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« Les mineurs non accompagnés sont confrontés au paradoxe de l’accueil »

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Obligés de prouver qu’ils sont capables de s’intégrer pour rester en France, les mineurs non accompagnés cachent la souffrance psychologique inhérente aux traumatismes dont ils ont été victimes ou témoins. Selon le psychologue Sydney Gaultier, ils se trouvent entre protection et insécurité.
Pourquoi avez-vous entrepris cette recherche sur les mineurs non accompagnés ?

Dans ma pratique clinique de psychologue en institution éducative, j’ai été amené à travailler avec eux, et j’ai mesuré les difficultés à saisir véritablement leurs besoins psychiques. De fait, on sent beaucoup de souffrance chez eux mais peu de manifestations symptomatiques de cette vulnérabilité. Ce sont également des jeunes qui ont un autre rapport aux adultes et à l’autorité. Par ailleurs, je me suis aperçu qu’il y avait très peu d’études empiriques en France sur la prévalence des troubles dans cette population, contrairement à d’autres pays comme la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège, l’Autriche… Aujourd’hui, l’actualité pousse les universitaires à s’y intéresser, mais il y a trois ans, quand j’ai démarré ma recherche, le sujet restait relativement périphérique.

Quel est le profil des jeunes que vous avez rencontrés ?

Avec l’accord du conseil départemental de Savoie, j’ai rencontré 68 jeunes par l’intermédiaire des maisons d’enfants à caractère social de Savoie. Ils avaient en moyenne 17 ans, 82 % étaient des garçons et 18 % des filles. La majorité d’entre eux, soit 77,9 %, venaient du continent africain, 13,2 % d’Asie (principalement d’Afghanistan et un peu d’Indonésie) et 8,8 % arrivaient d’Europe hors Union européenne (exclusivement d’Albanie). Presque un tiers d’entre eux étaient totalement isolés de leurs familles. Les professionnels interrogés percevaient pour 39,7 % ces jeunes comme des exilés, c’est-à-dire ayant fui des conflits ou des persécutions, 38,2 % comme des « mandatés », a priori envoyés par leurs familles pour des raisons économiques, 19,1 % étaient des fugueurs et 1,4 % issus d’un contexte de traite humaine ou d’exploitation, notamment la prostitution.

Selon vous, cette catégorisation s’avère partiellement inadéquate. Pourquoi ?

Dans les textes officiels, on a tendance à les classer dans la catégorie des « mandatés ». Cela suppose que ce sont leurs familles qui ont organisé leur voyage en rémunérant un passeur, la mission du jeune étant de travailler en Europe et d’aider financièrement ses proches restés au pays. Les choses sont souvent plus complexes. Une récente étude de l’Unicef-REACH indique que, en fonction des pays, entre 31 % et 47 % des mineurs non accompagnés venant d’Afrique fuguent à cause de maltraitances familiales. Au total, 75 % ont décidé seuls de partir. Ces données confirment ce que j’ai observé sur le terrain : une majorité de jeunes dits « mandatés » cherchent à échapper à des violences domestiques et ont décidé de s’enfuir seuls ; ensuite, ce sont les passeurs qui contactent leur famille, et non l’inverse. Au titre de la protection de l’enfance, il faut les considérer d’abord comme séparés de leur famille avant de devenir des migrants.

A quels principaux problèmes sont-ils confrontés à leur arrivée ?

Une des problématiques essentielles est celle du paradoxe de l’accueil. Une fois en France, les mineurs non accompagnés sont pris en charge jusqu’à leurs 18 ans au titre de la protection de l’enfance. Cependant, au passage de leur majorité, ils tombent sous le coup du droit des étrangers et sont exposés à la menace d’une reconduite à la frontière. Il y a donc une sorte de contradiction de l’accueil, lequel oscille entre protection et insécurité. C’est comme si on disait aux jeunes : « Aujourd’hui, on vous protège, mais demain, on ne sait pas si vous pourrez rester ici. » Et effectivement, en fonction des départements et des politiques préfectorales, le jour de leurs 18 ans, un certain nombre d’entre eux reçoivent une OQTF, obligation de quitter le territoire. Ce paradoxe leur met une pression très forte : faire preuve d’un maximum de capacités d’intégration, d’habilités sociales, d’apprentissage de la langue, d’insertion dans les cursus scolaires, etc., afin de donner toutes les garanties, et arborer une extraordinaire résilience pour pouvoir rester en France après leurs 18 ans. Cette situation provoque une adaptation elle-même paradoxale puisqu’elle étouffe la possibilité de manifester leur souffrance psychique.

Vous parlez d’« internalisation des troubles »…

Tout à fait, c’est ce qui ressort de ma recherche et d’autres travaux. On est face à des jeunes qui ne sont pas habitués culturellement à la question du soin psychique. Il y a donc tout un travail de médiation culturelle à faire auprès d’eux pour que l’utilité de rencontrer un psychologue ou un psychiatre trouve un sens pour eux. Mais, de plus, le fait qu’ils n’expriment pas spontanément leurs difficultés, leurs doutes, leur détresse est doublé par l’enjeu de l’adaptation. D’un côté, ils sont contraints de démontrer leur volonté de s’intégrer ; de l’autre, ils ne peuvent exprimer leur mal-être dans la mesure où le symptôme a une valeur dyssociale qui contredirait les efforts qu’ils sont en train de mettre en place pour légitimer la place qu’ils pourraient occuper dans la société. Or, de par leur histoire, une grande partie de ces jeunes sont porteurs de troubles psychopathologiques.

De quels maux souffrent-ils ?

Dans toutes les études européennes, on en retrouve trois avec une prévalence extrêmement forte : le trouble de stress post-traumatique, la dépression et l’anxiété. Dans mon étude, 61,8 % des jeunes souffrent de stress post-traumatique, ce qui est très important. Cela signifie qu’ils ont été exposés eux-mêmes ou comme témoins à la mort, à des blessures, à des agressions sexuelles ou à leurs menaces. Ces événements traumatisants se traduisent par des signes cliniques. Premièrement, des symptômes envahissants : troubles répétitifs, cauchemars, flash-back… qui réactivent la souffrance. Deuxièmement, pour échapper à ces images, les victimes mettent en place des stratégies d’évitement : être en permanence occupé, se saisir de tout ce qui peut faire penser à autre chose, esquiver les discussions qui pourraient réactiver les émotions… Les jeunes déclarent que c’est lorsqu’ils sont seuls, le soir ou la nuit, que les scènes traumatiques leur reviennent en mémoire. Troisième caractéristique : l’hypervigilance. Ils restent dans l’insécurité et se maintiennent en état d’alerte, avec une angoisse omniprésente. Il est attendu que ces différents éléments altèrent le fonctionnement social, cognitif et émotionnel de la personne.

Néanmoins, ces troubles masqués sont-ils pris en charge ?

C’est tout le problème. Le décalage entre les profils psychologique et adaptatif des mineurs non accompagnés est déroutant. Il produit un désajustement dans la perception et l’identification de leurs souffrances par les professionnels. Et, par là même, la nécessité de les orienter vers un psychologue. Ainsi, seuls 16,2 % des jeunes sont repérés comme porteurs de signes cliniques d’un stress post-traumatique, alors que 69,1 % ont été exposés, selon leurs éducateurs, à des événements traumatiques. Cet écart impressionnant entre ce qui est su par les travailleurs sociaux à partir de l’histoire du jeune, observé par eux dans le quotidien et vécu par le jeune dans son intimité peut faire passer à côté d’une prise en charge.

Faut-il être plus attentif au paradoxe de l’accueil que vous soulignez ?

Certainement, et je souhaitais alerter sur la vulnérabilité de ce public, ses besoins, et le malentendu dans la représentation que l’on en a. Ils s’adaptent si bien que l’on peut penser qu’ils vont bien, alors qu’ils s’ajustent aussi au paradoxe de l’accueil. Ils sont, à la fois, résilients et porteurs de « trauma », de dépression, d’envie de mourir. Ce constat est très important. Que deviennent-ils après leur majorité, lorsqu’ils ne relèvent plus des structures d’accueil provisoire ? On ne sait pas encore. Soit le processus de résilience va persévérer, soit les difficultés qu’ils vont rencontrer liées à l’insécurité des régularisations administratives et à la précarité vont inverser la tendance et faire que les troubles qu’ils ont intériorisés jusque-là s’externaliseront. Une des clés pour les aider serait de mieux former les professionnels au dépistage de cette détresse psychologique spécifique et d’harmoniser les politiques d’accueil entre les services de l’Etat – notamment les préfectures – et ceux de la protection de l’enfance. A titre d’exemple, en Savoie, tous les mineurs non accompagnés sont autorisés au séjour dès leurs 18 ans. Cette pratique devrait être la règle.

Propos recueillis par Brigitte Bègue

Repères

Maître de conférences associé à l’université Savoie-Mont-Blanc, Sydney Gaultier est psychologue clinicien dans le champ de la protection de l’enfance. Réalisée avec Abdessalem Yahyaoui, sa dernière recherche au sein du laboratoire interuniversitaire de psychologie porte sur les « Caractéristiques psychogiques et psychopathologiques des mineurs non accompagnés » et sera publiée en 2018.

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