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Le « comment » de la radicalisation

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« Expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » En prononçant ces quelques mots, en janvier 2016, à propos des auteurs des attaques terroristes qu’a subies la France depuis 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait provoqué un vent de consternation chez les sociologues et tous ceux « qui cherchent en permanence des excuses ou des explications ». Expliquer, c’est justement ce que Fabien Truong, sociologue et professeur agrégé à l’université Paris 8, entreprend à travers ce livre. Parce que « la répétition des attentats islamistes pose la question de la responsabilité », cet ancien professeur de sciences économiques et sociales s’attache à comprendre pourquoi des jeunes issus de quartiers populaires, ces « mauvais garçons » comme il les appelle, en viennent à prendre les armes au nom de l’islam. L’auteur dénonce un « sociologisme primaire », qui consisterait à faire « comme si le terroriste était mû par des forces agissantes – qu’elles soient maléfiques ou sociopsychologiques –, sans se demander comment celles-ci l’ont effectivement contraint ». Prenant le contre-pied de cette position, c’est ce « comment » que Fabien Truong tente ici de comprendre.

Il écarte l’idée d’un « réseau islamiste mondialisé » et l’existence de « loups solitaires », des notions qu’il estime trompeuses. Selon lui, au contraire, les causes sont à chercher bien plus en amont, dans une série d’ « injonctions paradoxales » qui déterminent très tôt le quotidien des garçons des quartiers : l’école, la virilité, le business, la prison, la police. A ces injonctions s’ajoutent des « loyautés concurrentes », envers leurs quartiers, leurs proches, mais aussi envers la nation, son idéal méritocratique et le capitalisme qui pousse à l’individualisme. La religion musulmane se dresse alors pour certains comme un « refuge ». « Quand nombre d’institutions ont failli, l’islam a su, d’une certaine manière, panser cette coupure », explique Fabien Truong. Mais « plus qu’à un désir de vivre à l’écart, cette offre répond à une demande de reconnaissance symbolique, d’égalité et de participation à la vie publique ». Si, très souvent, cette « reconversion » est une voie vers l’introspection et le changement de direction, elle peut aussi être vécue de manière extrême et déboucher sur un cri de guerre. Et les profils sont divers : aux « terroristes maisons », qui sont dans un désir de mort, l’auteur oppose ceux qui sont partis en Syrie, souvent pour « construire un projet ».

Pour servir ses propos, l’auteur s’appuie sur les témoignages de cinq hommes aux trajectoires différentes mais aux origines similaires. Tous sont issus de quartiers populaires, la plupart viennent de Grigny (Essonne), où l’auteur a enquêté pendant un an et demi. Certains ont « réussi », d’autres peinent à sortir de ce que l’auteur appelle « la seconde zone », faite de commerces illicites et d’allers-retours en prison. Aux côtés de ces cinq protagonistes, une ombre plane, celle d’Amédy Coulibaly, que certains ont bien connu et dont le nom est entré « par effraction » dans l’Histoire française. Si cinq cas particuliers ne sauraient suffire à expliquer un phénomène, ce livre est une première pierre à un édifice de compréhension. Il pousse à sortir du prisme religieux et à s’interroger sur le fonctionnement de notre société et sur son éventuelle responsabilité.

Loyautés radicales, L’islam et les « mauvais garçons » de la nation

Fabien Truong – Ed. La Découverte – 20 €

Culture

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