Recevoir la newsletter

Quand l’utopie du vivre-ensemble devient possible

Article réservé aux abonnés

Éducateurs de rue sur le territoire d’Auby dans le Nord de la France, Aïssa Ounane et Farouk Khatabi décrivent leur travail de terrain – c’est le cas de le dire – et démontrent le rôle des éducateurs dans un projet de vivre ensemble sur un territoire multiethnique, fragmenté socialement, abîmé économiquement, politiquement oublié. Un travail de Sisyphe essentiel.

On reproche souvent aux éducateurs et notamment à la Prévention spécialisée(1) de ne pas être suffisamment visible quant à ses modes d’intervention. Chaque jour, des éducateurs de rue vont à la rencontre d’adolescents, de jeunes, qu’ils soient mineurs ou majeurs pour lesquels il y a des risques de marginalisation, d’auto-exclusion ou de précarité sociale… Le travail de l’éducateur n’est pas toujours palpable pour le grand public, c’est souvent un travail que l’on pourrait qualifier d’invisible, de complexe et qui s’inscrit dans le temps. Mais ce travail se révèle être contributif car combien de jeunes sont accompagnés au quotidien par des éducateurs ? Combien parviennent à se réinsérer socialement, professionnellement et même personnellement ? Nous ne prétendons pas être des « surhommes », solutionnant tout problème mais simplement des acteurs de terrain, témoins de beaucoup de souffrance comme de beaucoup de potentialités.

L’éducateur spécialisé est pour nous un générateur de vivre-ensemble, il travaille avec sa singularité, avec ses frustrations, avec ses compétences. L’éducateur ne s’appuie pas uniquement sur des savoir-faire pour accompagner un public dans sa réinsertion. Son travail est beaucoup plus profond, s’appuyant surtout sur des savoir-être.

Qu’entendons-nous précisément par savoir-faire et savoir-être ?

Les savoir-faire sont souvent ceux qu’on apprend à l’école, en formation, ce sont aussi des savoirs que la société exige : obtenir des diplômes, être dans la norme, suivre des techniques spécifiques… Tandis que les savoir-être touchent notre humanité, on peut parler de cette capacité à accueillir, à sourire, à être à l’écoute, à savoir entrer en relation, être empathique… L’idée sous-jacente étant d’apporter notre pierre à l’édifice en nourrissant des réflexions, des débats et en provoquant des rencontres autour de la question du vivre ensemble.

Pourquoi parler de vivre-ensemble ?

Pour nous, le vivre-ensemble ne peut se résumer à un slogan, c’est une notion qui se vit, cela suppose un engagement à aller vers l’autre, à proposer et partager des moments conviviaux et viser davantage l’interconnaissance. Nous pensons avoir besoin de ces moments forts en humanité dans le contexte actuel de tensions nationales et internationales : repli sur soi, guerre, chômage, peur de l’autre… De plus, tous les citoyens peuvent, à un moment donné, être amenés à exclure, à être méfiants, à être dans le rejet. Ces maux ne sont pas des vaccins, nous pensons qu’ils sont plutôt des virus et que chacun d’entre nous doit pouvoir les combattre à son niveau. « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots »(2). L’éducateur, parmi de nombreux professionnels, travaille concrètement la notion du vivre-ensemble, c’est-à-dire d’une manière humaniste et pragmatique et non pas uniquement d’une manière théorique ou rhétorique.

Par ailleurs, nous pensons que la notion de vivre-ensemble ne doit pas s’appliquer uniquement à une frange de la population dite « populaire ». En effet, « les élites » doivent prendre en considération qu’eux aussi ont un travail à mener sur la question du vivre-ensemble. Au quotidien, nous accompagnons un public issu majoritairement de la classe populaire. À ce titre, notre travail consiste à favoriser des rencontres entre différentes populations dans l’idée que chacun puisse déconstruire ses représentations. Ainsi nous cherchons à contribuer à la notion du vivre-ensemble et à faire vivre les symboles de la république : liberté, égalité, fraternité.

Après avoir dressé le contexte de notre intervention en abordant des questions sociales, sociétales et éthiques, nous allons désormais décrire la manière dont nous travaillons concrètement le vivre-ensemble. Le cadre de cette dynamique de travail s’inscrit dans une expérience du « travail dans la rue ». L’idée du travail « dans » signifie que l’éducateur propose une action éducative au sein d’un secteur précis. C’est un moment où l’équipe va proposer un support, un atelier éducatif en y incluant une technicité de travail. L’idée est de créer les conditions propices à des échanges intergénérationnels, d’aller vers autrui pour que chaque citoyen puisse découvrir le potentiel dont il est porteur.

L’expérience du « travail dans la rue » sur le territoire d’Auby(3) : l’atelier mosaïque

L’atelier mosaïque a nécessité une certaine organisation. En effet, l’équipe a déposé des affiches annonçant auprès des citoyens et des partenaires la présence de cet atelier. Une demande d’autorisation a également été transmise auprès de la municipalité pour occuper l’espace public. Notre intention visait deux axes : le premier consistait à travailler sur la question de l’écocitoyenneté en utilisant des matériaux de récupération, le second visait à favoriser le vivre-ensemble. Nous étions situés au cœur du centre-ville, le soleil était au rendez-vous, nous prenions le temps d’installer le matériel, la présence de l’équipe suscitait de la curiosité chez le public, elle semblait être aussi rassurante. Les jeunes, les enfants, les familles ont voulu naturellement participer à l’atelier mosaïque. De par la dynamique qui était en train de se créer, d’autres personnes sont également venues se joindre à nous. Les jeunes, petits et grands ont pu se lancer dans un travail de création : l’idée de départ était d’effectuer un dessous-de-plat en respectant des consignes. Naturellement, les jeunes se sont approprié les matériaux et ont laissé place à leur imagination. Durant ce temps de fraternité, ce qui était émouvant, c’était de voir des passants venir partager un café, un sourire, une discussion ordinaire… L’hétérogénéité du public était à l’image de notre société : métissée. Il y avait des enfants, des adolescents, des pères et des mères de famille, des personnes handicapées, des personnes âgées isolées. Il n’était plus question de couleur, d’origine ethnique, sociale ou culturelle mais tout simplement d’être unis autour d’un espace de convivialité, de rencontres et d’échanges. Finies les représentations que chacun se faisait de l’autre, une seule devise : celle du lâcher-prise et d’apprendre ou réapprendre à vivre l’instant présent. La présence de tout un chacun permettait des échanges intergénérationnels, on pouvait observer que chaque personne trouvait seule sa place. Nous tournions la tête à droite, il y avait des pères de famille qui expliquaient des techniques de jointure à des plus jeunes. Lorsque nous la tournions à gauche, des grands frères portaient sur leurs genoux les plus petits afin de les aider à sélectionner quelques petits bouts de faïence colorée. Ce qui nous paraissait être une véritable leçon de vie, c’était de voir certains jeunes laisser leur place à des personnes à mobilité réduite ou âgées, de voir sur le visage de ces personnes, qui d’ordinaire ne se côtoient pas, le sourire et la joie. Le temps paraissait suspendu, l’ambiance était paisible, il n’y avait pas de rivalité entre les participants, bien au contraire, on pouvait ressentir de l’encouragement. Certains parents étaient fiers des productions de leurs enfants. Le public était joyeux à l’idée de pouvoir offrir un cadeau à sa famille. Certains ont pu découvrir que leurs enfants avaient des compétences qu’ils ignoraient : « C’était un moment magique. »(4) Des demandes, des inquiétudes et des préoccupations ont émergé : difficultés familiales, difficultés à créer du lien, à s’insérer… Des parents ont souhaité être accompagnés pour échanger sur l’éventuelle mise en place d’une fête de quartier. Les personnes âgées, les familles ont pu faire part de leur isolement et leur souhait d’agir sur leur quotidien.

Cet écrit met en lumière le caractère humain du travail de l’éducateur. Il a été un long cheminement pour notre équipe car il relève de l’impalpable, de l’obscur, de l’indicible. Toutefois, nous sommes conscients que la démarche de compréhension des publics en souffrance, la prise en compte de la globalité de la personne, les réactions émotionnelles du public sont autant de facteurs qui placent l’éducateur dans une position délicate. C’est dans cette optique que nous avons fait le choix de témoigner du sens profond de notre métier. À ce titre, nous devons dépasser les élans émotionnels et les débats qui se réduisent trop souvent au domaine intellectuel. L’engagement, le processus du vivre-ensemble ne sont pas des slogans mais réellement des principes à faire vivre au quotidien.

La question sous-jacente de cet article visait une certaine prise de conscience sur la question du vivre-ensemble. Quelle société voulons-nous pour demain ? C’est une question à l’endroit d’un public large : les politiques, les acteurs sociaux, les éducateurs, les citoyens lambda, les médias… Au fond, tout le monde a le pouvoir d’agir à son niveau pour viser une société beaucoup plus juste, sereine et apaisée. Alors, allons-y, faisons naître des idées fédératrices, sortons nos plumes, lançons-nous dans ce travail de témoignage.

Notes

(1) Action éducative régie par la loi du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’enfance

(2) Martin Luther King

(3) Commune située dans le Nord de la France

(4) Propos recueilli par l’éducatrice Zakia

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur