L’entretien professionnel se distingue en théorie de l’entretien annuel d’évaluation, et ce, bien que cette distinction ne semble pas si évidente en pratique. L’exercice d’identification des ressemblances et/ou des différences, proposé ici, peut ainsi permettre de mieux appréhender l’objectif respectif de ces deux entretiens.
L’entretien annuel d’évaluation permet de faire le bilan de l’année écoulée (missions et activités réalisées au regard des objectifs fixés, difficultés rencontrées, points à améliorer, relations professionnelles horizontales et verticales, etc.). De plus, il permet de fixer les objectifs professionnels et les moyens à mettre en œuvre pour l’année à venir. À l’inverse, l’entretien professionnel ou dit de carrière, en plus d’être consacré aux perspectives d’évolution du salarié, notamment en termes de qualifications et d’emploi, comporte des informations relatives à la validation des acquis et de l’expérience (VAE).
La loi sur la formation professionnelle de 2014(1) a facilité l’accès de cette dernière, notamment en rendant le salarié acteur de son évolution professionnelle et de sa carrière. Pour mémoire, chaque salarié dispose d’un compte personnel d’activité(2) qui contient le compte professionnel de prévention, le compte d’engagement citoyen et le compte personnel de formation (CPF). L’entretien professionnel fait en somme partie intégrante des outils permettant au salarié de suivre ce compte formation susvisé.
De prime abord, ces entretiens paraissent semblables et sujets à des échanges répétitifs lors de leur déroulement. Pourtant, des différences certaines existent entre les deux.
La première et franche différence est que l’entretien annuel d’évaluation a pour objet d’évaluer les compétences professionnelles du salarié. Il ne doit pas être confondu avec les entretiens professionnels organisés pour permettre de définir un projet professionnel.
Chaque salarié a droit à un entretien professionnel, tous les 2 ans, consacré à ses perspectives d’évolution professionnelle. En outre, tous les 6 ans de présence du salarié dans l’entreprise, l’entretien professionnel doit permettre d’élaborer un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Au demeurant, il est possible de considérer qu’il comporte un double objectif : d’une part, un objectif rétrospectif visant à vérifier si le salarié a bénéficié sur les 6 années écoulées de ses entretiens professionnels, avec une cadence cohérente, une fois par an ou a minima tous les deux ans ; d’autre part, un objectif orienté vers l’avenir du salarié, ayant pour objet de mettre en exergue ses perspectives d’évolution de carrière. Il est important d’insister sur le fait que l’employeur doit concrètement s’assurer que le salarié a, au cours de ces six années, été formé et s’il a pu évoluer. Il doit ainsi également encourager le salarié à développer ses compétences et l’accompagner vers une évolution de carrière. Sur les modalités d’entrée en vigueur de ce bilan, l’administration a précisé que la date d’échéance du premier bilan est fixée au 7 mars 2020, compte tenu de la date d’échéance du premier entretien professionnel bisannuel qui est fixée au 7 mars 2016. Autrement dit, un salarié présent dans l’entreprise au 7 mars 2014, a dû bénéficier à compter du 7 mars 2016 d’un entretien professionnel, avec un bilan en 2020. Les salariés de retour de certains congés doivent également en bénéficier.
Il est important de souligner que les échanges de cet entretien doivent être récapitulés dans un document, dont une copie est remise au salarié ; ce document permet d’une part de vérifier que ce dernier a bénéficié, au cours des six dernières années, des entretiens professionnels et d’autre part d’acter et d’apprécier s’il a suivi au moins une action de formation ; acquis des éléments de certification, par la formation ou par une validation des acquis de son expérience (VAE) ; bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle.
La deuxième différence est que l’entretien annuel d’évaluation est facultatif une fois par an alors que l’entretien de carrière est obligatoire bisannuellement, avec un bilan tous les 6 ans.
Certes il n’existe à ce jour aucune obligation légale de mettre en place un dispositif d’évaluation annuelle, sauf dispositions conventionnelles contraires puisque certaines conventions collectives peuvent en prévoir un. De plus, le Code du travail ne contient aucune disposition en ce sens. Par conséquent, non seulement il ne nécessite pas l’accord du salarié pour sa mise en place, mais en plus le salarié ne peut pas refuser de s’y soumettre.
En revanche, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, lorsque le salarié n’aura pas bénéficié des entretiens professionnels et d’au moins deux des trois mesures susvisées, son compte personnel de formation (CPF) sera abondé d’un crédit de 100 heures supplémentaires pour un salarié à temps plein ou 130 heures pour un salarié à temps partiel. Pour financer ces heures, l’entreprise devra verser à l’OPCA une somme égale à 100 heures (ou 130 heures) multiplié par 30 €. Dans le cadre des contrôles menés par l’administration, lorsque l’entreprise n’a pas opéré ce versement ou a opéré un versement insuffisant, elle est mise en demeure de procéder au versement de l’insuffisance constatée à l’OPCA. À défaut, l’entreprise versera au Trésor public un montant équivalent à l’insuffisance constatée majorée de 100 %(3).
La troisième réside dans le fait que l’entretien professionnel se distingue nettement de l’entretien annuel parce qu’il revêt un caractère positif. En effet, l’entretien de carrière n’a pas pour objet principal de fixer une appréciation du salarié. Il doit permettre d’entretenir la motivation de l’intéressé, d’identifier ses besoins d’accompagnement et/ou de formation, et de l’impliquer dans la construction et la gestion de son parcours. Il prépare le salarié à être acteur de son évolution professionnelle et revêt une dimension future. À l’inverse, l’entretien d’évaluation fixe l’appréciation portée par l’entreprise sur les qualités, mais également les défauts professionnels du salarié au moment où il est réalisé, à un instant t. Ainsi une appréciation négative du travail du salarié peut constituer un élément à charge que l’employeur peut utiliser contre lui. A contrario si l’appréciation est positive, le salarié pourra opposer les comptes rendus de ses entretiens à l’employeur.
Ce dernier doit donc se montrer prudent dans l’exploitation du résultat des évaluations réalisées, car celles-ci sont susceptibles d’avoir des incidences sur le déroulement du contrat de travail en termes d’évolution de carrière, de rémunération, de formation, voire de rupture. À titre d’exemple, les résultats d’une procédure d’évaluation peuvent constituer des éléments objectifs de nature à justifier : une différence de classification et de rémunération ; l’ordre des licenciements via les qualités professionnelles du salarié ; un motif d’insuffisance professionnelle, aussi bien qualitative que quantitative.
En tout état de cause, ces conséquences susvisées n’affectent pas le principe selon lequel l’employeur peut évaluer le travail de ses salariés dans le cadre de son pouvoir de direction (Cass.soc., 10 juillet 2002, n° 00-42.368).
Enfin, il convient de souligner que l’entretien professionnel se déroule en présence de l’employeur et qu’il ne fait pas l’objet de méthodes particulières. Une trame relative au déroulement de l’entretien a été mise en ligne à l’adresse suivante (
Inversement et en pratique, les méthodes utilisées, en matière d’évaluation réalisée au cours de l’entretien annuel, peuvent prendre des formes variées et dépendent de la politique RH mise en œuvre dans l’entreprise. Elles vont du simple entretien annuel avec le supérieur hiérarchique à des méthodes plus sophistiquées comme l’entretien 360° (système par lequel les collaborateurs évaluent leur supérieur hiérarchique). Cependant, il est nécessaire de rappeler que lorsque les entreprises décident d’utiliser un dispositif d’évaluation, elles sont tenues de se conformer à une procédure préalable au déroulement des entretiens, définie à la fois par la jurisprudence, la loi et la Cnil ou encore par les dispositions conventionnelles, notamment des accords de branche. L’employeur doit en tout état de cause informer le salarié, consulter les représentants du personnel s’ils existent et procéder à une déclaration auprès de la Cnil, du moins uniquement lorsque les données personnelles collectées par l’employeur au cours des entretiens sont enregistrées dans un fichier informatique (traitement automatisé).
Il est important également de rappeler que pour être licite le procédé d’évaluation doit tout d’abord avoir été porté à la connaissance des salariés préalablement à sa mise en œuvre (principe de transparence). La collecte de données personnelles au cours des entretiens d’évaluation nécessite l’information préalable du salarié. Ensuite, l’évaluation du salarié doit se fonder sur la base de critères objectifs et vérifiables (principe de pertinence au regard de la finalité poursuivie). En outre, l’employeur doit veiller à ne pas se baser sur des critères discriminatoires. Enfin, l’évaluation doit être confidentielle.
En dépit de ces différences, une ressemblance certaine peut être mise en exergue entre ces deux entretiens. En fait, l’entretien professionnel est le corollaire de l’entretien annuel.
Les deux entretiens sont inéluctablement liés. En effet, l’entretien annuel, notamment lorsqu’il s’avère positif, peut motiver le salarié et le conduire à un souhait d’évolution de sa carrière via la définition d’un projet et d’une demande de formation. Inversement, une demande de formation peut traduire une difficulté d’un salarié ou la nécessité de parfaire ses compétences.
Ces deux entretiens sont donc des outils de management. L’entretien annuel peut servir de fondement à une procédure de licenciement, notamment en cas d’insuffisance professionnelle du salarié. L’entretien professionnel est bien le corollaire de l’entretien individuel puisqu’un tel motif ne sera invocable par l’employeur qu’à la condition que le salarié ait bénéficié d’actions de formations lui permettant d’exécuter ses fonctions ou tout au moins que l’employeur ait proposé des formations à son salarié, notamment au cours de l’entretien professionnel.
Outre, les obligations afférentes à l’abondement, le non-respect de l’entretien de carrière peut avoir des conséquences pécuniaires pour l’entreprise, puisqu’il a été reconnu par les juges du fond que le salarié peut invoquer avoir subi un préjudice en cas de non tenue de l’entretien(4). À ce jour, l’entretien annuel ne conduit pas à une telle sanction, toutefois, il est possible de s’interroger sur une éventuelle et future demande des salariés. Il est donc primordial pour l’employeur d’organiser ces deux entretiens, et ce de manière rigoureuse, en commençant par associer le salarié à sa préparation.
L’organisation de ces entretiens prend du temps et nécessite un suivi rigoureux, sans compter qu’il existe d’autres entretiens, distincts de ceux précités et auxquels l’employeur doit se soumettre.
L’employeur doit organiser un entretien annuel pour les salariés qui sont cadres au forfait jours. En effet, cet entretien a pour objectif de contrôler la charge de travail du salarié et son adéquation avec le volume d’activité, qui est en principe défini au cours de la mise en œuvre du forfait. Également, il permet de vérifier l’organisation du travail, et l’articulation entre activité professionnelle/vie personnelle et familiale et enfin la rémunération du salarié(5). Cet entretien, à la différence de celui d’évaluation annuelle, est obligatoire. Un entretien annuel avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours, y compris avec celles conclues avant la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, doit donc être strictement mis en œuvre. La sanction est très lourde puisqu’en cas d’inobservation de la formalité de l’entretien, la convention individuelle de forfait est privée d’effet. L’employeur s’expose donc à des demandes de rappel d’heures supplémentaires conséquentes. De plus, à défaut d’organisation de cet entretien, le salarié peut demander le paiement d’une indemnité pour exécution déloyale de la convention de forfait en jours(6).
En outre, un entretien relatif aux modalités d’exécution du télétravail doit également être mis en place lorsque le salarié bénéficie de ce dispositif(7). Bien que les ordonnances Macron aient facilité le recours au télétravail, celui-ci se trouve désormais strictement encadré. L’objectif de cet entretien est d’échanger sur les conditions d’activité du télétravailleur, notamment sa charge de travail(8). Cet entretien est annuel, mais l’employeur peut prévoir des entretiens plus fréquents, mensuels ou trimestriels par exemple. L’objectif est également d’informer le salarié télétravailleur afin qu’il puisse comparer la charge de travail et les délais d’exécution, évalués selon les mêmes méthodes que celles utilisées pour les travaux exécutés dans les locaux de l’entreprise. À ce jour, l’employeur ne s’expose à aucune sanction légale, toutefois, il n’est pas à l’abri, compte tenu de la position des juges d’accorder des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi pour défaut d’entretien, tel que l’entretien professionnel.
Finalement, l’employeur doit se dégager un temps considérable pour organiser ces multiples entretiens et être de ce fait en conformité avec la loi. Ces entretiens imposent en général des échéances (annuelle ou non), mais au demeurant, rien n’empêche l’employeur d’augmenter leur fréquence, si elle est avérée utile. Ces entretiens ne pouvant pas toujours être délégués, puisqu’il est préférable que l’employeur soit présent, peuvent constituer une perte de temps, surtout en ce qui concerne le formalisme auquel est tenue l’entreprise, viala rédaction de rapports ou de fiches de synthèse. À titre d’exemple, si un salarié au forfait jours exécute ses fonctions en télétravail, il convient d’organiser deux entretiens en théorie. Mais dans la pratique, un seul et même entretien, sera en général organisé, donc annuel, avec naturellement le souci d’aborder, par exemple, la charge de travail liée à la durée du travail d’un salarié au forfait jour et celle relative à un salarié en télétravail qui peut, à défaut de repère, car absent de l’entreprise, travailler plus qu’un salarié lambda. En revanche et à notre sens, deux fiches distinctes doivent être complétées pour acter le respect de l’employeur de la tenue de ces deux entretiens, mais également du respect des points qui doivent être abordés. À quand la parution d’un nouvel entretien ? Affaire à suivre.
(1) Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.
(2) Code du travail, article L 5151-5.
(3) Code du travail, article R 6323-3.
(4) Cass.soc., 6 juillet 2016, n° 15-18.419.
(5) Code du travail, article L 3121-46.
(6) Cass.soc., 12 mars 2014, n° 12-29.141.
(7) Ordonnance Macron, 2017-1387 du 22 septembre 2017, article 21.
(8) Code du travail, article L 1222-10.