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Psychiatrie : davantage de droits… mais aussi de soins sous contrainte

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Ces dernières années, le recours aux soins sans consentement a augmenté. Dans le même temps, le contrôle des droits des patients s’est renforcé. Un paradoxe exploré lors d’un récent colloque.

Le collectif Contrast, qui réunit des chercheurs en sociologie, en droit et en philosophie, a organisé le colloque « Les droits des personnes à l’épreuve des contraintes légales », dans les champs du handicap, de la dépendance et de la santé mentale. Il a eu lieu du 18 au 20 décembre, à Paris. Selon Benoît Eyraud, sociologue membre du collectif, « il y a un tournant juridique dans la régulation des accompagnements, qui se traduit par une dynamique de judiciarisation, de juridiciarisation(1) et de démocratisation de la relation de soins et d’accompagnement. La fondamentalisation des droits, avec la convention de l’ONU [relative aux droits des personnes handicapées de 2006], est aussi un marqueur de ce tournant. » Ratifiée par la France en février 2010, « la convention ne crée pas de nouveaux droits spécifiques pour les personnes handicapées, mais décline une série de mesures pour leur permettre d’avoir accès aux droits, comme tout le monde », a rappelé Albert Prévos, président du Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE).

Des progrès passés… et d’autres à venir

Plusieurs orateurs ont assuré que cette convention et d’autres textes nationaux ont permis des progrès considérables pour les droits des personnes. André Bitton, fondateur et président du Centre de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), est revenu sur ces évolutions dans la santé mentale : « Avec la loi du 30 juin 1838, l’internement était pris par décision uniquement administrative. Il y a trente ans, les internés n’avaient pas de droits tout court. Ceux qui réclamaient des droits étaient systématiquement taxés d’accès paranoïaques. Aucune information n’était donnée au patient, le diagnostic était tenu secret. » Si André Bitton considère que « la situation s’est améliorée », il n’en demeure pas moins convaincu que « les personnes malades mentales restent en situation de sous-droits face à un criminel ou à un délinquant. Un criminel est mieux traité qu’une personne atteinte de troubles mentaux. »

« Normalisation des procédures d’exception »

Magali Coldefy, chercheuse à l’IRDES(2), a présenté des chiffres inédits et récents collectés par son institut. En 2016, il y a eu « 1,8 million d’adultes en soins en psychiatrie ». Parmi eux, 94 000, soit 5,3 %, ont été pris en charge sans consentement. Elle a relevé, surtout, une « hausse sensible du recours à l’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie » : + 8 % entre 2011 et 2016, ainsi qu’une augmentation plus rapide (+ 18 % dans la même période) du nombre de personnes suivies sans consentement. « L’augmentation des soins dans un contexte de péril imminent (SPI) pose question. On est dans une normalisation générale des procédures d’exception », a indiqué la chercheuse. Les SPI ont été prévus par la loi du 5 juillet 2011 pour pallier les difficultés liées à l’obligation de signature des tiers pour l’hospitalisation d’un patient dont le consentement aux soins n’est plus éclairé. Pourquoi les pouvoirs publics et les psychiatres y recourent-ils davantage ? Simplement pour « gagner du temps », a lancé un auditeur depuis la salle.

Alors que la juridiciarisation et la judiciarisation sont censées apporter des droits, c’est plutôt l’inverse qui est ressenti sur le terrain. Psychiatre à l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), Cécile Hanon a témoigné : « Les personnes ne seront jamais coupables d’être malades. Pourtant, des patients me demandent souvent pourquoi ils doivent passer devant un juge. « Je ne suis pas un délinquant ! », me disent-ils » Point commun avec les personnes âgées : la société a décidé de restreindre les libertés pour assurer plus de sécurité aux personnes concernées. Selon Cécile Hanon, « le respect de la liberté des personnes impose un risque pour leur propre sécurité », mais « il faut reconnaître à toute personne le droit de faire des mauvais choix ».

Pour Raphaël Mayet, avocat au barreau de Versailles, qui s’est spécialisé dans les affaires d’hospitalisation contrainte, le contrôle judiciaire va permettre une généralisation des droits : « Le fait, pour les établissements, d’être contrôlé par le juge va aboutir à l’homogénéisation des pratiques dans le sens de davantage de respect et de liberté », a-t-il prophétisé. L’avocat a aussi rappelé que le contrôle systématique est désormais gravé dans le marbre constitutionnel, grâce à une jurisprudence du Conseil constitutionnel développée entre 2010 et 2012. Les sages ont confirmé à plusieurs reprises que les atteintes aux libertés fondamentales doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées ».

Notes

(1) La judiciarisation (judiciaire) fait référence au contentieux et à l’intervention du juge. La juridiciarisation (juridique) fait référence à des nouvelles normes qui relèvent du domaine de la loi au sens large du terme.

(2) Institut de recherche et documentation en économie de la santé.

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