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Assistant au parcours de vie

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Depuis un an, la fédération d’employeurs Nexem pilote l’expérimentation d’une nouvelle fonction : l’assistant au projet de vie (APV)(1). Parmi les associations participantes, Trisomie 21 Aquitaine en compte cinq, dont deux à Pau.

Les palmiers de la promenade du Pradeau font grise mine sous la pluie battante, leurs longues feuilles malmenées par le vent, lorsque Laurence Berek se gare devant l’IME (institut médico-éducatif) Joseph-Forgues, à Tarbes. C’est la première fois qu’elle se rend dans l’établissement. Educatrice spécialisée de formation, Laurence Berek ne travaille pas pour l’association gestionnaire de l’IME. Elle est assistante au projet de vie (APV) et salariée de Trisomie 21 Aquitaine(2), à Pau. Ce matin pluvieux d’octobre, elle est venue participer à une réunion de coordination autour du projet de Mélina, une jeune fille de 20 ans. Quelques jours plus tôt, les deux femmes ont pris le temps de préparer ensemble cette rencontre. Mélina a des choses à dire et souhaite qu’elles soient entendues.

Aider la personne à faire entendre sa voix

C’est précisément la mission centrale de l’APV : permettre à la jeune femme de faire entendre sa voix et soutenir la famille dans ses choix. En pleine construction, la fonction fait l’objet d’une expérimentation sur trois ans, en cours dans cinq associations pilotes(3). Initialement conçue comme un appui à la rédaction du projet de vie exigé par les MDPH (maisons départementales des personnes handicapées), la mission des APV s’est élargie à l’usage, pour incarner une véritable « maîtrise d’ouvrage » au service des personnes en situation de handicap et de leurs familles. « La réflexion remonte aux travaux de la Fegapei [devenue Nexem depuis sa fusion avec le Syneas] sur les priorités de santé, retrace Jacques Daniel, administrateur de la fédération et référent du projet. Nous avions identifié la nécessité de renforcer la capacité de décision des personnes pour leur propre vie, afin de leur permettre d’exercer des choix non conditionnés par l’offre médico-sociale. De plus, beaucoup de familles évoquaient un parcours du combattant, à partir du moment où leur enfant était reconnu en situation de handicap. » En préconisant l’organisation de réponses globales et adaptables, la recherche de « solutions les plus proches possible du droit commun » et le caractère indispensable d’une participation active des intéressés, le rapport « Piveteau » conforte la fédération dans son projet, lancé à la fin 2016 avec le soutien de l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (OCIRP) et des institutions de retraite du groupe Klesia.

Des pôles d’expertise activés par l’usager

Pour Trisomie 21 Aquitaine, il est impossible de passer à côté de cette expérimentation, tant elle se rapproche de « l’ADN de l’association », estime Pierre Haristouy, codirecteur de la plateforme de ressources régionale. Historiquement « tournée vers la société civile et l’inclusion », l’association ne gère que des services, et aucun établissement d’hébergement. Depuis un an, elle s’est réorganisée en centre ressources, divisé en pôles d’expertise que chaque usager peut activer en fonction de ses besoins. « Il s’agit vraiment de s’affranchir des agréments, en accord avec nos financeurs, pour recomposer un cadre modulable qui donne la priorité aux choix de vie des personnes, dans une logique d’empowerment et d’accès aux droits », soutient Pierre Haristouy. Pour entrer dans le dispositif, Trisomie 21 Aquitaine a répondu à un appel à candidatures de l’ARS (agence régionale de santé). Après avoir d’abord fonctionné avec un seul mi-temps, la réorganisation engagée dans le cadre de son contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens a permis à l’association de financer cinq postes à temps plein à Agen, à Bordeaux et à Pau.

Ce matin-là, à Tarbes, l’équipe de l’IME – l’éducatrice référente, la directrice, le chef de service éducatif, l’assistante de service social – a déjà pris place dans la salle de réunion. Face à elle, Mélina, sa mère, son beau-père et l’APV, qui s’assied aux côtés de la famille. Depuis un an, la jeune femme regagne chaque mardi soir le domicile familial à Pau, où elle passe le mercredi en compagnie d’autres jeunes accueillis dans une permanence ouverte de Trisomie 21, pour assurer doucement la transition vers la sortie de l’IME. ­Stéphania Le Guyader, la directrice, attend beaucoup de la réunion. « Mélina a parfois besoin d’un peu d’aide pour passer certains caps et, dans la perspective de son départ de l’établissement, ce serait intéressant de vous passer progressivement le rôle de référente », annonce-t-elle d’emblée à Laurence Berek. L’APV se râcle la gorge. « Comme la fonction d’assistant au projet de vie est nouvelle, peut-être serait-il utile que je commence par vous repréciser mon cadre d’intervention. La place de l’APV est aux côtés de la personne et de la famille, en offrant à la fois un espace de réflexion et un soutien à leurs démarches, mais pas dans un rôle de coordination. Nous pouvons réfléchir tous ensemble au projet de Mélina et aux actions à mettre en place, je peux épauler la famille dans ses démarches à Pau, mais l’accompagnement éducatif à proprement parler reste à Forgues. »

Un dispositif qui « bouscule les repères »

Ce préalable posé, la discussion se poursuit pendant une heure et demie. La jeune femme a effectué des stages en ESAT (établissement et service d’aide par le travail) et ne souhaite pas y retourner, répétant sa préférence pour le milieu ordinaire. Prudente, l’équipe évoque sa fatigabilité. Mélina se tourne vers Laurence Berek, qui déplie sur la table un porte-vues dont elle tourne les pages couvertes d’images et de pictogrammes, préparés en amont de la réunion lors de leur entretien en tête-à-tête. « Je veux faire des stages à Pau », affirme la jeune femme, ses doigts tortillant nerveusement le bout de sa tresse blonde. « Et où ? », l’interroge doucement l’APV en désignant une image après l’autre. « Dans une cantine, dans une école de petits. Aider à table, faire la plonge. Et aussi au San Marco, le restaurant qui fait des pizzas à côté de la boutique de maman. » Peu à peu, se dessine une organisation à cheval sur les deux villes, l’IME organisant les stages à Tarbes et l’APV accompagnant les démarches à Pau. « J’y suis très favorable, approuve ­Stéphania Le Guyader. Cela permettra à Mélina de commencer à se détacher de l’IME, pour travailler la suite de son parcours. »

Pas toujours facile pour les APV de faire comprendre aux autres travailleurs sociaux leur souplesse d’intervention. « Les APV font partie d’un dispositif placé à côté des services. Cela bouscule forcément les repères », remarque Laurence Berek. Sa hantise : que les autres professionnels la voient comme « une donneuse d’ordres qui leur dit comment travailler ». Avant de se porter volontaire pour devenir APV, en janvier dernier, Laurence Berek était éducatrice spécialisée au sein du Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) de Trisomie 21 Aquitaine. A force de devoir expliquer sa nouvelle fonction, elle a fini par emprunter une expression à l’un des formateurs chargés de l’analyse des pratiques des APV : « Nous sommes la burette d’huile dans les interstices. »

Exemple flagrant, dès son retour à Pau : faute de bureau, l’APV s’installe dans celui de l’orthophoniste, entre les livres de grammaire, les disques d’Anne Sylvestre et les jeux de société. Après avoir consigné quelques notes dans le dossier de Mélina et renseigné l’outil de reporting de l’expérimentation, elle décroche son téléphone pour joindre un éducateur sportif au sujet d’un jeune homme, orienté par la MDPH. Agé de 18 ans, depuis un départ conflictuel de son IME quatre ans auparavant, il vit avec ses parents dans une situation de « grand vide ». Les démarches entreprises l’année précédente ont toutes échoué. « Il avait plein de demandes de formation, de travail, et toutes étaient très cohérentes, raconte Laurence Berek. Mais c’était trop rapide, après quatre ans sans rien. » L’objectif du jour est plus modeste : s’inscrire à des cours de judo et d’escrime – sports qu’il affectionne – pour lui permettre de reprendre confiance en lui et en les autres. A charge pour l’APV, en parallèle, de défendre le projet du jeune homme et de convaincre la MDPH d’attribuer les moyens nécessaires pour un étayage sur les plans éducatif, médical et psychologique.

Un recours aux APV différent selon les sites

D’un site pilote à l’autre, en fonction du public habituel des associations, les modalités de recours à l’APV ne sont pas tout à fait identiques. A Pau, l’accompagnement est proposé à toutes les personnes inscrites sur liste d’attente, les professionnels des pôles d’expertise pouvant intervenir ponctuellement. « Cela permet de sortir d’une logique du tout ou rien, dans laquelle soit vous obtenez une place dans un service qui sort l’artillerie lourde, soit vous êtes livré à vous-même », estime Stève Grimault, le coordinateur régional de l’expérimentation. L’association se montre très vigilante à ne pas limiter le dispositif aux seules situations critiques. « Le risque existe que les partenaires ne mobilisent l’APV que pour accompagner des personnes en rupture de parcours, ce qui reviendrait à ne bouger qu’à la marge », reconnaît Jacques Daniel. L’ambition est bien plus vaste et vise potentiellement toutes les familles concernées par le handicap. Le pas de côté peut être déroutant, observe Pierre Haristouy : « Pour les professionnels, quitter l’expertise de l’évaluation des besoins pour agir sur l’environnement et non sur la personne elle-même, c’est un vrai renversement. » Cette nouvelle posture permettrait pourtant de ne pas passer à côté de l’essentiel. « Les familles ont tendance à structurer leurs besoins en fonction de ce qu’elles pensent pouvoir attendre de nous : des heures d’orthophonie, l’intervention d’un psychomotricien… Ce faisant, elles oublient complètement de nous parler de leurs problèmes de garde le mercredi, de leur désir de reprendre une activité professionnelle à temps plein ou de l’envie de leur enfant de faire du poney. D’où l’intérêt de sortir les APV des services institutionnels. »

Mère de trois enfants, dont une adolescente atteinte de trisomie 22, Françoise Bonnet a bénéficié de l’accompagnement bienveillant de Gilles Ducousso, le premier APV de l’association paloise. Apprenant que des journalistes s’intéressent à l’expérimentation, elle a tenu à venir apporter son témoignage. « Je n’ai pas beaucoup de temps, s’excuse-t-elle en tirant une chaise dans la salle de réunion, je dois aller chercher Aziliz au collège. » Le collège ? Un grand sourire se dessine sur son visage. « Oui, depuis cette année, elle y va trois journées complètes par semaine, dans une unité d’enseignement. Elle mange à la cantine, s’amuse dans la cour avec ses amis, et se sent enfin une adolescente comme les autres. Elle a beaucoup mûri. » En fin de primaire, l’Education nationale avait pourtant envoyée la fillette vers le milieu spécialisé, préconisant avec pudeur « une prise en charge globale ». Une expérience peu concluante, d’après la mère de famille, la conduisant à prendre une décision radicale : arrêter de travailler pour retirer sa fille de l’IME et s’en occuper. « Je n’avais aucun doute sur mon choix, se souvient Françoise Bonnet. Mais ça a été très dur. On m’a avertie que j’allais le regretter. » Par chance, elle est soutenue par une psychologue et une orthophoniste qui croient en son projet et l’aident à coordonner l’intervention des professionnels libéraux. Puis, au bout de deux ans, alors que sa fille supporte de moins en moins l’isolement du domicile, elle rencontre Gilles Ducousso. Par petites touches, l’APV lui « ouvre le champ des possibles » : sport adapté, médecins handi-accueillants, soutien scolaire en petit groupe… Autant de petites actions qui, consolidées par le regard détaché d’un professionnel, ont permis à Aziliz de reprendre le chemin du collège. « Ce que j’ai surtout perçu comme demande chez Monsieur et Madame Bonnet, c’était qu’on les aide à légitimer leur projet, résume Gilles Ducousso. Je les ai orientés vers le pédiatre du Sessad, et son appréciation a été sans ambiguïté : les accompagnements mis en place tiennent parfaitement la route. »

Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’insistance sur le caractère inclusif de la démarche, il ne s’agit aucunement d’opposer milieu ordinaire et secteur spécialisé, mais d’articuler et de moduler les deux. Trajectoire classique en établissements, aide et appui aux interlocuteurs du milieu ordinaire pour faciliter un parcours dans le droit commun, patchwork de solutions piochées dans les différentes propositions… « Toutes les combinaisons sont envisageables à partir du moment où elles ressortent de la demande des personnes », martèle Jacques Daniel.

Non pas un, mais des projets de vie

En fin de journée, Laurence Berek a rendez-vous avec l’un des bénéficiaires de la prestation d’APV à son domicile. Agé de 53 ans, F. vit au quatrième étage d’une petite résidence du quartier de l’Université. Après le décès de sa mère, et en dépit de son handicap, il a pu conserver l’appartement dans lequel il a grandi, avec ses meubles en bois foncé, son lustre en cristal et ses bibelots rangés dans une vitrine. C’est sa tutrice qui a sollicité l’APV, en attendant l’intégration au sein du SAVS (service d’accompagnement à la vie sociale) de Trisomie 21. L’homme perçoit l’AAH (allocation aux adultes handicapés) et la PCH (prestation de compensation du handicap), qui lui permettent de bénéficier du passage régulier d’une auxiliaire de vie. Au mur du salon, un tableau composé de pictogrammes dresse la liste des personnes ressources et de leurs numéros de téléphone : service d’aide à domicile, médecin traitant, coiffeur… Avec l’APV, F. a dressé la liste de ses envies : manger au Buffalo Grill et voir des matchs de foot, acheter une tablette tactile, faire du sport, avoir un chien… Une étape après l’autre, chaque projet avance. La tutrice ayant débloqué les fonds pour l’achat de la tablette, F. pourra se rendre au magasin avec son auxiliaire de vie. Dans quelques jours, l’APV l’accompagnera dans un refuge pour adopter Stick, un labrador abricot âgé de 7 ans et déjà éduqué. Ce soir, elle le conduit pour un essai au tennis-club de Lons, à cinq kilomètres. La section « sport adapté », qui compte plusieurs médaillés, propose quatre séances par semaine. Le club organise des animations tous publics confondus et envisage d’intégrer un licencié handicapé dans son comité de direction. Pour chaque projet, l’APV demande à F. comment il compte s’y prendre, à qui il doit s’adresser, à quel moment intégrer les différentes étapes dans sa routine, sans jamais se montrer dirigiste. « Cela peut paraître dérisoire, mais c’est cela, la vraie vie, une multitude de petites choses, commente Laurence Berek. C’est pourquoi nous avons abandonné la notion de “projet de vie” au singulier ; nous l’employons plutôt au pluriel. »

Après un an d’expérimentation, les premiers éléments de bilan et d’évaluation sont positifs et laissent entrevoir l’émergence d’un métier novateur. Au fil des séances d’analyse des pratiques et des rendez-vous avec les chercheurs de l’université de Clermont-Ferrand, les APV se découvrent des points de convergence, malgré la diversité de leurs formations, expériences et parcours professionnels. Un référentiel est en cours de rédaction. L’année qui vient, avec le lancement éventuel d’une deuxième vague d’expérimentation, devrait permettre d’avancer sur la modélisation fonctionnelle, juridique et économique du métier d’APV, avant un déploiement que Nexem espère national et avalisé par les pouvoirs publics. « De toute manière, conclut Jacques Daniel, le secteur va être obligé de se repositionner. Finie, l’expertise sur les déficiences. Notre rôle, désormais, sera d’apporter à l’environnement les ressources nécessaires pour que le parcours des personnes se déroule dans les meilleures conditions. C’est cela, le pari d’une société inclusive. »

L’APV pour quel public ?

Quel est le profil des familles qui recourent aux services de l’APV ?

Véronique Comes (APV) : Le service est ouvert à tous les acteurs de terrain, ce qui rend les situations très variées. Nous travaillons beaucoup avec les familles dont les enfants sont porteurs de troubles dys et qui connaissent des difficultés dans le milieu scolaire ordinaire. Nous sommes aussi beaucoup sollicités par des familles complètement désemparées face aux démarches, au jargon, à l’empilement des dispositifs. En ce sens, nous faisons presque du coaching : par exemple, pour préparer les familles à intervenir lors d’une réunion de la CDAPH (commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) ou de l’ESS (équipe de suivi de la scolarité), avec des mises en situation, des jeux de rôle. Un des intérêts de la démarche est que, pour l’instant, la fonction d’APV n’est assujettie à aucun cadre réglementaire, ce qui autorise une grande inventivité dans les modalités d’action et d’intervention.

Qu’attendez-vous d’une modélisation de la fonction ?

Anne Drouhin (directrice du pôle enfance de l’Adapei Var-Méditerranée) : On voit bien que la fonction est pertinente et que les APV auraient leur utilité auprès de tous les types de publics (enfants, adultes, handicap, social, sanitaire…). Mais il faut encore définir les niveaux de compétence, les champs d’intervention… Une des difficultés va être de définir les modalités de financement, d’autant qu’il s’agit d’un accompagnement très variable dans le temps. Certaines familles nous sollicitent de façon très intensive, tandis que d’autres sont plus en sommeil du fait de la stabilisation de leur situation. Mais peut-on vraiment définir des critères de sortie du dispositif ? A terme, je vois bien un financement croisé entre ARS, conseils départementaux, caisses d’allocations familiales au titre du soutien à la parentalité, qui viendrait souligner le caractère global de la mission.

Notes

(1) Voir nos « Questions à Jacques Daniel » dans les ASH n° 3019 du 14-07-17, p. 17.

(2) Trisomie 21 Aquitaine : 127 bis, boulevard de la Paix, 64000 Pau – Tél. 05 59 84 47 58 – contact@trisomie21-pa.fr.

(3) Trisomie 21 Alpes-Maritimes, Trisomie 21 Ardennes, Les Papillons blancs de Bergerac, Trisomie 21 Aquitaine (Bordeaux, Agen, Pau) et l’Adapei Var-Méditerranée.

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