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Une nouvelle méthode pour panser toutes les plaies

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Introduite par la loi « Taubira » du 15 août 2014, cette nouvelle forme de justice, additionnelle au procès pénal, cherche à restaurer les liens sociaux entre la victime d’une infraction, son auteur et la société tout entière. Deux visions complémentaires naissent en France : celle portée par l’association Citoyens et Justice et celle de l’Institut français pour la justice restaurative.

« J’aimerais qu’il prenne vingt ans. » Une phrase souvent prononcée par des victimes dans le cadre d’un procès pénal. Puis, à la sortie du prononcé du verdict, la presse se précipite pour leur demander si la sentence les satisfait. Pourtant, le droit français fait une stricte distinction entre l’action publique – procédure qui vise à déterminer la responsabilité délictuelle ou criminelle d’une personne et, le cas échéant, à lui appliquer une peine – et l’action civile – procédure parallèle qui définit l’étendue du préjudice subi par la victime d’une infraction pour lui verser des dommages et intérêts. Mais force est de constater que l’argent ne suffit pas toujours à réparer les dommages, puisqu’il laisse de côté le préjudice psychologique. Pire, un gros chèque assorti d’une petite peine contre l’auteur peut parfois faire naître un sentiment d’injustice chez la victime.

Contrairement au procès pénal, subi, qui oppose la victime et l’auteur, la justice restaurative cherche à établir un lien entre les deux parties, en leur donnant un rôle actif. Là où le procès pénal se base sur une appréciation objective des faits, la justice restaurative se concentre sur la subjectivité. Pour réparer les dommages psychologiques et sociaux, elle cherche à répondre à des questions ad hoc. Comment les personnes étaient-elles avant l’infraction ? Comment l’ont-elles vécue ? Comment faire pour les aider à se reconstruire, en prenant en compte tous les pans de leur personnalité et de leur histoire propre ? L’élément fondamental de la justice restaurative est sans doute que les mesures sont décidées par les parties elles-mêmes, contrairement à la procédure pénale, dont le déroulement est décidé de manière unilatérale par des tiers : l’Etat, représenté par le procureur de la République, et le juge lui-même, qui décide seul du déroulé des audiences. En somme, la justice restaurative cherche à sortir du modèle vertical dans lequel le juge sanctionne l’auteur et décide la réparation pour la victime, pour adopter une démarche horizontale, dans laquelle toutes les parties concernées, y compris la victime, l’auteur et la communauté, définissent ensemble la totalité des réparations et des sanctions(1).

Lobbying assume de France victimes

La justice restaurative a été introduite dans le droit français par la loi « Taubira » du 15 août 2014(2). La garde des Sceaux n’était d’abord pas favorable à ce dispositif. Sous l’effet du lobbying poussé et assumé de France Victimes (ex-Conseil national de l’aide aux victimes), elle a finalement accepté de l’ajouter à son projet. « Nous étions à l’initiative d’intégrer la notion de justice restaurative dans la loi, témoigne Olivia Mons, porte-parole de l’association. L’intégration était nécessaire pour qu’il y ait une prise de conscience générale sur la justice restaurative. Il fallait prendre en compte deux éléments importants : le fondement des mesures de justice restaurative sur la reconnaissance des faits par l’auteur, et la volonté des deux parties, auteur et victime, d’y recourir. »

Le texte a ajouté l’article 10-1 au code de procédure pénale, article unique inclus dans un sous-titre spécialement créé et sobrement intitulé « De la justice restaurative ». Une mesure peut être proposée à la victime et à l’auteur de l’infraction pour toute infraction et à tous les stades de la procédure pénale, à condition que les faits aient été reconnus. L’alinéa 2 de l’article 10-1 précise que « toute mesure permettant à une victime et à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction » constitue une mesure de justice restaurative. Pour Benjamin Sayous, directeur de l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR) et docteur en droit(3), ce cadre légal est « très satisfaisant, dans la mesure où il permet d’accéder facilement à la justice restaurative, sans distinction de type de mesure, ni d’infraction ». « De plus, poursuit-il, la loi permet d’appliquer la justice restaurative en dehors de toute procédure pénale. Que ce soit en cas de prescription, d’auteur inconnu ou de disparition des preuves, par exemple. » Dans ces cas, la justice pénale est impuissante, et la justice restaurative prendra le relais, en répondant précisément au sentiment d’injustice, voire de déni de justice, soulevé régulièrement par les victimes ou par la société.

Ce cadre étant posé, il a fallu attendre presque trois ans, le 15 mars 2017 précisément, pour qu’une circulaire du ministère de la Justice vienne expliquer le cadre légal de la justice restaurative. Rappelons qu’une circulaire n’a pas de valeur réglementaire ou législative au sens strict, elle sert uniquement à unifier l’interprétation des textes au sein de l’administration. « On a essayé de retenir les éléments essentiels en laissant une grande marge de manœuvre, explique Anne Rivière, cheffe du bureau de l’aide aux victimes et de la politique associative au sein du ministère de la Justice, qui a rédigé la circulaire. Surtout, on a voulu éviter les expériences sauvages. »

Un an d’expérimentations

Les associations, qu’elles soient plutôt du côté des victimes ou de celui des auteurs, voire des deux, n’ont pourtant pas attendu la circulaire pour travailler sur la justice restaurative. Non pas pour créer un modèle spécifiquement français, mais plutôt pour adapter les fondamentaux du modèle à notre système juridique, une nébuleuse aux acteurs multiples : magistrats du siège et du parquet, avocats, administration pénitentiaire, associations socio-judiciaires et de victimes, protection judiciaire de la jeunesse, experts…

Dès 2016, Citoyens et Justice, fédération d’associations socio-judiciaires, s’est associée avec l’Association de recherche en criminologie appliquée (ARCA), une unité de recherche pluridisciplinaire, pour réaliser pendant un an des enquêtes et des expérimentations sur le thème de la justice restaurative. Erwan Dieu, directeur de l’ARCA, a présenté, avec plusieurs de ses collègues, les résultats de cette recherche-action fin novembre, lors de la 2e Conférence européenne sur la justice restaurative, organisée par Citoyens et Justice : « L’idée, c’était de partir des pratiques des professionnels du socio-judiciaire et de savoir comment faire émerger ce qui serait potentiellement de l’ordre du restauratif », explique le criminologue. « C’était à nous de partir des pratiques du terrain. On voulait donner la parole aux bénéficiaires des mesures », complète Olivier Sorel, directeur opérationnel à l’association et psychologue. Partant de la pratique des professionnels et de l’attente des usagers, la recherche-action menée par l’ARCA a abouti à la construction d’outils, de documentation et de formations à destination des professionnels pour mettre de la justice restaurative dans leur pratique du quotidien, sans créer de nouveaux dispositifs indépendants.

De son côté, l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR) a eu une approche différente. Créé en 2013, il voulait d’abord élaborer un socle commun, un noyau dur de la justice restaurative. Son directeur, Benjamin Sayous, insiste sur le caractère complémentaire des deux approches : « Plus on sera nombreux à travailler et à proposer des choses sur la justice restaurative, plus il y aura de chances pour que ça marche. Il faut tirer l’expérience de chaque réseau. » L’ARCA et l’IFJR ont développé des formations et créé des certifications : « Nous proposons 39 formations en partenariat avec France Victimes et l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire, qui sont organisées partout en France. Elles accueillent aussi bien les bénévoles que les professionnels », explique Benjamin Sayous. En plus des opérations de promotion de la justice restaurative, d’accompagnement des professionnels et d’évaluation des mesures, l’IFJR se tourne aussi vers l’avenir : « On essaie d’anticiper. On a lancé une phase de création et de développement des mesures de justice restaurative pour des publics plus vulnérables, que ce soit des mineurs auteurs ou victimes, ou de ce qui relève du terrorisme. La justice restaurative peut être une réponse. » Citoyens et Justice est sur la même longueur d’onde. Erwan Dieu, en conclusion du compte rendu des travaux de l’ARCA, a aussi annoncé ce défi : travailler pour proposer la justice restaurative aux victimes et auteurs d’infractions liées au terrorisme, un domaine ô combien sensible.

Les outils de justice restaurative

La mesure ultime de justice restaurative est la rencontre finale entre un auteur et la victime d’une infraction. Cependant, d’autres outils peuvent être mis en place. L’Association de recherche en criminologie appliquée (ARCA) a, par exemple, développé un protocole basé sur la réalité virtuelle. Un casque sur les yeux, l’auteur ou la victime se déplace dans un environnement relaxant et interagit avec des avatars. L’objectif est de préparer psychologiquement la victime ou l’auteur à une rencontre réelle et, surtout, à « aider les personnes qui n’arrivent pas à s’exprimer », explique Erwan Dieu, président de l’association. L’ARCA a aussi développé un jeu de rôle qui réunit plusieurs auteurs autour de quatre étapes. En deux heures, ils racontent leur propre expérience, parlent de l’expérience d’un autre, jouent le rôle de la victime et, enfin, élaborent un projet de vie. Olivier Sorel, psychologue qui a participé au développement de cet atelier, indique qu’il est essentiel de respecter ces étapes, sans lesquelles les auteurs ne pourront même pas tenter l’expérience.

La question du financement

Dans un contexte général de manque de moyens, humains et financiers, « les mesures de justice restaurative sont à moyens constants » pour les professionnels du monde judiciaire, alerte Véronique Dandonneau, juriste et chargée de projet à Citoyens et Justice. « Ça ne peut rester en l’état, le soutien financier est nécessaire », insiste-t-elle. Benjamin Sayous, directeur de l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR), estime que « pour l’instant, l’Etat a relativement bien soutenu les programmes », tout en soulignant qu’au vu de leur « développement important, le budget de la justice restaurative ne pourra pas être le même à l’avenir ». En effet, alors que l’IFJR n’avait développé que deux ou trois programmes en 2016, quinze ont été conclus cette année, et une trentaine sont prévus pour 2018.

Notes

(1) Voir le rapport « La justice restaurative » – Conseil national de l’aide aux victimes – Mai 2007 – Disponible sur frama.link/CNAV_JR.

(2) Art. 18 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014.

(3) Sa thèse, dirigée par Robert Cario et soutenue à Pau le 16 décembre 2016, portait sur « La justice restaurative. Aspects criminologiques et processuels ».

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