, face à ces difficultés de recrutement, la question – très controversée – de l’élargissement du droit de prescription du médecin coordonnateur refait surface. Pour rappel, ce professionnel en Ehpad ne peut réaliser des prescriptions médicales qu’en cas de situation d’urgence ou de risques vitaux et lors de la survenue de risques exceptionnels ou collectifs. La réglementation actuelle est suffisante. Près de la moitié des médecins coordonnateurs en fonction dans les Ehpad sont aussi des médecins généralistes libéraux qui ont un exercice mixte. Les différents pouvoirs politiques en place ont envisagé de limiter l’accès des médecins libéraux dans les maisons de retraite médicalisées pour favoriser une médecine salariée, plus économique selon eux. « Mais pour quelles raisons un médecin libéral pourrait soigner un centenaire vivant à domicile mais pas celui qui vit en institution ? », critique le Dr Bernard Oddos, vice-président du syndicat des médecins coordonnateurs en Ehpad (SMC) affilié à la confédération des syndicats médicaux français (CSMF). Et d’ajouter : « Le danger d’élargir le droit de prescription du médecin coordonnateur est que le temps réellement consacré à l’activité de soin se fasse au détriment de celle de la coordination médicale. Si dans certains territoires, il faut innover, utiliser la télémédecine, solliciter les généralistes appétant à la gériatrie, faciliter les visites, simplifier les logiciels et les harmoniser, il demeure qu’en zone rurale les Ehpad ne peuvent fonctionner sans les médecins libéraux. »
En décembre dernier, à l’issue de sa rencontre avec Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, le Dr Pascal Meyvaert, vice-président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad a réaffirmé, également, son opposition à l’élargissement du droit de prescription, la fameuse treizième mission des médecins coordonnateurs d’Ehpad. Pour la Ffamco, « la vraie question est celle de l’accès des résidents en Ehpad, à l’ensemble des soins auxquels tout assuré social peut prétendre ».
Mais selon une enquête de l’association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (MCoor), dont les résultats ont été publiés en décembre dernier, 75 % des jeunes médecins coordonnateurs, âgés de 30 à 39 ans, attendent l’élargissement de leur possibilité de prescrire et 60 % de leurs confrères âgés de 50-59 ans. Deux domaines sont concernés pour la grande majorité des réponses : la douleur et l’infectiologie. « 72 % des médecins coordonnateurs sont âgés de plus de 50 ans, mais plus du tiers des médecins coordonnateurs est âgé de plus de 60 ans ce qui pose le problème de l’attractivité de la profession pour les nouvelles générations et un questionnement sur l’évolution des missions notamment celle liée à la prescription », souligne l’association MCoor.
De quoi faire entendre la voix des partisans de cette solution ? « La réduction médicale amène le coordonnateur à la prescription. Le Syndicat national de gérontologie clinique, depuis toujours, est pour, lorsque cela est nécessaire sous couvert de l’accord du coordonnateur, d’une modification de son contrat de travail avec ajustement du temps et des émoluments, sans pour autant en faire un dogme, chaque situation étant particulière », considère le Dr Michel Salom, qui quittera la présidence de la SNGC en mars. « Il faut cesser de s’arc-bouter sur des principes ! Les postures sont parfois plus vives dans les couloirs des représentations syndicales à Paris qu’au sein des établissements où les médecins coordonnateurs et les médecins traitants se connaissent. Les Ehpad accueillent des personnes très âgées, polypathologiques et trop de structures fonctionnent sans médecin coordonnateur et sont dans l’illégalité. Comment on s’en sort ? », interroge Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’Établissements et services pour personnes Âgées (Fnadepa). « Il faut une vraie évolution du statut des médecins coordonnateurs. Il est urgent de reposer sans tabou la question du projet général de soins en Ehpad. Tous les métiers du soin doivent être repensés : médecin coordonnateur, infirmière coordinatrice, infirmières et aides-soignantes… Les nouvelles ordonnances Pathos seront livrées en juin. À quoi cela servira de mieux définir la charge en soins requis, si les Ehpad ne disposent pas en face des compétences médicales nécessaires. Si l’État ne met pas plus d’argent, la valeur du point Pathos va probablement baisser », redoute-t-il.
Alors comment susciter de nouvelles vocations pour cette fonction de médecin coordonnateur ? Comment renforcer l’intérêt des médecins pour la gérontologie et le médico-social ? « Outre une revalorisation financière, il faut donner du sens à cette profession autrement que par des missions infaisables ni pérennisables sans moyens financiers et avec un lien mal défini auprès de la direction et des équipes soignantes », juge la Fédération régionale des associations départementales de médecins coordonnateurs en Ehpad d’Occitanie (Medco-Occitanie). Pour sa part, la Ffamco propose « d’augmenter le nombre d’Ehpad, terrain de stage, lors de la formation initiale des médecins généralistes, sur le modèle des stages fléchés « femme/enfant » de l’internat en médecine générale. » Autre signe du malaise des médecins coordonnateurs : le turnover important. « Les médecins restent, en moyenne, 14 mois en poste avant de démissionner », précise le Dr Bernard Oddos, vice-président du SMC-CSMF. Les raisons ? « Les difficultés de financement que connaissent les Ehpad et le ratio de personnels insuffisant n’épargnent pas les médecins coordonnateurs. La première activité la plus chronophage est la relation avec les familles et le recueil des plaintes concernant la qualité des soins. Par ailleurs, la majorité des médecins coordonnateurs sont des médecins généralistes libéraux qui ne connaissent pas ou très peu le fonctionnement d’une entreprise, les droits des salariés, ce qui parfois occasionne des conflits avec le directeur d’Ehpad », explique-t-il.
« La réforme de la tarification avec le CPOM, les évaluations internes, externes, elles-mêmes amenées à être réformées, les indicateurs qualité de l’Anap, les règles de bonnes pratiques édictées par les officines du bien-traiter : Anesm, HAS… ont formidablement complexifié le travail du coordonnateur devenant un spécialiste de l’obtention de moyens médico-techniques nécessaires à la survie de son établissement », regrette le Dr Michel Salom. Il n’est pas certain que dans ce contexte, les vocations s’enflamment pour cette profession encore en quête d’identité.
1. Élaboration du projet général de soins
2. Avis sur les admissions de résidents
3. Présidence de la commission de coordination gériatrique
4. Évaluation et validation de l’état de dépendance des résidents et leurs besoins en soins requis (coupe Pathos)
5. Application des bonnes pratiques gériatriques
6. Adaptation des prescriptions
7. Formation des équipes
8. Élaboration du dossier-type de soins
9. Rédaction du rapport annuel d’activité médicale
10. Conventions avec les autres établissements
11. Mise en œuvre des réseaux gérontologiques
12. Identification des risques éventuels pour la santé publique
13. Prescriptions médicales pour les résidents en cas de situation d’urgence, de risques vitaux, ou lors de la survenue de risques exceptionnels ou collectifs nécessitant une organisation adaptée des soins.
Le temps minimum de présence du médecin coordonnateur dans l’Ehpad est déterminé par le décret du 2 septembre 2011 relatif à l’article L.313-12 du Code de l’action sociale et des familles. Il dépend de la capacité d’accueil de l’établissement. Ainsi, dans près de 50 % des cas, les établissements proposent des postes de médecin coordonnateur à temps partiel (entre 0,2 et 0,8 ETP). Selon la première édition (2016) de l’enquête de l’association MCoor, 12 % des médecins coordonnateurs occupent un poste inférieur à 0,25 ETP. « Ce non-respect de la réglementation par les établissements est confirmé par un médecin sur deux, sachant que le non-financement du temps réglementaire est avancé dans la moitié des cas », notait l’étude. Enfin, un quart des médecins interrogés ne respectent pas le temps réglementaire par choix personnel.
« En 2017, nous avons eu trois missions de recrutement, dans l’Aisne, la Charente-Maritime et le Var, pour pourvoir des postes de médecin coordonnateur en Ehpad. Seul le poste en Charente-Maritime a pu trouver preneur, malgré plusieurs mois de travail d’approche directe », témoigne Anne-Sophie de Larauze, fondatrice et directrice de Parcours & Sens, cabinet de recrutement spécialisé sur le secteur sanitaire, social et médico-social. Mais face à cette désaffection pour cette profession, des solutions existent. « Les groupes privés commerciaux ou associatifs proposent de mutualiser un poste de médecin coordonnateur sur trois Ehpad pour arriver à un trois-quarts temps ou un temps plein pour les médecins libéraux qui préfèrent être salariés. Cette solution peut intéresser un certain nombre de jeunes médecins, des femmes ou même des hommes avec des enfants en bas âge notamment », explique Anne-Sophie de Larauze. Cette mutualisation peut se faire dans le cadre du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM). « Pour attirer des candidats, les grands groupes proposent également de financer la formation des médecins libéraux », ajoute-t-elle.