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Daniel Réguer : « L’âge est une construction sociale »

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Professeur à l’université Le Havre-Normandie, chercheur à l’INRS, Daniel Réguer a eu aussi une activité dans la gérontologie. À partir de l’idée que chacun d’entre nous a deux âges – celui calculé à partir de sa naissance et celui qui le sépare de sa mort –, il interroge la société sur le regard qu’elle porte sur les différents âges de la vie dont certains sont des pures constructions artificielles pour répondre à des nécessités économiques. Avec l’allongement de l’espérance de vie sans incapacité, la « silver économie » a fait du retraité une marchandise…
Vos théories sur les deux âges de la vie – celui à partir de la naissance et celui par rapport l’espérance de vie – entrent en résonance avec les thèses transhumanistes qui nous promettent une vie de 150, 200 ans et plus peut-être. Faudra-t-il revoir notre modèle économique et social en organisant la vie non plus en fonction de la naissance mais en fonction de la mort, comme une sorte de compte à rebours ?

Ce serait une révolution intellectuelle et on peut partir de ce qui se fait aujourd’hui. La notion d’âge est une notion normative. En réalité, il n’y a pas un âge pour faire quelque chose et un autre pour faire autre chose. Autrefois, d’un point de vue social et psychologique, l’enfant n’existait pas en tant qu’être humain.

Il ne sera reconnu que tardivement et au fil du temps, on ira encore plus loin en introduisant entre l’enfant et l’adulte, l’adolescent et même avant l’adolescence, la préadolescence. C’est une construction sociale. Piaget dit qu’au début de la vie, on a une petite adolescence à l’âge de 3 ans et après on a une période de latence.

Vous voulez dire que cette catégorisation en fonction de l’âge est une construction sociale artificielle ?

En partie oui. On invente des âges en fonction des nécessités sociales, économiques et politiques. Par exemple, dans les années 80, au plus fort de la crise au moment où a commencé à se poser le problème du chômage de masse, on a retiré du marché du travail des gens au-delà de 50 ans et on les a appelés des pré-retraités parce qu’il ne fallait pas les assimiler à des retraités, c’est-à-dire à des vieux. Mais, comme le mot vieux est connoté négativement, on a inventé le terme de « senior » qui est une nouvelle catégorie d’âge qui renvoie à une logique économique. Avec l’allongement de la vie, le nombre de retraités augmente et constitue ce que les spécialistes du marketing appellent « la silver économie », ce qui veut dire que le retraité est une marchandise. Autrefois, on avait trois âges : la jeunesse, l’âge adulte et le 3e âge, celui de la vieillesse. La logique marketing a inventé le 4e et même le 5e âge pour les distinguer du 3e qui est l’âge des « jeunes » retraités.

Est-ce à dire que 50 ans après 1968 – que l’on s’apprête à commémorer et qui a été le sommet du jeunisme –, on entre dans l’ère du papysme ?

Je ne suis pas sûr. Chronologiquement, on ne peut pas dire que la société vieillit. On est en meilleure santé plus longtemps et on vit plus vieux qu’avant. Le vieillissement n’est pas une question d’âge immuable. Il recule au fur et à mesure que l’espérance de vie augmente. C’est une question de représentation sociale, en particulier dans le monde économique où, à partir d’un certain âge, un travailleur est considéré comme moins performant, ce qui est faux.

Peut-on dire alors que, en raison de l’augmentation de l’espérance de vie globale et de l’espérance de vie sans incapacité, dans la vie réelle, on est jeune de plus en plus vieux et que dans le monde de l’entreprise, on est vieux de plus en plus jeune ?

Tout à fait. L’âge légal de la retraite est à 62 ans mais l’âge moyen de départ en retraite est à moins de 60 ans et le taux d’emploi des seniors de 50 ans est très faible. La retraite est vécue comme un couperet, une mise en retrait alors que les seniors ont une réelle appétence à avoir une activité. Il suffit de voir ce qui se passe dans les associations et les conseils municipaux qui sont peuplés de retraités.

Dans cette société qui pousse les anciens vers la sortie, les jeunes tirent les marrons du feu…

Même pas. Les jeunes sont attaqués de la même manière. Dans le fond, la masse de travail n’a pas changé ni la répartition. Mais, avec l’accès des femmes au travail, il a fallu faire des choix et, en gros, on a sacrifié les jeunes – hommes et femmes – et les moins qualifiés, toutes tranches d’âge confondues.

À la fin des années 90, les 35 heures ont été mises en place dans l’idée de partager le travail…

Les 35 heures n’ont pas permis d’embauches, elles ont évité des licenciements et de toute façon, elles n’ont pas supprimé la sélectivité.

Ces ruptures, cette guerre des âges posent des questions sur l’avenir de la solidarité…

Trump n’est pas un accident de parcours. Il est le produit d’une exacerbation de la société. Il y a un risque de désocialisation dans le sens d’un recul de la solidarité. L’évolution de la société fait que certains considèrent que le monde doit être dominé par une élite et le reste de l’Humanité fait ce qu’il peut.

Autrement, vous ne croyez pas à la théorie du président Macron selon laquelle les premiers de cordée tirent les autres vers le haut ?

En effet, le rôle des premiers de cordée est de ne pas couper la corde et de ramener tout le monde. Mais je crains que, dans le contexte actuel, les premiers de cordée coupent la corde.

Propos recueillis par Philippe Rollandin

La bombe démographique

La guerre des âges que pointe Daniel Réguer a une dimension mondiale et c’est, à terme, un enjeu géostratégique. Toutes les projections démographiques donnent les mêmes tendances à l’échelle d’une ou deux générations. Non seulement, il y aura plus de 10 milliards d’habitants (contre 7 actuellement) mais la structure démographique va bouleverser les équilibres politiques et économiques. En gros, l’Occident sera une immense maison de retraite en raison du vieillissement de sa population et d’un faible taux de natalité. Les pays aujourd’hui les plus puissants du monde – Japon, Allemagne – sont dans une situation de péril démographique avec des taux de natalité dramatiquement bas (1,3 ou 1,4) depuis 1 ou 2 générations. La population du Japon a commencé à diminuer en nombre absolu et celle de l’Allemagne n’augmente plus. En 2040, la France devrait être plus peuplée que son partenaire germanique. À ce propos, comment l’Hexagone se situe-t-il dans cette course démographique ? Jusqu’à une date récente, tel le petit village gaulois résistant, la démographie française était une exception en Europe avec un taux de natalité de 2,1 permettant le renouvellement des générations. Mais il semble que cette période historique se termine. L’Insee a publié, mardi 16 janvier, une étude démographique1 démontrant que le nombre de naissances est en baisse pour la troisième année consécutive, l’espérance de vie stagne, le nombre de décès augmente et le solde naturel – même s’il reste positif – diminue. La France entre-t-elle à son tour dans le cycle du vieillissement ? Il faudra attendre plusieurs années pour le savoir.

Cet Occident vieillissant fera face à une Afrique jeune et forte de 4,2 milliards d’habitants (1,2 milliard en 2017).

L’autre grand pays à être entré dans la zone de turbulence démographique est la Chine, la puissante Chine qui paie cher aujourd’hui trois décennies de politique de l’enfant unique. Le vieillissement de la population chinoise est un défi économique et politique. Il pèse sur la croissance du pays et pose la question de la prise en charge de cette population âgée. Ce n’est pas un hasard si, à l’occasion du récent voyage d’Emmanuel Macron au pays du Soleil Levant, Agnès Buzin a signé un accord de coopération pour aider les autorités chinoises à développer la silver économie, avec la création d’Ehpad et de réseaux de prise en charge pour les personnes âgées.

Un enjeu majeur pour le gouvernement chinois car comme le dit la chercheuse Isabelle Attané : « Les Chinois seront vieux avant d’être riches ».

Notes

(1) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1892086?sommaire=1912926

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