Aucun directeur d’ESMS ne peut éluder, à un moment ou à un autre, la question de l’attitude à adopter en cas de signalement d’un harcèlement sexuel. Certes, les lois, les arrêtés, les circulaires ministérielles donnent un cadre général et théorique. Mais, en pratique, comment gérer une telle situation de nature à déstabiliser l’établissement ?
La première tentation à laquelle il ne faut pas céder est de vouloir étouffer l’affaire en espérant qu’elle s’arrêtera d’elle-même. Ce serait là le meilleur moyen de provoquer l’explosion car une rumeur ou une information se propage et s’embrase comme une flammèche se transforme en incendie au contact d’une matière inflammable. Et la matière en question est hautement sensible. En outre, l’inaction peut déboucher sur une mise en cause judiciaire de l’établissement ainsi que du directeur.
En réalité, il faut anticiper la situation. Pour David Caramel, avocat spécialiste en droit du travail, de la santé et de la protection sociale au barreau de Nîmes, « il faut mettre en place un process interne » qui transforme le directeur en juge d’instruction menant une enquête à charge et à décharge.
Pour ce faire, David Caramel préconise la création d’une commission paritaire – composée de représentants du personnel et de la direction – qui entendra les parties prenantes : d’une part, la « victime », ou le témoin si le signalement a été fait par un tiers, et, d’autre part, la personne mise en cause. Ces auditions font l’objet d’un compte rendu signé par les protagonistes. Ce point est important dans la mesure où cette signature atteste de l’action de la direction et engage la responsabilité de chacun des acteurs qui – le cas échéant – pourrait être convaincu de faux témoignage ou de dénonciation calomnieuse.
A l’issue de l’enquête, les faits sont avérés ou pas. Dans la seconde hypothèse, l’affaire peut s’arrêter là, au prix de mesures de réorganisation interne visant à ce que plaignant, témoins et mis en cause ne soient plus en situation de travailler ensemble ni d’être en contact. Cependant, ce « classement sans suite interne » ne prive en rien le plaignant ou la plaignante – qui maintient ses accusations – de saisir la justice par une main-courante ou le dépôt d’une plainte. Il faut comprendre que cette enquête interne n’est pas une justice privée. Il s’agit d’une médiation visant à dégonfler une éventuelle fausse affaire, préservant l’établissement et le directeur d’être accusés de couvrir des faits délictuels.
Si les faits sont avérés, l’établissement peut être amené à prendre des sanctions pouvant aller jusqu’au licenciement. Mais surtout – c’est une obligation – il doit faire un signalement auprès de l’agence régionale de santé au titre d’un « événement indésirable » ainsi qu’une déclaration au procureur de la République. Si ces actions ne sont pas mises en œuvre, l’établissement et le directeur à titre personnel peuvent être mis en cause.
L’établissement a aussi la possibilité, selon la gravité des faits, de se porter partie civile « pour préjudice en raison de la perturbation que ces faits ont provoqué dans la prise en charge des patients ou des résidents ». Ce sujet de la perturbation est essentiel par ce qu’il implique pour la communauté de l’établissement.
La révélation de faits de harcèlement entre personnes travaillant ensemble depuis plusieurs années peut provoquer un choc, une remise en cause des relations de confiance, une escalade dans la dénonciation. Or – et c’est l’enjeu d’une prise en compte anticipée –, entre la nécessaire libération de la parole et la délation, la marge est étroite et son franchissement dévastateur.
Les établissements peuvent être aussi tenus responsables des harcèlements sexuels entre résidents. En 2012, le tribunal administratif de Poitiers a condamné un EHPAD après la plainte d’une pensionnaire victime d’attouchements de la part d’un autre résident. La faute de l’établissement a consisté en l’absence de réaction alors que les faits lui étaient connus. Le tribunal a considéré que, d’une part, « l’établissement, bien qu’ayant conscience de la dangerosité de l’agresseur, n’a pris aucune mesure spécifique pour en assurer la surveillance étroite, ni assurer la sécurité des autres pensionnaires », et que, d’autre part, « en ne prenant aucune mesure après l’agression, en s’abstenant de faire appel à un médecin et de prévenir la famille, l’EHPAD a retardé la mise en œuvre des soins et la prise en charge adaptée de la victime ». L’établissement a été condamné à verser 10 000 € à la tutrice de la plaignante, décédée avant le jugement, à titre de réparation des troubles subis.