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« Un jardin ne peut être thérapeutique que s’il est investi par les usagers »

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Remplacer les parkings dans les maisons de retraite par des espaces verts, prendre soin des publics vulnérables et fragilisés en mettant des jardins à leur disposition… C’est ce que propose Jérôme Pellissier, docteur en psychologie, pour qui l’influence de la nature sur le bien-être et la santé n’est plus à démontrer.
Pouvez-vous définir ce que sont les jardins thérapeutiques ?

Ce sont des jardins accessibles et adaptés aux personnes ayant certaines difficultés ou certains handicaps et qui poursuivent des objectifs spécifiques en termes de santé. Les professionnels les utilisent comme lieu, support, médium, motivation… pour mener des activités thérapeutiques. Cela peut être le cas du kinésithérapeute et de l’ergothérapeute, qui vont se servir du jardinage pour rééduquer une personne handicapée à tel type de geste, du psychothérapeute et du psychologue, qui vont l’utiliser comme soutien à la parole de leur patient, de l’animatrice en EHPAD [établissement pour personnes âgées dépendantes], pour éveiller des souvenirs, des sensations et des émotions chez les résidents… Le travail est différent selon les troubles, mais un grand nombre de professionnels peuvent y avoir recours. Il y a, par exemple, des jardins très intéressants pour les enfants autistes et les patients Alzheimer, qui ont besoin d’activités apaisantes. Il peut y avoir différents styles de jardin : sensoriel, où l’accent est mis sur les végétaux, les matières, les matériaux ; horticole, pour les activités de jardinage ; de détente ; social, pour les rencontres entre les habitants de l’institution et leurs proches ; de marche… Il n’y a pas de jardin idéal. En revanche, il faut qu’il soit le plus universel possible, c’est-à-dire adapté à des personnes de situations différentes. Les moments les plus vivants auxquels j’ai assisté en institution, c’est lorsque autour d’une rangée de framboisiers il y avait aussi bien des personnes de 90 ans que des écoliers et des professionnels.

En quoi la nature nous fait-elle du bien ?

Plusieurs études réalisées en Europe, au Japon et aux Etats-Unis constatent que plus l’environnement est vert, plus le nombre de maladies diminue et plus la longévité et l’espérance de vie en bonne santé augmentent. On note aussi que les enfants qui ont des activités « de nature » ont moins de troubles de l’attention que ceux qui restent devant des écrans. Chez les enfants souffrant de troubles autistiques, le jardinage réduit l’anxiété et favorise la concentration et les relations avec les autres. Il permet aux personnes handicapées d’améliorer leur mobilité et leur habilité motrice. Les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou apparentée accueillis dans un lieu qui possède un jardin font également moins de chutes que ceux dans des établissements qui en sont dépourvus. Leurs capacités cognitives, notamment l’orientation dans le temps et l’espace, et les troubles du comportement, de l’agitation et de la dépression diminuent de moitié. Les bénéfices sont d’autant plus importants que les personnes ont un usage régulier et continu de cet espace et de ses animations. En outre, après une opération, la seule présence d’une fenêtre donnant sur un jardin dans un lieu de soins permet d’amoindrir le ressenti douloureux et la prise d’antalgiques et d’écourter la durée du séjour. D’une manière générale, plus notre rapport à la nature est fort et s’inscrit dans la durée, plus il y a d’effets positifs. Mais ils se ressentent aussi à petite échelle : des chercheurs ont observé qu’il suffisait d’avoir de grands posters de paysages naturels sur les murs d’une salle d’examen ou d’un bureau pour accroître le sentiment de bien-être.

Y a-t-il beaucoup de jardins dans les lieux de soins ?

Les premières études démontrant l’influence bénéfique des jardins thérapeutiques datent d’une quarantaine d’années. Depuis, elles n’ont cessé de se multiplier. Pour autant, la France accuse beaucoup de retard dans ce domaine en comparaison de la majorité de ses voisins européens, et surtout des pays anglo-saxons. Il y en a un peu plus dans les institutions où vivent des personnes de moins de 60 ans en situation de handicap et dans celles accueillant des enfants, mais elles sont encore rares en gérontologie, notamment dans les EHPAD. Une des explications tient à une conception très cérébrale et très « médio-médicale » du soin chez nous, avec une grande méfiance, voire un certain mépris, pour toutes les thérapies non conventionnelles. Par ailleurs, l’engouement des Français pour les pratiques liées aux jardins est plus récent qu’ailleurs : on compte 120 000 jardins partagés dans l’Hexagone pour environ 1 300 000 en Allemagne. Mais si, jusqu’à récemment, la présence d’un jardin – au même titre que le respect du sommeil, la qualité de l’alimentation, le maintien des relations sociales… – était considérée comme peu importante, les choses sont en train de changer. Aujourd’hui, davantage de soignants ne s’intéressent pas seulement au « cure » (soigner) mais aussi au « care » (prendre soin), c’est-à-dire à tout ce qui maintient et améliore le bien-être et la qualité de vie. Et nombreux sont les Français qui se reconnectent à la nature. Au Japon, les « bains de forêt » sont une pratique courante.

Les jardins sont-ils profitables aussi aux professionnels ?

Les professionnels qui travaillent dans le secteur sanitaire, social et médico-social sont soumis à un double stress, lié à la fois à la nature de leur métier, qui est de s’occuper d’une population vulnérable, et à l’accélération des rythmes de travail. Le jardin ne règle pas tout, mais des évaluations indiquent qu’à l’hôpital, par exemple, la récupération des soignants est supérieure et le stress inférieur quand ces derniers peuvent accéder directement à un jardin pendant leur pause plutôt qu’à une salle fermée. Aux Etats-Unis, un grand nombre d’hôpitaux – qualifiés de « magnétiques » parce qu’ils savent attirer et retenir leur personnel – disposent de jardins pour faciliter la détente et réduire la détresse émotionnelle. Celle des professionnels mais aussi celle des patients et de leurs proches.

Finalement, les jardins ne servent pas qu’à cultiver…

Ce serait une catastrophe de vouloir les réduire à un seul type d’activité. En forêt, le week-end, il y a aussi bien des joggeurs que des méditants, des promeneurs, des amoureux des arbres, des cueilleurs de champignons… Un des intérêts des jardins thérapeutiques est qu’ils soient très diversifiés. Les bénéficiaires doivent pouvoir y planter des graines, y rêver, y marcher, y bêcher… Chacun va y trouver un peu son propre médicament en fonction de ce dont il a le plus besoin à un moment donné : cela peut être quelque chose de l’ordre de la rêverie, l’envie d’exprimer sa colère ou de lâcher son énergie en creusant un trou… En revanche, l’infinie diversité des jardins ne doit pas être transformée en lieu empêchant d’en profiter librement, de laisser son attention vagabonder et de se reposer. Cela arrive parfois lorsque, au nom de la rééducation cognitive, les professionnels sollicitent la mémoire des patients Azheimer avec des petits panneaux disposés sur le parcours du jardin, sur lesquels on leur demande qui est Charles II ou combien font 1 + 1 ! Si un usager a envie de rêvasser sur un banc, cela ne sert à rien que le professionnel lui dise de prendre une pelle.

Quels conseils donneriez-vous pour créer un jardin thérapeutique ?

La première condition est de prendre le temps de faire un projet avec les futurs utilisateurs. Qu’ils soient résidents ou patients, il est fondamental qu’ils participent au processus de création afin que la démarche corresponde à leurs désirs, à leurs goûts, à leurs besoins. L’erreur serait de faire un jardin qui tombe du ciel en confiant la conception à des experts externes à l’institution. Ils concevront un beau jardin qui fera office de « vitrine » mais dans lequel les usagers ne se sentiront pas impliqués. Or un jardin ne peut être thérapeutique que s’il est investi par des personnes. Mieux vaut avoir un jardin de bric et de broc mais qui donne envie aux résidents de se lever le matin pour aller voir pousser les fleurs ou, simplement, se promener. Un jardin uniquement imposé d’en haut et plaqué depuis l’extérieur ne sera pas vivant et se révélera quasiment inutile. Sans compter que l’élaboration participative est déjà une première étape du « prendre soin » : un groupe d’usagers commencera à regarder des photos pour choisir des plantes, un autre ira visiter une pépinière, etc. Autant d’éléments qui redonnent de l’autonomie et du plaisir. Faire 400 allers-retours dans la journée en déambulant dans le couloir d’un établissement n’a rien à voir avec le fait de faire quatre ou cinq fois le tour d’un jardin.

A qui s’adresse votre livre ?

Aux professionnels qui travaillent en institution ou à domicile chez des personnes ayant un jardin, aux gens qui voudraient s’investir comme bénévoles dans cette activité, aux proches. Plus ces derniers seront nombreux à dire que, quand ils arrivent dans une maison de retraite, ils préféreraient voir de la pelouse et des arbres plutôt qu’un parking, plus les choses bougeront.

Propos recueillis par Brigitte Bègue

Repères

Jérôme Pellissier est docteur en psychologie, chercheur en écopsychologie et chargé d’enseignement à l’université de Lyon 2. Après Ces troubles qui nous troublent (éd. érès) et Humanitude (éd. Armand Colin), il publie Jardins thérapeutiques et hortithérapie (éd. Dunod, 2017).

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