Aucun métier n’est facile dans le secteur médico-social. Et celui de médecin coordonnateur n’échappe pas à la règle. Son rôle, c’est la loi qui le définit, depuis un décret de 2011, précisé par une circulaire en 2012. Mais, comme souvent, la théorie se heurte avec la réalité du terrain.
Médecin coordinateur, le Docteur Jean-Marie Voeltzel n’a « que » quinze ans d’expérience dans le métier, ayant passé les 25 années précédentes dans un tout autre domaine : le théâtre. Un parcours atypique, qui lui donne ce regard particulier sur son activité, qu’il partage entre trois établissements : « Une situation pas confortable, dit-il. Chaque établissement a des problématiques différentes. » Dans ses semaines ultra-denses, il n’avait que ses temps de trajet de disponibles. L’interview se fera au rythme des coupures de réseau : l’Allier est un de ces départements qui compte de nombreuses zones blanches, qu’il s’agisse de téléphone, ou de médecins…
Comme dans d’autres métiers, dont celui des mandataires judiciaires(1), Jean-Marie Voeltzel a d’abord du mal à faire comprendre son métier et son rôle aux familles. « Mes patients, et leurs familles, ont du mal à distinguer mon rôle de celui du médecin traitant. Une famille a d’ailleurs récemment porté plainte contre moi pour excès de pouvoir. » L’état d’une résidente d’un Ehpad(2) dans lequel Jean-Marie exerce s’est aggravé. Elle a commencé à faire des crises d’angoisse, et criait dans l’établissement : « À un moment, ça devenait insupportable, explique le docteur Voeltzel. Insupportable au sens étymologique du terme. Le personnel et les autres résidents ne pouvaient plus supporter les cris. Son médecin traitant gardait le silence. En lien avec le conseil de l’Ordre, j’ai fait intervenir un médecin gériatre qui a constaté que l’état de la résidente n’était plus compatible avec la vie en maison de retraite. Nous l’avons placée en unité d’hébergement renforcé, pour qu’elle soit apaisée. Et la famille a porté plainte. Mais je suis très serein. » En cas de situation exceptionnelle, le médecin coordonnateur a le droit de dispenser des soins. Utile en cas de silence du médecin traitant : « J’ai alerté le médecin traitant de la résidente, il n’a pas voulu parler avec moi, il m’a raccroché au nez », dénonce Jean-Marie Voeltzel.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la plupart des médecins traitants avec qui Jean-Marie Voeltzel travaille ne comprennent pas les fonctions et le « rôle singulier » du médecin coordonnateur. « Idéalement, il faudrait qu’on puisse se partager les tâches avec les autres professionnels, souhaite le docteur. C’est parfois possible. Par exemple, dans l’un des établissements dans lequel je travaille, il y a trois médecins traitants pour tous les résidents. Une relation de confiance peut s’établir entre nous. À côté de ça, il y a un autre établissement qui compte 40 médecins traitants pour 60 résidents. Dans ce cas-là, aucun lien n’est possible. »
Parmi les missions non écrites du médecin coordonnateur, il y a celui de conseil auprès du directeur. Un « binôme » nécessaire, aussi complexe à mettre en place : « C’est difficile parce que le directeur pense que le médecin veut devenir directeur à sa place, et vice versa… Les directeurs ont un rôle important. Le problème c’est que beaucoup sont dans la gestion financière. Mais on ne peut pas leur reprocher parce qu’ils ont leurs propres contraintes. » Le médecin déplore des moyens « à la baisse » pour une profession « dont le travail a une certaine valeur ». Mais parfois, il s’en sort bien. Dans son passé d’acteur de théâtre, Jean-Marie Voeltzel a appris à dénicher des financements : « Parfois je rapporte plus au directeur que ce que je lui coûte ! », s’amuse-t-il.
Pour le médecin coordinateur de l’Allier, qui passe des heures sur la route pour relier tous ses lieux de travail, la désertification médicale est un réel problème, et fait même perdre du temps et de l’argent à l’État : « Un des médecins traitants est proche de la retraite. Et il ne peut plus se déplacer tellement il a de patients. Du coup, il faut déplacer les résidents pour qu’ils puissent aller consulter… Les directeurs d’Ehpad vont devoir s’interroger sur l’opportunité d’embauche des jeunes gériatres qui sont à la fois médecin coordonnateur et médecin traitant. » Seul problème, selon le Dr Voeltzel : « On forme des médecins de terrain, c’est très bien. Mais les futurs gériatres risquent de se trouver démunis sur les missions du médecin coordonnateur qui ne concernent pas directement la pratique de la médecine : négociation, coopération, diplomatie… » L’enjeu à venir est de taille : adapter le statut du médecin coordonnateur pour une meilleure compréhension sur le terrain et former les médecins de demain.
(1) V. ASH 3034, p. 15.
(2) Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes