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Pour une école vraiment inclusive

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Douze ans après la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le concept de l’éducation inclusive s’est bien implanté en France. Mais sur le terrain, les obstacles et les freins demeurent. Ex-enseignant spécialisé auprès de jeunes sourds, ex-cadre du secteur médico-social, Jean-Yves Le Capitaine fait le point et appelle à abattre le « plafond de verre » qui empêche les élèves en situation de handicap de bénéficier de leurs droits et de vivre pleinement l’école.

« Le diable, dit-on, se niche dans les détails. Aujourd’hui, l’éducation inclusive semble constituer un axe consensuel majeur. Rares sont les acteurs qui s’insurgent contre le principe de l’école inclusive. On rencontre certes, ici ou là, des réserves, sur le rythme auquel s’organise l’inclusion (trop rapidement ou pas assez), sur la perte de certains bienfaits de l’éducation spécialisée ou sur les risques de l’inclusion… Mais rares sont les discours prônant explicitement une éducation séparée et excluante pour les élèves en situation de handicap.

Le 4 décembre, le gouvernement a présenté son nouveau plan pour la scolarisation des élèves handicapés en proposant le développement de quelques mesures déjà éprouvées : augmentation et pérennisation des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap), création de nouvelles ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire) et unités d’enseignement externalisées, formation des enseignants et des personnels… Nul doute que ces nouveaux moyens amélioreront la situation. Mais, sur le terrain concret de l’inclusion à l’école, tout se passe comme si toutes ces mesures se heurtaient à un “plafond de verre” au regard de la qualité d’une véritable inclusion des élèves handicapés dans les établissements scolaires et dans les classes. Car si les discours, les plans, les textes réglementaires prônent et organisent des modalités et des dispositifs favorisant l’inclusion, l’école et le système éducatif sont loin de pouvoir être caractérisés comme inclusifs ; et les élèves handicapés peinent encore à être reconnus comme des élèves, à trouver une place pleine et entière à l’école.

A regarder dans les détails, on s’aperçoit que le principe même de l’éducation inclusive est loin d’être partagé. Aujourd’hui encore, il existe de fortes réticences, voire quelques refus, à l’accueil d’élèves en situation de handicap dans les classes ou les établissements scolaires. Chez les enseignants de l’école ou du collège : “cet élève handicapé n’a rien à faire dans ma classe”, “il y a des établissements spécialisés pour ce genre d’élèves”, “je ne suis pas formé pour leur enseigner”. Mais aussi chez les professionnels spécialisés du secteur médico-social engagés, plus ou moins contraints, dans les processus inclusifs : “cet enfant handicapé va souffrir dans le milieu ordinaire”, “il n’a pas le niveau pour aller dans la classe”, “il lui faut de la pédagogie spécialisée”. Ces propos – ceux cités ici, parmi de nombreux autres, ont été tenus dans une période récente – se font toutefois de plus en plus rares. Il s’agit là de l’expression de “mentalités”, de représentations, dont on sait que les évolutions sont extrêmement lentes. Mais ces évolutions sont déjà en cours, et l’on peut espérer que ce type de propos et de discours ira en s’atténuant avec l’expérience positive de la présence de plus en plus importante des élèves en situation de handicap dans les établissements scolaires et dans les classes.

Réalité discriminatoire

D’autres “détails” sont plus impardonnables, notamment lorsque l’administration scolaire elle-même met des obstacles majeurs à la participation des élèves en situation de handicap à l’école, alors même que ses discours et déclarations font référence de manière massive aux pratiques inclusives, instituant ainsi des situations discriminatoires à leur égard. La question de l’inscription (administrative) de ces élèves dans les établissements scolaires est l’un de ces “détails”, dont le poids en matière de conséquences est le symptôme d’une réalité non inclusive et véritablement discriminatoire.

Les élèves en situation de handicap qui effectuent une scolarisation dans un dispositif collectif au sein d’un établissement scolaire le font soit dans une ULIS, soit dans une unité d’enseignement externalisée d’un établissement médico-social. Mais tout en étant présents dans l’établissement scolaire, ils n’y sont pas véritablement inscrits au même titre que les autres élèves. Soit ils ne sont pas inscrits du tout dans les effectifs de l’établissement (c’est le cas des élèves de nombreuses unités d’enseignement), soit ils bénéficient d’une inscription dite “inactive” (le terme porte bien son nom, c’est aussi la situation d’autres élèves d’unités d’enseignement), soit ils bénéficient d’une inscription spécifique, dans leur dispositif ULIS, comme si ce dispositif était considéré comme une classe à part dans l’établissement. Dans quelques rares situations, des élèves qui sont à (presque) plein temps dans une des classes de l’établissement scolaire sont pris en compte dans les inscriptions et les effectifs de la classe et de l’établissement. Mais les autres ne sont pas inscrits, ils ne comptent pas dans les effectifs. Ils sont là, dans l’établissement scolaire, mais dans une situation administrative d’entre-deux ; ils sont dedans tout en étant dehors ; ils font partie de l’établissement tout en n’en faisant pas partie. Les conséquences discriminatoires en sont importantes et nombreuses.

Bricolage et négociations

Prenons un exemple. Soit un collège de 432 élèves, 108 élèves par niveau, par conséquent 16 classes de 27 élèves. Se trouve également dans ce collège un dispositif d’unité d’enseignement externalisé de 14 élèves (pour la démonstration, j’illustre la situation avec des élèves sourds, secteur d’activité qui m’est familier). Certains sont totalement inclus dans une classe de référence, avec un accompagnement permanent d’accessibilité (enseignants spécialisés, interface ou interprètes en langue des signes française) : 3 élèves en sixième, 2 en cinquième et 2 en troisième ; les autres élèves, en raison de leurs compétences scolaires, sont regroupés dans une classe spécialisée adaptée, sauf pour les cours d’EPS (éducation physique et sportive) et d’arts plastiques, pendant lesquels ils rejoignent la classe de leur niveau du collège : 2 élèves en sixième, 2 en cinquième et 3 en troisième.

Que se produit-il lorsqu’il est impossible de prendre en compte leur inscription dans le collège et de les compter dans les effectifs de classe ? Ils viennent se surajouter aux élèves inscrits, soit, si l’on ne compte que ceux qui y sont pleinement inclus, 30 dans une classe de sixième, 29 dans une classe de cinquième et de troisième. Si l’on y ajoute les 7 autres, cela fait respectivement 32, 31 et 32 (l’opportunité de les mettre dans la même classe que les autres n’est pas qu’une affaire de moyens d’accompagnement, mais aussi d’intérêt social et pédagogique). Heureusement, d’une manière générale, les principaux sont intelligents et “bricolent” une organisation plus favorable, déchargeant une classe pour charger les autres. Mais c’est toujours un bricolage, parfois objet de négociations, pour mettre en place et faire reconnaître une situation non reconnue par l’administration.

Cette situation met les élèves handicapés en position de “surnombre”, de source d’une charge de travail supplémentaire, de catégorie superfétatoire, qui peut même devenir un objet de chantage dès lors qu’il y a pression (augmentation ou diminution du nombre d’élèves, menaces sur les moyens…). Dans ces conditions, on imagine bien que le développement de l’inclusion est difficile, et le refus d’accueillir des élèves en situation de handicap y trouve des arguments de légitimation.

Cet état des choses ne manque pas de créer des situations ubuesques. Que penser de la récurrence de “bugs” concernant l’organisation quotidienne ? Oubli de comptage pour la restauration, oubli de leur prise en compte dans le plan “sécurité incendie”, oublis d’information sur les changements horaires, oublis d’invitation à participer à des activités sociales ou scolaires… Que penser de l’impossibilité, faute d’inscription, pour des jeunes élèves en classe de troisième d’accéder au logiciel d’orientation vers les lycées professionnels pour poursuivre leurs études ? Que penser de la situation de la participation au conseil de classe ? Non inscrits, ils ne peuvent apparaître sur les listes générées pas les logiciels. Une manipulation manuelle, si l’administration le veut bien, permet de surmonter le problème pour les élèves qui sont à temps complet dans la classe. Mais pour les autres, faut-il faire un autre conseil de classe, à part et destiné aux seuls élèves handicapés ? Faut-il même produire un autre bulletin scolaire que celui du collège, celui-ci n’ayant pas de “légitimité” pour des élèves qui ne leur “appartiennent” pas ? Que penser de l’absence totale de droits des parents à être des représentants élus au sein du collège (conseils de classe, conseil d’administration, diverses commissions), puisque leurs enfants ne sont pas pris en compte dans les inscriptions réglementaires ?

Au-delà de ces situations et d’autres, il importe d’identifier les conséquences sur la politique inclusive. Les élèves et les enseignants du collège, au-delà de leurs bons sentiments, considèrent ces élèves comme une catégorie à part, et rien ne les incite à se préoccuper de leur donner leur place pleine et entière. Et ces élèves handicapés eux-mêmes, comment peuvent-ils surmonter le sentiment d’être des élèves “à part”, non reconnus, n’ayant qu’une place aléatoire, un peu comme des étrangers présents sur un territoire indus, d’être les victimes d’injustice et de discrimination ?

S’il y avait une mesure forte à prendre, ce serait celle de l’obligation de l’inscription pleine et entière de ces élèves en situation de handicap dans les classes des établissements scolaires, ce qui leur procurerait l’ensemble des droits auxquels accèdent les autres élèves, et ce qui permettrait de mettre en place un développement de leur participation aux activités sociales et scolaires (vivre ensemble et apprendre ensemble) de leur établissement. Si une mesure réglementaire ne résout pas tout, l’absence de cette mesure peut avoir des conséquences déplorables, et laisser un discours inclusif se concrétiser par des pratiques discriminatoires. »

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