Sous le feu des critiques pour sa politique migratoire, le Premier ministre, Edouard Philippe, a organisé, le 21 décembre, une réunion avec une trentaine d’associations d’hébergement ou d’aide aux étrangers. Matignon semble reprendre en main ce dossier, initialement piloté par la Place Beauvau. Une instruction du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, et du ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, signée le 12 décembre, a mis le feu aux poudres en prévoyant le déploiement d’équipes mobiles composées d’agents des préfectures et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), chargées de contrôler la situation administrative des étrangers accueillis dans les centres d’hébergement d’urgence (CHU).
Vingt-six associations ont saisi le défenseur des droits sur ce texte(1), et aussi sur une instruction relative à l’évolution du parc d’hébergement des demandeurs d’asile, publiée quelques jours plus tôt. De son côté, Edouard Philippe a annoncé jeudi le lancement d’une « consultation » au sujet du projet de loi sur l’immigration, rassemblant le chef du gouvernement et les associations concernées, ainsi que des maires et des parlementaires. Elle commencera par une nouvelle réunion à l’hôtel de Matignon, le 11 janvier. Ce sera aussi l’occasion d’installer un « groupe de suivi » de l’instruction du 12 décembre.
Présenté par l’Intérieur comme le moyen de connaître les publics hébergés et de les orienter en fonction de leur situation (réfugiés, déboutés…), ce recensement est dénoncé par les associations, qui y voient un « tri » des migrants. L’instruction « n’a pas pour objet de revenir sur le principe d’inconditionnalité de l’accueil » dans les centres d’hébergement, a martelé Edouard Philippe, assurant qu’il s’agit de cadrer une pratique « qui existe déjà », avec l’envoi de fonctionnaires « qui ne sont jamais des forces de police ». Et de préciser : « Nous ne demandons pas aux associations de se substituer aux agents » procédant au recensement ni « de nous donner des listes ».
Mais les associations, qui s’étaient rendues à la réunion dans l’espoir d’obtenir le retrait de la circulaire, ont fait part de leur « déception » lors d’une conférence de presse donnée le soir même. « Nous n’avons pas été entendus, nous n’avons rien obtenu », a résumé Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), réaffirmant que celle-ci publierait des recommandations destinées aux gestionnaires de centres d’hébergement d’urgence, pour organiser « une sorte de résistance passive ». Promesse tenue dès le lendemain(2).
« Nous avons proposé une réécriture collective, avec les services de l’Etat, de [l’instruction] pour en gommer les aspects les plus coercitifs, mais on a eu droit à une fin de non-recevoir », a développé Florent Gueguen au micro de France Info, le 22 décembre. « Dès que ces équipes mobiles […] vont intervenir dans les centres, un certain nombre de personnes vont fuir leur hébergement, de peur de se retrouver piégées. Certaines qui, aujourd’hui, tentent d’obtenir une place via le 115 vont se décourager », redoute-t-il. « Nous ne participerons pas » au groupe de suivi de l’instruction, car « nous ne voulons pas collaborer à la mise en place d’un texte qui est clairement liberticide », a poursuivi le directeur de la FAS. En revanche, la fédération devrait participer à la concertation sur le projet de loi, « pour essayer d’infléchir un certain nombre de dispositions qui pourraient être dangereuses pour les migrants ». Sur Twitter, Médecins du monde a fustigé « une rencontre sans échanges ». « Edouard Philippe ne souhaite pas entendre. Aucun changement de politique annoncé. Il va y avoir plus de personnes à la rue. Il va y avoir des drames. Et Emmanuel Macron en sera comptable », prédit l’association.
Sur le projet de loi, les organisations se sont cependant félicitées du retrait de la notion de « pays tiers sûr », permettant de renvoyer, dans certains cas, un demandeur d’asile vers un pays de transit, a noté Jean-Claude Mas, secrétaire général de La Cimade, cité par l’AFP. Mais « nous n’avons pas compris s’il y avait une possibilité d’évolution significative », a-t-il déploré. Le calendrier initial, qui prévoit un envoi du projet de loi au Conseil d’Etat vers le 15 janvier, « n’est pas nécessairement décalé », a souligné Matignon auprès de l’agence. Le texte sera ensuite déposé au Parlement.
(2) Lien abrégé vers la lettre, portant série de recommandations : frama.link/RecosFAS.