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« Pour une loi d’humanité en fin de vie »

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Depuis 2003, la question de l’euthanasie est récurrente dans le débat politique et sociétal français. Jean-Luc Romero, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), plaide pour une évolution de la législation afin que tous puissent bénéficier du « droit d’avoir une fin de vie digne », comme le garantit l’article L. 1110-5 du code de la santé publique.

« En 2003 mourait le jeune Vincent Humbert par le geste humaniste de sa propre mère et de son médecin. Le président de la République d’alors, Jacques Chirac, n’avait pas entendu son appel : “Je vous demande le droit de mourir”(1).

Comme pour étouffer l’émotion suscitée par ce drame, la loi “Leonetti” du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie introduisait les directives anticipées, mais aussi le tristement célèbre “laisser mourir” et l’hypocrite double effet des analgésiques. A peine quelques mois après la promulgation de cette loi, le drame du jeune Hervé Pierra démontrait cruellement l’inefficacité de ce texte présenté comme presque parfait par son auteur. Depuis trois ans, les Belges, eux, bénéficiaient de la légalisation de l’euthanasie.

En 2008, après le drame de Chantal Sébire, que tous les Français ont suivi, une mission d’évaluation de la loi “Leonetti” – conduite par le même Jean Leonetti – débouchait sur une série de propositions visant à améliorer la loi de 2005, sans toutefois toucher à son principe du “laisser mourir”. En 2011, en août, l’urgentiste Nicolas Bonnemaison était arrêté, soupçonné d’avoir administré un produit létal à plusieurs patients en fin de vie. Acquitté par la cour d’assises de Pau, condamné en appel à deux années de prison avec sursis… En novembre 2011, Jean Mercier était arrêté – il s’était lui-même dénoncé – pour avoir apporté à sa femme en fin de vie ses propres médicaments, pour l’avoir aidée à ouvrir les flacons et pour s’être ensuite éloigné durant plusieurs dizaines de minutes. Le suicide n’étant pas condamné en France – et Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, rappelait en septembre 2008 qu’il ne saurait y avoir ni crime ni délit d’assistance au suicide ou de provocation au suicide, sauf dans le cas des mineurs ou d’adultes souffrant d’une affection mentale –, Jean Mercier fut poursuivi pour non-assistance à personne en danger. Verdict des tribunaux : un an de prison avec sursis en première instance, puis relaxe en appel. Actuellement, la Cour de cassation examine le pourvoi formé par le parquet général.

La pire des solutions

Le 2 février 2016 était promulguée la troisième loi “Leonetti”, qui persévérait dans le “laisser mourir” avec l’introduction d’un prétendu nouveau droit à l’endormissement – en fait une sédation accompagnée de la dénutrition et de la déshydratation du patient –, qui existait pourtant déjà dans un décret de janvier 2010. Plutôt que de procéder à l’administration d’un produit létal lorsque le constat de la fin de vie est posé par les médecins, les parlementaires, conduits par Jean Leonetti, privilégiaient la pire des solutions : affamer et assoiffer un corps malade pour le conduire à la mort, dans un état comateux dans lequel même le professeur Régis Aubry, président de l’ex-Observatoire national de la fin de vie(2), affirmait qu’on ne pouvait pas dire que les souffrances n’existent pas ; mais il existe bel et bien des souffrances chez celles et ceux qui accompagnent la personne sédatée : famille, amis et soignants…

Le 2 octobre 2017, Anne Bert partait mourir en Belgique après avoir courageusement planifié cet ultime voyage – elle en avait la force morale et, pour quelque temps encore, physique, ainsi que les moyens. Dans sa douleur, elle savait avoir encore cette chance de pouvoir fuir, s’exiler, se réfugier dans un pays qui place le respect des consciences et des volontés au-dessus des dogmes et des principes. Jusqu’à la parution de son livre si plein de vie, Le tout dernier été(3), Anne Bert a fait de son combat individuel un combat collectif.

Depuis bientôt dix ans, le corps décharné de Vincent Lambert, jeune homme plongé dans un état de conscience minimal, est balloté entre une épouse qui souhaite qu’il ne soit plus maintenu artificiellement en état de survie, une mère qui s’accroche – au nom de sa propre foi dont le fils s’était pourtant éloigné – à l’illusion d’un retour à la vie, et des médecins qui souhaitent appliquer la loi mais sont impuissants, en l’absence de directives anticipées et de hiérarchisation des membres de la famille (qui décide en premier lieu ? le conjoint, choisi ? les parents, qui ont mis l’enfant au monde ?). Une hiérarchisation existe dans la loi belge. Le Parlement français l’a refusée lors de la discussion de la loi du 2 février 2016, à la demande de Jean Leonetti et malgré plusieurs amendements favorables.

De 2005 à 2017, une longue série de drames et d’épreuves ; beaucoup d’efforts déployés par quelques-uns pour contenir cette soif de liberté dont prennent conscience nos concitoyens.

Surdité d’une partie du corps médical

De 2005 à 2017, combien de nos amis, de nos proches, de nos parents sont morts dans des conditions épouvantables, dans des souffrances insupportables et inadmissibles, dans le manque de liberté et, parfois, de dignité au sens de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique qui prescrit que “toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne” ? Ils ne sont pas morts de la sorte à cause de la fatalité ou à cause du manque de jugement de tel ou tel médecin… Ils sont morts de la sorte parce que la loi française est inappropriée dans de nombreux cas. Il y a pourtant déjà tellement de souffrances dans ce monde, qu’il n’est pas nécessaire d’en imposer d’autres, des ultimes, comme une rédemption qui n’a pas sa place dans notre république laïque.

Vincent Humbert, Hervé Pierra, Maïa Simon, Rémy Salvat, Chantal Sébire, Jean Mercier, Nicole Boucheton, Vincent Lambert et tant d’autres ont tous enduré la surdité d’une partie du corps médical, celle que dénonçait le professeur Sicard dans son rapport remis au président de la République d’alors, François Hollande, en décembre 2012 ; cette partie du corps médical dont certains membres siègent sur les bancs de l’Assemblée nationale, bloquant, depuis les années 1980, toute tentative d’ouvrir à chacun des Français le droit de choisir les conditions de sa propre fin de vie.

Combien faudra-t-il encore de drames de la fin de vie pour qu’enfin le président de la République, le Premier ministre, la ministre de la Santé et les parlementaires acceptent de légaliser une aide médicalisée à mourir ? Comment faut-il leur parler pour leur rappeler – comme ce fut le cas dans les années 1970 avec l’interruption volontaire de grossesse ou, quarante ans plus tard, avec le mariage pour tous – qu’un droit nouveau ne retire rien à ceux qui ne veulent pas en bénéficier et qu’une société, loin de se mettre en danger, s’enrichit des nouvelles libertés qu’elle accorde à ses citoyens ? Le droit de mourir dans la dignité : un droit, évidemment, pas une obligation…

Demain, avec la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, avec la garantie d’un accès universel aux soins palliatifs qui, malgré les grands discours, est loin d’être assuré alors que seuls 20 % des mourants qui en ont besoin en bénéficient effectivement, avec le respect de la parole du patient et la démocratie sanitaire, avec le respect des volontés et des consciences – y compris, bien sûr, celle des médecins opposés à un geste actif de délivrance –, nous mettrons un terme à tant de souffrances de fin de vie, à tant de déchéances insupportables pour celles et ceux qui en sont les victimes et pour leurs proches, ainsi que pour leurs soignants, à des infantilisations comme trop souvent elles sont subies dans des établissements inadaptés et sous-dotés en moyens humains. Humains… Nous mettrons aussi fin aux graves dérives que connaît la France, car si, selon l’Institut national d’études démographiques, il y a 0,8 % d’euthanasies par an dans notre pays, seuls 0,2 % des mourants en ont fait la demande ! Autrement dit, 1 100 personnes ont été entendues par des médecins courageux, mais 3 400 ont été aidées… sans rien avoir demandé ! Des dérives que le législateur ne veut pourtant pas voir…

Si la mort est une évidence dont nous avons conscience depuis la petite enfance, nous ne pouvons pas nous résoudre à notre souffrance, ni à celle de ceux que nous aimons.

Un droit, pas une obligation

Depuis 1980, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité agit pour qu’une loi d’ultime liberté donne à chacun la maîtrise de sa propre fin de vie. Elle milite pour que “toute personne majeure et capable, en phase avancée ou terminale, même en l’absence de diagnostic de décès à brève échéance, atteinte d’au moins une affection accidentelle ou pathologique avérée, grave, incurable et/ou à tendance invalidante et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable” puisse demander à bénéficier d’une aide active à mourir ou d’un suicide assisté. Après que les femmes ont obtenu, dans les années 1970, le droit de devenir ou non des mères, l’ADMD milite pour que les femmes et les hommes de notre pays, comme nos voisins néerlandais, belges, luxembourgeois et, dans une moindre mesure, suisses, puissent bénéficier du choix en fin de vie, selon leur propre conscience et leur propre volonté.

Aujourd’hui, si l’on en croit les sondages, constants depuis plus de vingt ans, plus de 90 % des Françaises et des Français sont favorables à la légalisation de l’euthanasie. Non pas, bien sûr, comme une obligation, mais comme un droit, que l’on exerce ou pas… Nos quelque 70 000 adhérents agissent au quotidien pour sensibiliser les élus français à cette nécessité humaniste tout en apportant une entraide solidaire à toutes celles et à tous ceux qui, en l’absence d’une loi de liberté, redoutent à juste titre les fins de vie dramatiques. »

Notes

(1) Vincent Humbert, Je vous demande le droit de mourir – Ed. J’ai lu, 2004.

(2) Il a fusionné avec le Centre national de ressources soin palliatif pour constituer le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, créé par le décret n° 2016-5 du 5 janvier 2016.

(3) Ed. Fayard, octobre 2017.

Contact : infos@admd.net – www.admd.net.

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