Sur le papier, la création du diplôme d’État d’accompagnant éducatif et social (DEAES) présentait de nombreux avantages. Annoncé en 2013, présenté comme la première étape de la restructuration des diplômes de travail social, et créé par un arrêté et un décret du 29 janvier 2016, ce diplôme du travail social de niveau V (CAP-BEP) fusionne, d’une part, le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) et le diplôme d’État d’aide médico-psychologique (DEAMP) et permet, d’autre part, la professionnalisation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). La philosophie sous-jacente est donc celle de la transversalité, du décloisonnement.
Concrètement, le DEAES s’organise sur la base d’un socle commun de compétences centré sur l’intervention auprès des personnes (378 heures) et complété par l’une de ces trois spécialisations (147 heures) : accompagnement de la vie à domicile ; accompagnement de la vie en structure collective, accompagnement à l’éducation inclusive et à la vie ordinaire. Le dernier volet est une formation pratique (840 heures de stages), sur une période d’un à deux ans.
« L’objectif de ce diplôme unique est bien d’anticiper les besoins des professionnels en termes de compétences et de mobilité professionnelle et ainsi de favoriser une plus grande fluidification des parcours grâce aux passerelles entre les spécialités », souligne le ministère des Solidarités et de la Santé. « Le DEAES n’est pas une simple compilation des diplômes existants d’aide médico-psychologique ou d’auxiliaire de vie sociale auxquels il est amené à se substituer. Il a été pensé en profondeur pour, à la fois, tenir compte des évolutions législatives du secteur social et médico-social et répondre au niveau de responsabilité demandé dans l’intervention de proximité en direction des personnes les plus fragiles », argumente la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) Pays de Loire.
Selon le Plan pour les métiers de l’autonomie publié en 2014, ce nouveau diplôme devait conduire à « une triple simplification » : pour les étudiants (avec une offre de formation plus lisible et donc plus accessible) ; pour les employeurs (avec des candidats plus polyvalents) et pour les usagers. Objectif : former des professionnels plus polyvalents, bénéficiant des apports de cultures professionnelles jusque-là cloisonnées et améliorer, par conséquent, la qualité de l’accompagnement des publics fragiles.
L’autre bénéfice visé ? Lutter contre l’usure professionnelle en permettant de diversifier les pratiques et les lieux possibles d’interventions.
Plus d’un an après la mise en œuvre du DEAES, la théorie a-t-elle rejoint la pratique ? Les formations au DEAES ont débuté en septembre 2016 dans les différents instituts de formation. Et déjà les premiers couacs se présentent. Qui sont les gagnants, qui sont les perdants ? Alors que ce nouveau diplôme devrait contribuer, notamment, à la professionnalisation du secteur de l’aide à domicile et palier à la pénurie persistance de personnels, force est de constater que l’option “accompagnement à domicile” est grandement boudée par les étudiants qui préfèrent envisager leur avenir professionnel dans le cadre de structures collectives (EHPAD, IME, MAS, ESAT…).
« Ce constat d’une désaffection pour la spécialisation domicile est apparu dès les premières promotions d’étudiants », explique Manuella Pinto, directrice des relations sociales à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (Una). « Nous avons interpellé la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) à ce sujet. Il faut rééquilibrer cette répartition entre l’option “domicile” et l’option “structures collectives” car les services d’aide à domicile ont besoin de professionnels ! »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La cote de popularité de l’option domicile est au ras des pâquerettes… Du côté de l’Île-de-France, Sophie Chaillet, directrice adjointe de la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) a établi un point, en mars 2017, sur la certification initiale du DEAES. Résultats ? Sur les 36 établissements de formation habilités à dispenser la formation préparant au DEAES et sur 996 étudiants entrés en formation, 90,5 % ont opté pour la spécialité “accompagnement à la vie en structure collective” !
« La spécialité “domicile” est délaissée par les candidats », témoigne, également, Laurence Rousseau, coordinatrice régionale du DEAES pour le centre de formation Askoria à Rennes. « La suppression des intitulés AMP et AVS entraîne une certaine perte de repères chez les professionnels. Certains employeurs attendent d’avoir plus de recul sur ce nouveau diplôme avant d’envoyer leurs salariés en formation. Il y a encore des réticences. Pourtant cette formation apporte beaucoup de connaissances et de compétences transversales. Mais il faut encore du temps pour que le DEAES soit bien identifié et que l’information circule. Par exemple, lors de la première VAE DAES en région Bretagne, il y a eu 4 à 5 personnes présentées et une cinquantaine lors de la deuxième session », ajoute-t-elle.
Aucune région n’y échappe, cette désaffection pour l’option domicile est présente sur tout le territorial national. Selon les chiffres publiés par la DRDJSCS Auvergne – Rhône-Alpes, 277 étudiants ont été admis à la session de novembre 2017 du DEAES pour la spécialisation “vie en structure collective” contre seulement 97 pour la spécialisation “vie à domicile” et 20 pour l’“inclusion scolaire”. Du côté de la DRDJSCS Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour la session décembre 2017 du DEAES, 137 candidats ont obtenu la validation totale du DEAES dans la spécialité “structures collectives”, 27 pour la spécialité “accompagnement de la vie à domicile” et 28 lauréats pour l’option “inclusion scolaire”.
« Les instituts de formation constatent aujourd’hui une appétence des publics entrant en formation de DEAES en premier lieu pour la spécialité “accompagnement à l’éducation inclusive et à la vie ordinaire” et en second lieu vers les structures collectives. Dès lors, les problématiques de recrutement à l’issue de cette nouvelle formation, ainsi que les problématiques de mobilité des futurs diplômés d’un métier à l’autre selon leur spécialité de base, risquent de se poser rapidement. À l’inverse, la potentielle faible attractivité de l’option “accompagnement de la vie à domicile” risque d’amplifier les tensions sur l’emploi dans le secteur de l’aide à domicile et des personnes âgées », augure le schéma régional des formations sanitaires et sociales 2018-2022 de la région Occitanie.
« On peut noter un nombre insuffisant de places en formation pour le DEAES, y compris en alternance, et les services d’aide et d’accompagnement à domicile peinent à trouver des professionnels diplômés, conduisant à des défauts de prises en charge, voire pire », s’inquiète Odile Maurin, représentante du Comité d’entente régional des associations représentatives de personnes en situation de handicap et de leurs proches de Midi-Pyrénées.
Selon France Stratégies et la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), il y aurait 579 000 postes à pourvoir en France dans les services à la personne à l’horizon 2022, dont 322 000 aides à domicile. En 2017, les quatre fédérations d’aide, de soins et de service à domicile (Adessadomicile, l’ADMR, la FNAAFP/CSP et Una), avait lancé une campagne de recrutement nationale baptisée « Mettons du cœur à l’emploi » afin de valoriser le secteur et ses métiers. Une « opération séduction » qui devrait être renouvelée en 2018. Et pourtant la greffe ne prend pas du côté des futurs titulaires du DEAES… « On ne peut pas imposer d’office une option aux étudiants. C’est un libre choix. 14 heures de la formation sont consacrées à la connaissance des trois spécialités. À l’issue de ces présentations, les étudiants choisissent leur voie », rappelle Maja Vinoy-Staszkow, responsable pédagogique du DEAES à la Fondation (Institut National de Formation et d’Application) Ile-de-France. « Nous avions remporté un appel d’offres de Pôle Emploi pour former des demandeurs d’emploi au DEAES option “accompagnement à domicile”. Mais toutes les personnes venues se former par le biais de Pôle emploi ont finalement choisi l’option “structure collective” », poursuit-elle.
Il ne faut donc pas attendre de ce nouveau diplôme qu’il compense ou règle un déficit d’attractivité qui affecte, de longue date, le secteur du domicile. « Exercer en établissement, cela représente au regard des futurs professionnels de la stabilité, un travail en équipe. Pour l’exercice à domicile, il y a les déplacements, les temps de travail qui ne sont pas toujours rémunérés. Dans une structure, le ou la professionnelle peut être aidée par exemple pour effectuer un transfert. Enfin sur la même formation, le même diplôme, les salaires ne seront pas les mêmes entre le domicile et les établissements », égrène Maja Vinoy-Staszkow. Cependant, la responsable pédagogique considère que les services d’aide à domicile peuvent faire bouger les lignes à condition de s’impliquer dans la valorisation de ce nouveau diplôme. « Nous avons eu une étudiante qui a effectué son stage à domicile. Au bout de deux semaines, elle était laissée seule lors des interventions, il n’y avait pas de tutorat. C’est très démoralisant pour une future professionnelle. Que les responsables des services d’aide à domicile, les représentants du secteur viennent à la rencontre des étudiants pour leur présenter l’intérêt des métiers, qu’ils pensent à accompagner un vrai accompagnement des stagiaires. » Pour Manuella Pinto, directrice des relations sociales, la solution pour changer la donne passera par un temps d’information renforcé auprès des étudiants sur les métiers du domicile.
« L’impact du DEAES sur les structures (composition des équipes, rémunérations, évolutions professionnelles et passerelles, etc.) n’a pas encore été pleinement appréhendé », soulignait la Fehap, en juin dernier. Les fédérations du secteur social et médico-social attendent un premier bilan de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) sur la mise en œuvre de ce diplôme. Par ailleurs, la DGCS travaille actuellement avec la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur des passerelles entre le diplôme d’aide-soignant (AS) et celui d’accompagnant éducatif et social (AES).