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Le pari de l’accompagnement global

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À Aix-en-Provence, le relais Resados, une structure expérimentale, accueille des jeunes en grande souffrance psychique dont le parcours est jalonné de multiples ruptures. Associant soin et accompagnement éducatif et établissant un lien entre toutes les structures de prise en charge, ce réseau assure une continuité dans le suivi de ces adolescents désocialisés dans l’objectif de les aider à trouver leur place dans la société. Mais, faute de financement, cette expérience devrait s’arrêter en février 2018.

« Je suis sûre que l’Hexagone, c’est plus petit que Madagascar », défie Caroline attablée devant son assiette de poulet au lait de coco. Axel*, originaire de l’île, prend le pari… et perd, sous les moqueries affectueuses des professionnels qui l’entourent. « T’as pas compris, moi je comparais avec la France entière, DOM-TOM inclus », souligne Jocelyn.

La scène se déroule dans ce qui ressemble à un domicile familial. Dans ce quartier résidentiel d’Aix-en-Provence où l’été déborde largement sur l’automne, le relais Resados est installé dans une maison dont le rez-de-chaussée est occupé par deux salons et une vaste cuisine. Axel, 16 ans, est le seul des jeunes accompagnés par la structure à s’être déplacé aujourd’hui. Et encore a-t-il fallu lui promettre de le ramener chez lui en voiture dans l’après-midi. Axel n’aime pas prendre le bus, le regard d’autrui l’embarrasse. Mais au moins est-il allé, avec les éducateurs, faire les courses nécessaires à la préparation du déjeuner que tous partagent à présent avec bonne humeur.

Le relais Resados est une structure expérimentale chargée d’accompagner de jeunes adolescents, âgés de 12 à 21 ans, en grande difficulté psychique, et dont le comportement et/ou le parcours inquiètent fortement l’entourage et les différentes équipes auxquelles ils ont été confiés sans qu’elles ne parviennent à intervenir de façon satisfaisante. Le programme actuel est issu d’une association née – à la fin des années 1980 – de la rencontre entre les responsables des pôles pédopsychiatriques, judiciaires et aide à l’enfance du territoire aixois. « À l’époque, ils évoquent ces adolescents qui ’posent problème“ et sont ballotés d’un service à un autre parce qu’entre le social, le judiciaire et le sanitaire, on ne se parlait pas, résume Caroline Saiz, actuelle directrice du relais Resados. Et ils se rendent compte que ce sont toujours les mêmes et qu’ils sont connus de toutes les institutions. »

Pas de projet thérapeutique à la PJ

Pour ces jeunes, il n’existe aucune structure globalement adaptée et la collaboration entre les institutions existantes fait défaut. Le secteur de pédopsychiatrie et l’hôpital de jour ne peuvent prendre en charge que les adolescents résolument entrés dans le champ psychopathologique, tandis que les centres médico-psychologiques (CMP) n’offrent pas l’accompagnement éducatif nécessaire et sont déjà surchargés. La protection judiciaire de la jeunesse n’intègre pas de projet thérapeutique et les établissements scolaires ne savent pas gérer les difficultés que rencontrent ces jeunes. Et dans les maisons pour enfants à caractère social (MECS), ils dérangent et peuvent mettre en difficulté le public généralement accueilli par l’Aide sociale à l’enfance, d’autant plus s’ils sont déscolarisés. « C’est une tranche de la population largement délaissée par les services de soins, plus en souffrance et moins bien soignée car l’expression de leurs besoins est particulière », résume Julien Guidi, actuel pédopsychiatre de Resados. « Le résultat, ce sont des jeunes qui arrivent à l’âge adulte avec une problématique abandonnique forte, note Caroline Saiz. On les retrouve plus tard en centre d’hébergement et de réinsertion sociale, en errance, voire en prison, car ils rencontrent une grande difficulté à se construire et à prendre une place dans la société. »

Pour prévenir cela, le relais Resados s’est d’abord envisagé comme un lieu d’échanges et de rencontres entre les responsables des différentes structures et établissements du territoire aixois afin d’élaborer des solutions, au cas par cas. « Au début, c’était une forme de volontariat, précise Caroline Saiz. L’idée était de pouvoir réunir les intervenants potentiels sur une situation, en moins de 48 heures, quand l’équipe référente n’arrivait plus à prendre en charge le jeune et que la rupture se profilait. » Alors, plutôt que chaque secteur se retranche derrière l’idée que la situation ne relève pas de lui et baisse les bras devant les difficultés, les professionnels se rencontraient, partageaient leurs informations et réfléchissaient à des solutions. « Il faut comprendre que d’une MECS à l’autre, il y a parfois 500 m et pourtant les équipes se connaissent peu », assure la directrice du relais Resados.

Progressivement, l’association, qui a construit un véritable réseau de partenaires, élabore un projet d’accueil de jour permettant de recevoir les jeunes. Il s’agit de leur apporter un mieux-être, de les ramener vers le soin et de les aider à trouver une place dans la société sans intervenir à la place des accompagnements déjà mis en place mais en renforçant leur action par un suivi ultra-individualisé et une prise en charge pédopsychiatrique.

Une équipe référente

En 2011, lorsque le projet obtient un financement de l’ARS et du conseil départemental des Bouches-du-Rhône à titre expérimental, cinq postes de soignants et de travailleurs sociaux sont financés. L’équipe est constituée de deux infirmiers en santé mentale (détachés par l’hôpital Montperrin), trois éducateurs spécialisés, une psychologue et un pédopsychiatre, ainsi qu’un poste de direction et une secrétaire comptable. Le relais Resados a choisi d’associer ces deux compétences au sein de son équipe, même si chacun de ces professionnels de terrain assure le même rôle au quotidien. « Les éducateurs ont moins la compétence de repérage de la souffrance et des troubles psychiques, même s’ils l’acquièrent avec l’expérience, souligne Caroline Saiz. Et les infirmiers ont évidemment moins la connaissance des institutions et dispositifs qui peuvent jalonner le parcours des jeunes. Mais ils apportent cette complémentarité éducative/soignante dont les jeunes ont besoin. »

100 % de disponibilité

Chaque orientation débute par une réunion entre l’équipe référente du jeune et deux professionnels de Resados. Les jeunes viennent majoritairement d’établissements de placement relevant de la protection de l’enfance : MECS, familles d’accueil, foyers PJJ ont orienté 41 jeunes sur 69 suivis en 2016. Viennent ensuite les services en milieu ouvert, le secteur sanitaire, notamment le service adulte de l’hôpital Montperrin, qui accueille aussi des mineurs en urgence, ou des établissements médico-sociaux. Les trois quarts des jeunes sont âgés de plus de 16 ans. Et 48 des adolescents avaient déjà vécu des ruptures de prises en charge par le passé lorsqu’ils sont arrivés au Relais Resados. « Ce qui prouve que nous sommes sur un public déjà repéré depuis plusieurs années mais dont les besoins sont encore existants, voire amplifiés avec l’avancée en âge et l’entrée dans cette période spécifique qu’est l’adolescence », note Caroline Saiz.

« L’orientation peut fonctionner dans les deux sens », résume Isabelle Mauclaire, professeur technique d’espaces verts au Relais du Soleil. Ce centre d’action éducative de la région accueille en effet certains jeunes suivis par Resados pour les initier à une activité professionnelle (jardinage ou restauration). Mais il est également arrivé qu’il fasse connaître la structure à ses jeunes travailleurs. « Comme nous nous occupons du jardin de Resados, je suis déjà venue travailler avec des jeunes dont je savais qu’ils avaient une obligation de soins et qu’ils pourraient en bénéficier ici, explique l’enseignante. On commence par bosser et puis, éventuellement, ils vont poser des questions sur la structure et accrocher ou non. Cela peut prendre des semaines mais parfois, ça marche… »

Cet après-midi-là, ce sont deux éducatrices (dont une stagiaire) du service de prévention spécialisée de l’ADAP13 qui ont fait le déplacement jusqu’à Resados. Elles viennent présenter le dossier d’une jeune fille qu’elles aimeraient confier au relais. « Je pense qu’elle est profondément déprimée, suggère Laurence Cormont. Elle a été déscolarisée depuis sa seconde, elle a vécu dans un foyer très violent, elle ne sourit pas, n’a rien envie de faire, ses yeux sont tristes… » Élodie Llabres, éducatrice à Resados, commence à remplir une fiche d’information mais Laurence Cormont hésite à donner l’identité de l’adolescente de 17 ans. « La relation a été difficile à nouer, résume-t-elle. Je lâche ici des choses qui ne m’appartiennent pas. J’ai échangé avec beaucoup de professionnels, si je donnais son nom à chaque fois, elle serait connue partout, vous comprenez ? » L’éducatrice connaît pourtant bien l’équipe et son engagement à l’égard de la confidentialité.

Après cette réunion, la situation sera examinée en équipe et une décision de prise en charge – ou non – sera prise collégialement. Les refus de prise en charge concernent généralement des jeunes pour lesquels un projet de soin semble possible dans les dispositifs et services existants et ceux qui ne relèvent pas ou plus d’une mesure de placement ou d’une mesure éducative en milieu ouvert dans le cadre de la protection de l’enfance.

Tous les jeunes accueillis doivent rencontrer le pédopsychiatre en consultation pour une évaluation. Mais il est rare que celui-ci intervienne à l’ouverture de la prise en charge. « Les jeunes sont souvent très réticents à l’égard de la psychiatrie. Alors nous leur laissons le temps de connaître la structure, de m’y croiser à différents moments, qu’il s’agisse du déjeuner, d’une pause-café, d’un temps informel », explique Julien Guidi, le pédopsychiatre. Au départ, c’est donc le soignant ou l’éducateur référent qui est en première ligne. Chacun a huit jeunes en référence avec lesquels il doit construire une relation de confiance. Ce qui nécessite une grande patience, une extrême disponibilité et un sens aigu de l’observation et de l’écoute. « Notre spécificité, c’est d’aller vers le jeune, résume Jocelyn, infirmier en santé mentale. Nous sommes mobiles, nous allons le rencontrer là où il est disposé à nous rencontrer. Bien sûr, on n’insiste pas non plus s’il ne veut pas. » A son domicile, dans un lieu public, auprès de son référent éducatif habituel, l’équipe peut se déplacer partout et à toute heure. « Il y a des jeunes que nous mettons des mois à approcher, résume Caroline Saiz. Parce qu’ils n’ont pas l’habitude qu’on s’intéresse à eux et qu’ils ne veulent pas prendre soin d’eux. » Mais la permanence, le fait de rappeler, de prendre des nouvelles, de suivre de loin peut faire effet. « J’avais un adolescent qui ne voulait pas venir, il disait qu’on ne lui servait à rien, que Resados c’était nul, se souvient par exemple Jocelyn. Un jour, il s’est retrouvé hospitalisé en urgence en psychiatrie. Je ne sais pas ce que cela a déclenché mais, depuis, il m’appelle régulièrement, il parle davantage de ses difficultés familiales, quand on doit se voir, il me reproche d’arriver en retard… Bref, il m’a reconnu comme pouvant l’accompagner dans sa recherche d’aide. »

Outre l’accompagnement individuel, les professionnels mettent en place différents ateliers thérapeutiques, en fonction des besoins et des goûts des jeunes suivis. Cuisine, couture, sport, bricolage, théâtre, ciné-débat, etc. Des mini-séjours sont également organisés, ainsi que l’accompagnement de sorties plus ou moins à la carte : assister à un match de foot, visiter une ferme, se balader en forêt. Les possibilités sont très ouvertes.

Pour offrir une telle souplesse, les membres de l’équipe mobile jouissent d’une très grande liberté d’organisation. Ainsi, chacun élabore son planning en fonction des besoins des jeunes. Stéphanie, éducatrice spécialisée, va parfois prendre le petit-déjeuner avec l’un des usagers qui est en emploi, il lui arrive donc de le retrouver à 7 heures du matin. Jocelyn emmène certains jeunes au restaurant à l’heure du déjeuner, avec dans l’idée de leur faire découvrir autre chose que du fastfood, évidemment. « Chaque membre de l’équipe est très autonome et c’est moi qui dois parfois les ralentir, leur rappeler d’éteindre leur téléphone le soir ou le week-end quand ils ne travaillent pas, etc. », note Caroline Saiz.

En termes de temps de travail, les professionnels doivent effectuer 70 heures par quinzaine, ce qui leur permet, si une semaine est particulièrement intense, de lever le pied la suivante. « Il y a des moments où il faut être disponible presque à 100 %, confirme Jocelyn. Parce que la relation est en train de prendre ou que le jeune est en situation de crise. »

Sur le plan du soin, le suivi psychiatrique est assuré au sein de la structure. « Pour certains, les consultations médicales vont se résumer à des entretiens trimestriels, d’autres vont s’inscrire dans un investissement plus régulier, jusqu’à pouvoir soutenir et investir un rythme de consultation hebdomadaire », explique Caroline Saiz. Consultations individuelles mais également rendez-vous en commun avec les parents (lorsqu’ils sont impliqués), avec les éducateurs partenaires ou avec l’éducateur référent de Resados sont également organisés. « Là non plus, il n’y a pas de règle, on voit en fonction de ce qui est bénéfique au patient, explique Julien Guidi. Et je développe également un gros travail avec les éducateurs de la structure qui orientent l’adolescent chez nous. » Le pédopsychiatre, qui continue d’effectuer des astreintes et des gardes en milieu hospitalier, en parallèle avec son poste au sein de Resados, fait également le lien avec cette institution. « On me connaît bien aux urgences et dans l’unité de soins pour adolescents, cela facilite l’admission lorsque nécessaire, explique-t-il. Je peux aussi intervenir en psychiatrie adulte où sont hospitalisés les adolescents non consentants. C’est important car là, les équipes ne sont pas formées à la prise en charge des mineurs. »

Car le relais apporte également un soutien direct aux équipes référentes des jeunes qu’il accueille. « Nous avons une réunion de régulation autour de nos situations en commun une fois par mois, explique Anne-Laure Cadorin, éducatrice spécialisée dans une MECS d’Acte 13, et on se parle très souvent, même par téléphone. »

Resados et ses ressources en psychiatrie et psychologie représentent une ressource importante pour les travailleurs sociaux du réseau. « Cela nous permet vraiment d’adapter nos discours et notre façon d’intervenir quand nous ne savons plus comment nous adresser à eux, observe Annie Desmur, également éducatrice chez Acte 13. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé autour d’une ado qui a une pathologie psychique avérée, doublée d’une addiction sexuelle qui la met en danger. Grâce au suivi et aux conseils du Dr Guidi nous avons pu travailler avec elle sur l’acceptation du soin. Ce soutien nous a même permis de mieux échanger avec la famille et de les amener à comprendre qu’elle n’aura sans doute jamais une vie normale. »

En février 2018, l’expérimentation prendra fin. Et la direction de Resados s’active à pérenniser son fonctionnement auprès de ses financeurs. En 2016, la structure avait accueilli 64 adolescents, contre 31 l’année de sa création. Son évaluation demeure délicate compte tenu des situations particulièrement sensibles qui sont prises en charge. « J’ai un sentiment de réussite quand on parvient à construire une relation d’adhésion et de confiance, évoque ainsi Julien Guidi. Certains présentent des carences affectives et des troubles de la relation tellement sévères que parvenir à leur faire accepter l’aide d’adultes est déjà un grand pas. »

La stabilisation dans le parcours socio-médical est également un indicateur qui intéresse l’équipe. « Si, après avoir été déplacé de structures en structures, on parvient à maintenir un jeune au sein d’un même endroit et auprès d’une même équipe, c’est aussi très positif », ajoute le pédopsychiatre. Bien sûr, certains avanceront plus vite que d’autres, trouveront un véritable emploi ou un appartement, s’équilibreront en accédant à un statut de personne handicapée ou un hébergement pérenne dans une structure médico-sociale. « Mais notre impact demeure difficile à évaluer et nécessite une observation à très long terme, conclut Julien Guidi. Même si je suis déjà persuadé que nous détectons et repérons des troubles psychiatriques à un stade très précoce, dont la prise en charge permettra d’éviter bien des errances ultérieurement. »

Notes

* Par souci de confidentialité, le nom a été changé

Reportage

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