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Harcèlement moral : les portes du paradigme 3.0

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Parce qu’ils sont sous tension permanente du fait que leurs personnels sont en nombre insuffisant face à des patients toujours plus exigeants, les établissements sociaux et médico-sociaux sont un terrain favorable au harcèlement moral. Le président de la Fnadepa propose, en matière de management social, de changer de paradigme et de s’inspirer des start-up du numérique. Explications.

Les médias se font régulièrement l’écho d’affaires de harcèlement sexuel dans des établissements sociaux et médico-sociaux. Mais pour Claude Jarry, président de la Fnadepa (Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées), moins qu’au harcèlement sexuel – relativement limité en raison d’un encadrement fortement féminisé –, le secteur social et médico-social est confronté au problème du harcèlement moral. Or, d’un point de vue juridique, le second s’avère plus difficile à établir avec certitude que le premier. Lorsqu’une affaire de harcèlement moral arrive aux prud’hommes, elle fait l’objet d’une bataille d’avocats. L’enjeu pour le ou la plaignante étant alors la reconnaissance de sa souffrance et l’obtention d’indemnités plus importantes. Tandis que, pour le cadre ou pour l’entreprise, ce sont sa réputation et son image qui se trouvent en cause.

Une définition sujette à interprétation

De fait, la définition juridique du harcèlement moral – « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou effet une détérioration des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité d’une personne, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » – est sujette à interprétation. Où s’arrête l’autorité dont un cadre doit faire preuve, et où commence le harcèlement ? La frontière n’est pas toujours évidente à tracer. Une mutation brutale est-elle une nécessité ou une mesure de harcèlement, et une critique vive est-elle justifiée ou constitue-t-elle une brimade ? Soit deux critères parmi ceux de nature à définir le harcèlement moral (voir encadré).

Pour Claude Jarry, dans les établissements médico-sociaux, cette frontière et cette zone de flou sont importantes. Ce qui est ressenti comme du harcèlement peut simplement être la conséquence du contexte spécifique à ce secteur d’activité. Il rappelle que les conditions de travail dans les établissements sont difficiles en raison d’un personnel en nombre insuffisant, confronté à des patients et résidents dont les attentes et parfois les exigences sont fortes, d’une augmentation des contraintes de sécurité et des obligations de qualité.

De nombreux rapports parlementaires et articles de presse – souvent publiés à l’occasion d’affaires de maltraitance – confirment cette réalité. Au mois de novembre 2017, le syndicat FO-santé a lancé une mobilisation sur ce sujet et a réalisé une étude selon laquelle, pour atteindre le ratio d’un agent pour un résident prévu par le plan « Solidarité grand âge », il faudrait créer 180 000 postes supplémentaires. Il n’est pas interdit de rêver !

Encadrement et personnels sous tension

Dans ces conditions, la tension demeure permanente dans les établissements. L’encadrement, lui-même en situation de stress, se voit contraint d’adopter une attitude très directive à l’égard des personnels, qui peuvent mal vivre cette mise sous tension et considérer comme du harcèlement ce qui est, du point de vue de l’encadrement, une obligation de résultat.

Comme il ne sera pas possible de créer tous les postes nécessaires pour faire baisser cette pression, Claude Jarry préconise de sortir de « la taylorisation dans les établissements » et d’« y mettre de l’humain ». Comment ? Son idée est de s’inspirer… des start-up et des entreprises de l’économie numérique, un secteur éloigné du monde médico-social. Encore que, du point de vue social, la distance n’est peut-être pas aussi grande qu’il y paraît. Dans ces sociétés de l’e-économie, on travaille beaucoup et la pression des résultats s’y révèle autant, voire plus forte – sans parler de la précarité des statuts… Ici, un clic vaut contrat, et un double-clic, licenciement…

Cependant, au sein de ces start-up, il y a des « amortisseurs », sous la forme d’espaces dédiés à la détente, à l’échange, au dialogue, des lieux où la hiérarchie est mise entre parenthèses, ce qui représente autant de moyens de décompresser et d’identifier d’éventuelles difficultés.

Pourquoi les établissements sociaux ne s’inspireraient-ils pas de ce modèle « afin de mettre un peu d’humanité dans la gestion sociale », selon l’expression de Claude Jarry, qui cite le cas d’un établissement de 35 places qui a créé un service de massage pour le personnel ? Un fait qui n’est pas anecdotique lorsqu’on connaît les charges de travail auprès des personnes dépendantes.

La gestion sociale devient un enjeu important. Le prochain congrès de la Fnadepa sera amené à débattre de la question de l’apport du digital dans la gestion des établissements. L’EHPAD 3.0 pour prévenir le harcèlement ?

Une responsabilité à assumer

Du point de vue juridique, le harcèlement moral se définit à travers 12 critères classés en 4 catégories :

1) humiliations, critiques (dénigrements et brimades, critiques injustifiées, humiliations publiques, mesures vexatoires) ;

2) discrédit, conditions de travail dégradantes ;

3) isolement, mise à l’écart ;

4) rétrogradation et sanctions injustifiées.

Ces critères doivent s’appuyer sur des éléments tangibles et/ou des témoignages. Il ne suffit pas d’affirmer avoir été brimé ou sanctionné, il faut pouvoir prouver la répétition des réprimandes et le caractère injustifié de la sanction. Le harcèlement moral est aussi une responsabilité de l’ESMS et de son directeur. Si un salarié fait remonter des faits de harcèlement moral que lui-même ou un tiers subit, le responsable est dans l’obligation d’agir rapidement. D’abord, en vérifiant la réalité des faits. Si ceux-ci sont confirmés, plusieurs options sont possibles. Soit obtenir par conciliation un « cessez-le-feu » entre le harceleur et le harcelé, soit muter le harceleur pour qu’il ne soit plus en contact avec sa victime, soit appliquer des sanctions qui peuvent aller jusqu’au licenciement. Cette gestion par l’entreprise ne préjuge en rien de l’attitude du harcelé, qui peut décider d’une action à l’encontre de son harceleur ainsi que de l’établissement.

Témoignage

« L’affaire a pour cadre une résidence autonomie dépendant d’un CCAS en Ile-de-France, qui ne sera pas nommée à la demande de la direction, de même que les protagonistes, qui souhaitent garder l’anonymat. Il y a quelques années, un résident commence à harceler une jeune employée, l’invitant à venir dans sa chambre, lui proposant des rendez-vous à l’extérieur et autres rencontres possibles, l’attendant même à la fin de son service. Ce manège a duré de deux à trois mois, avec la circonstance aggravante que l’employée était atteinte d’un léger handicap. Comme souvent, la jeune fille ne disait rien. Mais ses collègues ont remarqué que son comportement s’assombrissait et qu’elle ne semblait pas à l’aise. Ils l’ont amenée à se confier. La direction a pris les choses en main et a piégé le résident-harceleur alors qu’il attendait sa victime à l’extérieur. Confondu, après avoir entendu les remarques sur le caractère inapproprié de sa conduite, il s’est excusé. La question s’est alors posée de la suite à donner à cette affaire : plainte de la part de la victime ? signalement de la part de l’établissement ? La jeune fille qui, au fond, avait échappé à la main baladeuse n’a pas souhaité faire une main courante. L’établissement, à la demande – plus ou moins explicite – de la municipalité, a renoncé au signalement… Le résident a été menacé d’exclusion s’il récidivait et une nouvelle organisation du service a été mise en place pour que les deux protagonistes ne soient plus en contact. Cette affaire a eu une conséquence. L’ensemble de l’équipe est plus sensibilisé à la question du harcèlement, veille plus à la charte interne de l’établissement qui codifie les relations résidents-personnel et est à l’écoute d’éventuels signaux d’alerte. Cela suffira-t-il à éviter une nouvelle affaire ? Le risque zéro n’existe pas. La résidence en question est une petite structure, comptant moins de dix agents. Cette histoire montre que la libération de la parole ne dépend pas de la taille de l’établissement. En ce qui concerne les poursuites judiciaires, l’arbitrage entre la recherche d’une sanction pour faute et la nécessité de préserver la réputation est une question toujours épineuse. »

Manager dans le social

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