Médecins du monde a consacré une conférence de presse à la prostitution, le 14 décembre, et a publié dans la foulée une note sur la santé et les droits des personnes concernées(1). L’association appelle de nouveau à « décriminaliser le travail du sexe », ce qui consisterait à ne le considérer « ni comme une infraction […] ni comme une forme de déviance ». « Cette politique est la seule qui permette de réduire les risques, même si l’on sait que l’exploitation ne disparaîtra pas », a plaidé Sabrina Sanchez, du Comité international pour les droits des travailleurs du sexe en Europe (ICRSE), invitée à la conférence.
Médecins du monde milite plus que jamais contre la pénalisation des clients introduite par la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel – qui a par ailleurs supprimé le délit de racolage(2). Plusieurs représentants d’associations décrivent, depuis l’entrée en vigueur de la loi, une montée des violences (viols, agressions physiques et psychologiques), subies par les personnes se prostituant. Dans la rue, « les négociations avec les clients sont devenues plus difficiles », car ils n’ont « pas le temps » et craignent d’être repérés par la police. Ils demandent « des lieux pas éclairés, isolés », observe Gabriella, travailleuse paire à l’association Paloma, qui vient en aide aux personnes se prostituant à Nantes. De plus en plus souvent, des intermédiaires leur proposent de travailler dans un lieu fermé (bar, restaurant, appartement…). Depuis un an, « les associations ont perdu le lien avec des travailleuses du sexe : certaines s’en vont en région, ou bien sur Internet », explique Tim Leicester, coordinateur du programme Lotus Bus de Médecins du monde, qui s’adresse aux prostituées chinoises à Paris. Avec la raréfaction des clients dans la rue, « des femmes se retrouvent sans logement, ont des difficultés d’accès à la nourriture, et on observe une multiplication des rapports non protégés », déplore Hélène Le Bail, responsable de mission « Lotus Bus ». Selon elle, l’impact de la loi se révèle pire que prévu sur le terrain.
Difficile cependant de quantifier les violences subies, car les personnes se prostituant sont réticentes à porter plainte. Une enquête sur l’impact de la loi, portée par plusieurs organisations, devrait être publiée vers la fin du premier trimestre 2018, a indiqué François Berdougo, référent « réduction des risques » au conseil d’administration de Médecins du monde France. Quand cette étude sera publiée, l’association compte bien « revenir devant les parlementaires » pour que la réforme soit réexaminée, a assuré sa présidente, Françoise Sivignon.
Médecins du monde reste très critique sur une autre mesure de la loi : le parcours de sortie de la prostitution. Mi-novembre, seules une trentaine de femmes en France avaient demandé à en bénéficier, alors que le budget avait été conçu pour en accompagner 1 000 en 2017, a précisé récemment le gouvernement. « Ce parcours a été une énorme déception pour les travailleuses du sexe avec lesquelles nous sommes en contact, car les conditions posées le rendent inaccessible », regrette Tim Leicester. Pour solliciter l’autorisation provisoire de séjour prévue par la loi, la personne doit avoir déjà cessé la prostitution. « Mais comment arrêter l’activité qui te permet de payer ton loyer ? », poursuit le coordinateur. Une « aide financière à l’insertion sociale et professionnelle » de 330 € par mois est bien prévue pour la personne entrée dans le parcours… mais elle ne peut pas être versée avant qu’elle dispose d’un titre de séjour. Enfin, les conditions d’entrée dans le dispositif varient d’un département à l’autre : certains préfets demandent une maîtrise de la langue française qui n’est pourtant pas obligatoire dans les textes.
Médecins du monde n’a pas demandé à faire partie des associations agréées pour le parcours, a rapporté François Berdougo. En effet, pour postuler, les structures doivent s’engager à « mettre en œuvre une politique de prise en charge globale des personnes en situation de prostitution, des victimes de proxénétisme et de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle dont la finalité est la sortie de la prostitution », dispose le décret qui encadre le parcours. Médecins du monde, qui ne fait pas de la sortie de la prostitution une fin en soi, a refusé de s’« aligner politiquement » sur la loi de 2016.
En revanche, une disposition de ce texte trouve grâce aux yeux de l’association : l’aggravation des sanctions en cas de violences commises sur les personnes qui se prostituent. « Nous sommes ravis » de cette mesure, même si elle a mis « quelques mois » avant d’être bien connue des magistrats et mise en œuvre, a commenté Sarah-Marie Maffesoli, responsable du programme interassociatif « Tous en marche contre les violences faites aux travailleuses du sexe ».
(1) Lien abrégé : frama.link/MdMTDS.