« Mes meilleures improvisations sont celles que je prépare à l’avance. » On doit cet aphorisme à Léon Zitrone, le journaliste de télévision, vedette des années 1960-1970, l’homme à tout faire de l’ORTF, capable de commenter le tiercé, présenter le JT de 20 heures, animer Intervilles et surtout – sa grande spécialité – assurer le reportage et le commentaire des grands événements internationaux retransmis en Eurovision, voire en Mondiovision comme le couronnement de la Reine d’Angleterre, les obsèques de Churchill, de Staline, du Général de Gaulle, etc. Aujourd’hui banales, les retransmissions planétaires étaient, à l’époque, périlleuses, en raison d’une technique encore incertaine. Régulièrement, des ruptures de faisceaux provoquaient « des écrans noirs ». Le malheureux commentateur devait alors « meubler », comme on dit dans le jargon des journalistes, l’antenne en attendant le retour de l’image et cela pouvait durer un certain temps.
Léon Zitrone ne se démontait pas dans ce cas-là. « Il profitait », selon son expression, de cette rupture pour contextualiser l’événement à coups d’anecdotes, de récits, de citations etc. et cela pouvait durer de longues minutes.
Interrogé sur cette étonnante capacité d’improvisation, il a donc eu cette réponse baroque. En réalité, il n’improvisait pas. Il préparait des fiches car il savait à l’avance que des ruptures de transmission pouvaient se produire et qu’il lui faudrait occuper l’antenne pendant une durée indéterminée.
Au fond, tout est dit dans cet aphorisme. Les crises sont prévisibles et il faut s’y préparer. Les Établissements sociaux et médico-sociaux sont exposés à des crises et doivent se préparer à les affronter et à y répondre.
La première étape consiste à dresser la liste des crises qui est longue comme un jour sans pain. Elles peuvent être classées en grandes catégories :
• Crises sanitaires (grippe, épidémie, infection, canicule, etc.),
• Crises de ressources humaines (grève du personnel, vacance de postes-clés, etc.),
• Crises matérielles (incendie, dégât des eaux, explosion, etc.),
• Crises systémiques (canicule, froid polaire, intoxication alimentaire),
• Crises résidentielles (maltraitance, harcèlement, homicide, etc.).
La deuxième étape consiste à graduer la crise en fonction de son intensité, selon une échelle qui va de « mineure » à « très grave » en passant par « moyenne » et « importante ».
La construction de cette échelle est essentielle car elle permet de préparer une réponse adaptée, de ne pas sous-estimer un incident mais de ne pas non plus surjouer la crise.
Dans ce domaine, les établissements sociaux et médico-sociaux sont dans l’obligation d’élaborer un plan bleu qui, dans un cadre légal, fixe les obligations et la conduite à tenir en cas de crise. L’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur a élaboré un guide d’élaboration de ce plan bleu(1). Mais encore faut-il que ce plan soit opérationnel et cela passe des actions de sensibilisation, de formation et des exercices de simulation (voir témoignage page suivante).
Le point de départ de toute gestion de crise est l’activation d’une cellule de crise, préalablement constituée.
Comme il est indiqué dans les Annales de la gérontologie, « la cellule de crise est le nœud du dispositif. Elle doit être constituée préalablement à toute crise. Elle est composée de membres compétents et de suppléants en cas d’absence des membres, sans affinités particulières et restreintes en nombre. Les membres doivent pouvoir être contactés à tout moment (téléphone, mail). La cellule doit être souple et légère et doit avoir lieu dans des locaux identifiés et équipés en moyen de communication adéquats (téléphone/fax, matériel informatique avec connexion Internet ».
C’est à cette cellule qu’il appartient de piloter la gestion de la crise, d’en évaluer l’importance, de prendre les dispositions légales et d’organiser la communication car une mauvaise communication de crise peut provoquer une crise dans la crise. Les médias – surtout à l’heure des réseaux sociaux – peuvent provoquer des ravages. Il faut aller au-devant des médias, organiser une veille médiatique, préparer des réponses et des éléments de langage sans trahir la vérité, être aussi transparent que possible.
Il faut aussi, lorsque la crise est terminée – et il appartient aussi à la cellule d’évaluer à quel moment « l’incident » est clos – tirer les leçons de l’événement, organiser un débriefing pour déterminer ce qui a bien fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné afin d’être mieux préparé à affronter la prochaine crise qui, inéluctablement, se produira.
Avec ce « guideline », les établissements ont les moyens d’affronter toutes les ruptures qui peuvent se produire…Ainsi, comme disait Léon Zitrone après avoir épuisé toutes ses fiches, on peut lancer : « A vous Cognacq-Jay ! »…
Le plan bleu doit être activé en cas de crises techniques, sanitaires ou systémiques mais aussi en cas de défaillance énergétique. Et, dans ce cas, l’établissement a intérêt à avoir un réseau de secours propre, type groupe électrogène car, comme le rappelle l’assureur Sham, « l’article R.313-31 CASF précise les obligations des gestionnaires des établissements médico-sociaux en matière de sécurité en cas de défaillance en énergie. Une circulaire de la DGAS N° 170 du 18 juin 2009 est venue préciser les obligations réglementaires dans ce domaine. Les établissements médico-sociaux ne sont pas considérés comme prioritaires au sens des dispositions contenues dans la circulaire du 18 juin 2009. En cas de délestage sur les réseaux électriques, prévu par l’arrêté du 5 juillet 1990, les établissements médico-sociaux, sauf exception, ne bénéficient pas du service prioritaire du fournisseur EDF ». Coupez !
(1)