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La guerre est déclarée

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Le nombre et la nature des crises – sanitaires, systémiques, épidémiologiques, climatiques et violentes – que les établissements sont appelés à affronter vont augmenter sous le double effet de l’aggravation de l’état physique et psychique des personnes qu’ils accueillent et de la baisse de l’acceptabilité des risques dans une société en quête de sécurité totale. La préparation à la gestion de crise doit devenir la priorité n° 1 des établissements. Explications.

Dans la nuit du 2 au 3 janvier dernier, une résidente de l’Ehpad public des Chanterelles à La Celle-sur-Belle, dans les Deux-Sèvres, a été tuée. Âgée de 85 ans, elle aurait succombé aux coups de canne infligés par son voisin de chambre, âgé lui-même de 91 ans.

Une crise comme les établissements sociaux en vivent régulièrement – et en vivront de plus en plus souvent – si on en croit les experts.

Aussitôt les faits connus, un plan de gestion de crise s’est mis en place. Le médecin coordonnateur a informé l’agence régionale de santé (ARS), une demande de mise en place d’une cellule médico-psychologique a été transmise à l’hôpital de Niort par l’établissement et les médias ont été informés par différents moyens, notamment Tweeter et une conférence de presse. Le tout piloté par une cellule de crise dont la composition et le rôle avaient été déterminés antérieurement.

Manifestement, l’établissement s’était préparé et avait anticipé cette crise. Le plan de gestion de crise et de communication a été activé et s’est déroulé comme à la parade, si on peut dire. Un bon point pour cet Ehpad.

Son directeur, Jean-Luc Barbé exhorte d’ailleurs ses confrères : « Formez-vous à la gestion de crise et surtout à la communication de crise. C’est indispensable parce qu’on a de plus en plus de risques et parce qu’il nous faut affronter les médias et surtout les réseaux sociaux. C’est le cœur du sujet car le reste (accompagnement des familles et appel à des soutiens psychologiques), on sait faire, c’est notre métier. »

La question qui se pose est de savoir si tous les établissements sociaux sont prêts à affronter ce genre de situation. « Oui, répond sans ambiguïté Florence Airnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées. Beaucoup de nos adhérents ont mis en place des procédures de gestion de crise. »

Les EHPAD, des zones de non droit ?

Une nécessité d’autant plus impérieuse que le risque augmente et le nombre de crises aussi. Les acteurs de terrain comme les responsables nationaux, de syndicats ou de fédérations privées et publiques se rejoignent pour dresser ce constat que « les incidents » se multiplient dans les établissements. Sans atteindre – et heureusement – le niveau de gravité de celui de l’Ehpad des Chanterelles, « les atteintes à la personne progressent » dans les établissements pour personnes âgées, selon le dernier rapport de l’Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS). Sur cent faits de violence dans tous les établissements sanitaires et sociaux, six sont constatés dans les Ehpad(1).

« Le social est une activité à risque, selon la déléguée nationale du Synerpa. Un certain nombre d’actes, notamment de maltraitances, augmentent alors qu’ils n’existaient pas il y a 10 ans. »

Les Ehpad sont-ils devenus des zones de non droit comme certaines cités de banlieues ? évidemment non. Les spécialistes expliquent cette évolution par le niveau de gravité des pathologies dont sont atteints les résidents : Alzheimer à un stade avancé, maladies géronto-psychiatriques lourdes, etc. C’est la conséquence paradoxale de l’allongement de la vie et de l’efficacité des traitements. Les patients entrent de plus en plus tard en établissement avec des pathologies ayant atteint un niveau qui, autrefois, les aurait condamnés. Et la violence physique n’est pas la seule cause de crises : épidémies, canicules, infection, incendies, etc. On pourrait dresser un inventaire à la Prévert de tout ce qui peut se passer dans un établissement social et médico-social.

Le tournant de la canicule de 2003

À tous ces éléments, s’ajoutent plusieurs facteurs :

• Le fonctionnement en flux tendus des établissements en raison de l’insuffisance de personnels, comme dans cet établissement qui, pendant plusieurs heures s’est retrouvé sans agent, en raison d’une mauvaise coordination entre l’équipe de jour et l’équipe de nuit.

• Les crises prennent parfois des formes originales, comme en 2016 dans un Ehpad de Seine-et-Marne où trois lycéennes en stage professionnel n’ont rien trouvé de mieux que d’humilier des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et surtout de filmer leurs agissements et de publier, sur les réseaux sociaux, les vidéos de ces scènes d’humiliation.

• La sensibilité de l’opinion et des médias à ce qui se passe à l’intérieur des établissements accueillant par nature des personnes fragiles (âgées, handicapées, etc.).

Les professionnels s’accordent à considérer que la canicule de 2003 a été un tournant. Cet épisode dramatique a traumatisé tout le monde – acteurs sociaux, politiques, opinion publique – et a servi de catalyseur à une prise de conscience mais aussi à une forme d’exacerbation.

Comme nous le confiait Pascal Champvert (ASH n° 3038), le président de l’AD-PA, « il y a eu un avant et un après canicule », non seulement dans le regard porté sur le 3e âge mais aussi sur l’organisation et la prévention. C’est à partir de là que les ESMS ont été en lien avec les ARS et les conseils départementaux, que les obligations de signalement et de remontée d’informations ont été renforcées. C’est à partir de là aussi que les établissements ont été dans l’obligation de bâtir des plans de gestion et, en amont, de prévention des crises, l’objectif étant évidemment de réduire les risques et d’éviter les crises.

Le résultat de cette cristallisation est que, du haut en bas de l’échelle, la sensibilité à la question des risques et à la gestion des crises atteint un niveau inégalé : circulaires ministérielles, arrêtés, plan blanc, plan bleu, directives, etc.

La quête du risque zéro

À l’instar d’autres organisations professionnelles, le Synerpa a mis en place une structure dédiée à la formation et spécialisée sur ces questions, créé un numéro d’urgence disponible pour ses adhérents lorsqu’ils sont confrontés à une crise et même deux heures de conseils gratuits pour leur communication de crise, assurés par des communicants.

À ce point, on peut se poser la question de savoir s’il n’y a pas un excès dans cette recherche de prévention. Cette quête de sécurité et de prévention absolue renvoie à une évolution de la société qui recherche le monde parfait et le risque zéro. Ensuite, tout incident, tout accident a forcément un responsable et un coupable. La fatalité n’existe plus. De cette approche sociétale découle une construction juridique qui vise à protéger tous les acteurs et à chercher une sécurité parfaite, une quête jamais assouvie.

Christelle Gay, qui a réalisé un mémoire pour l’École des Hautes études en santé publique sur « la gestion des risques en Ehpad » écrit que « la responsabilité du directeur d’établissement sanitaire, social, médico-social est susceptible d’être engagée dans de nombreuses situations liées au fonctionnement de la structure et à l’organisation des activités mises en place pour les usagers. Lors de chaque décision, le directeur d’Ehpad doit se poser la question suivante : “qu’est-ce que le juge pourrait me reprocher, comment pourrais-je justifier les décisions prises et les conséquences qui en découlent ?” Il s’agit de prendre une décision en adéquation avec l’obligation de sécurité du résident, le respect des droits des usagers et la responsabilité engagée du directeur »(2). L’enjeu est de trouver un équilibre entre les exigences de sécurité et de protection des personnes, y compris contre elles-mêmes et l’obligation morale et éthique de préserver la dignité et la liberté des personnes.

Jean-Christophe Weber, dans évolution de la relation médecin-malade(3), écrit : « Les deux principes de bienfaisance et de respect de l’autonomie doivent être mis en jeu dialectiquement dans chaque situation clinique. Ni la décision médicale autoritaire ni la relation purement contractuelle entre professionnel de santé et consommateur avisé n’apparaissent satisfaisantes pour l’éthique. »

Pour Christelle Gay, « les pratiques de réduction des risques peuvent conduire à déplacer le risque et parfois à l’accroître en transformant sa nature – enfermement pour éviter les fugues, désorientation puis défénestration – mais également à le surévaluer par rapport à la perte d’intégrité sociale et psychique (fugues, chutes, etc.) ».

En d’autres termes, faut-il accepter une part de risque et jusqu’à quel niveau ? Faut-il accepter qu’un malade d’Alzheimer disparaisse dans la nature ou faut-il le confiner dans sa chambre, voire plus ? L’ironie de l’histoire est que les deux situations présentent des risques, juridiques et médiatiques. Dans le premier cas, l’établissement sera mis en cause pour l’insuffisance de son dispositif de sécurité. Dans le second, pour atteinte à la dignité des personnes.

Concilier l’inconciliable

Lequel de ces deux risques est-il le plus acceptable sur le plan organisationnel, pratique et éthique ? La question est posée mais la réponse est impossible. Quel politique, quel dirigeant d’ARS ou d’établissement assumera qu’il est admissible qu’un certain pourcentage de résidents disparaissent dans la nature ou soient l’objet de violences ou, à l’inverse, qu’il faille les attacher parfois pour éviter la fuite ou la violence ? Imagine-t-on un directeur affirmer, devant micro et caméra, que deux patients perdus, c’est un taux normal, qu’une maltraitance constatée tous les trois mois est dans la norme ? Évidemment aucun parce que le degré d’acceptabilité des dysfonctionnements a considérablement diminué. Des faits qui, autrefois, étaient acceptables dans une certaine proportion sont devenus indésirables. Ce qui pouvait être considéré comme incident mineur est désormais une crise, notamment parce qu’un dérapage n’a pas d’intérêt médiatique alors qu’une crise a un caractère porteur.

Y a-t-il vraiment plus d’incidents, de dérapages, de drames – proportionnellement au nombre de personnes accueillies dans les établissements – qu’autrefois ? Dans le fond, on ne le sait pas, pour la simple raison qu’ils n’étaient pas enregistrés. Les numéros verts, bleus, rouges et les sites permettant toutes sortes de remontées n’existaient pas. L’ONVS lui-même n’a été créé qu’en 2005. C’est comme la pollution de l’air. Est-elle vraiment plus forte aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans ? On ne le sait pas parce qu’autrefois, on ne la mesurait pas.

À cela s’ajoute la judiciarisation. Ce qui autrefois pouvait être réglé à l’amiable fait désormais l’objet d’une procédure. Le sujet n’est pas de déplorer cette évolution mais de la prendre en compte. Dans ce contexte, sur le terrain, les établissements sont contraints de concilier l’inconciliable : la sécurité totale et la gestion bienveillante et éthique. Ils ont en permanence, telle une épée de Damoclès, le risque d’une crise au-dessus de leur tête. Lorsqu’elle éclate, il leur faut être à la manœuvre en respectant une démarche qui passe par cinq étapes :

• Analyser son impact et éviter l’improvisation,

• Recueillir toutes les informations les plus objectives possibles sur la situation pour préparer le plan de communication,

• Communiquer avec les autorités,

• Communiquer avec les personnels et les résidents pour les rassurer et les informer des actions prévues,

• Communiquer avec les médias,

Un schéma universel mais qui ne s’improvise pas. Le plan doit être opérationnel, les équipes formées à sa mise en œuvre, le commandement ferme et la discipline de fer.

Au fond, la gestion de crise, c’est la guerre.

Notes

(1) solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_onvs_2017_-_donnees_2015-2016_2017-09-18_.pdf

(2) documentation.ehesp.fr/memoires/2010/dessms/gay.pdf

(3) Jean-Christophe Weber, évolution de la relation médecin-malade, PUF

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