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« Le concept d’autorité n’est plus vraiment en vogue aujourd’hui »

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L’autorité des parents passe désormais par le dialogue et la négociation avec leurs enfants. Ces nouveaux idéaux ont transformé l’éducation. Pour autant, le sens des règles reste primordial, estime Julie Pinsolle, chercheuse en sciences de l’éducation.
Les enfants d’aujourd’hui sont-ils moins bien éduqués que ceux d’hier ?

Tout dépend de ce que l’on entend par « bien éduqué ». La définition de l’enfant idéal a énormément évolué au fil du temps. Il y a quelques décennies, un enfant « bien élevé » était un enfant obéissant. Aujourd’hui, c’est plutôt un enfant épanoui, qui obéit peut-être un petit peu moins bien au doigt et à l’œil. Actuellement, l’enfant a un statut inédit : sa place a changé, son éducation aussi. Il est désiré, ce qui n’était pas forcément le cas avant, et s’inscrit dans un univers d’attentes et de projections des parents, chez qui il s’est transformé en un objet d’épanouissement. Par ailleurs, les théories psychanalytiques se sont immiscées dans les familles, avec, notamment, Françoise Dolto et l’émergence de l’enfant comme sujet, avec lequel il faut parler. Ces évolutions se sont doublées d’une société plus égalitaire, plus démocratique, où chaque décision doit être justifiée. Désormais, le dialogue est à la base de l’éducation.

Vous écrivez dans votre livre que l’idéologie du déclin en matière d’éducation a toujours existé, mais que ce qui a changé, c’est le malaise éducatif… Que voulez-vous dire ?

Les parents actuels se posent beaucoup plus de questions que les générations précédentes. On a le sentiment qu’ils ne savent plus comment faire. Ils sont entourés de tout un tas de conseils – ne pas être trop autoritaire, ni trop laxiste – au milieu desquels ils sont parfois perdus. Parallèlement, on les culpabilise en les rendant seuls responsables de l’éducation de leurs enfants. De fait, la dimension collective de l’éducation qui pouvait exister auparavant a disparu. Dans les transports en commun, les adultes n’osent pas réagir aujourd’hui quand un enfant est trop turbulent car ce n’est pas le leur. Un de mes collègues a demandé à un petit garçon de ramasser le papier qu’il avait jeté dans la rue devant lui et de le mettre à la poubelle, la mère lui a rétorqué violemment que c’était à elle de gérer son fils. Certains parents n’hésitent pas non plus à venir voir les enseignants pour leur dire que leur enfant ne fera pas sa punition. L’enfant est devenu l’enfant du privé, pour le bonheur de ses parents mais aussi pour leur malheur car, en cas de problèmes, on considère que c’est uniquement de leur faute, pas de celle de la société.

Comment, de nos jours, se définit l’autorité ?

Le concept d’« autorité » n’est plus vraiment en vogue aujourd’hui ou, en tout cas, il fait peur, car il est connoté très négativement. Ce que l’on retrouve maintenant dans les familles, c’est l’autorité négociée. Autrement dit, on est plutôt sur l’autorité de l’argument que sur l’argument de l’autorité. Il faut justifier le bien-fondé d’une décision. Le souci est que la négociation peut finir par prendre le dessus. Chez certains enfants, le fait de négocier prime même sur ce qu’ils remettent en cause. Ce qui pose une question : où s’arrête la négociation ? L’autorité didactique pourrait fonctionner de façon plus simple. Lorsque j’étais surveillante de collège, la politesse était souvent en option chez les élèves. Avant de répondre à leurs requêtes, avec mes collègues, nous leur demandions d’être respectueux. Mais la fois suivante, c’était pareil. Finalement, nous avons pris la décision de leur dire : « Je ne comprends pas ta question » à chaque fois qu’ils nous interpellaient de manière incorrecte. A force, ils ont compris et ont précédé leurs demandes d’un « bonjour », ce qui est le minimum. L’autorité est ce qui fait la médiation, le passage entre les anciennes et les nouvelles générations. C’est aussi ce qui permet de donner du sens au monde et d’y trouver sa place. Il y a des règles incontournables : les enfants ne peuvent pas être dans le « tout plaisir ».

Justement, on a l’impression parfois que les enfants ne supportent pas la frustration…

Je ne sais pas si ce sont les enfants ou les parents qui ont davantage de difficultés avec la frustration. Un des impacts de la vulgarisation de la théorie psychanalytique est que, selon ce que vous faites, vous pourriez créer chez vos enfants des traumatismes potentiellement destructeurs. C’est un peu paralysant sur le plan éducatif. Les parents osent moins interdire qu’avant. Ils sont animés par de nouveaux idéaux : le dialogue, l’autonomie et la confiance. On est passé d’un extrême à l’autre, d’un fonctionnement hyperautoritaire, où l’enfant n’avait pas son mot à dire, à un fonctionnement du tout dialogué, négocié, expliqué. Il faudrait réussir à mettre le curseur au milieu. L’enfant est devenu un individu comme les autres. Alors qu’il est en pleine construction, on a l’impression qu’il peut tout comprendre comme un grand, qu’il voit le monde de la même façon. C’est tout juste si on ne lui demande pas d’être capable de fixer ses propres règles, de s’autoréguler. C’est un mythe, même les adultes ont du mal à le faire.

Avant, être parent semblait aller de soi. Est-ce devenu désormais un « métier » ?

L’idée prédominante est, effectivement, que cela s’apprend. En témoignent tous les livres, les émissions de télé, les spécialistes qui donnent des conseils sur le sujet. Mais c’est délicat car, derrière cela, il peut y avoir une normativité, une idéologie de ce que l’on estime être une bonne éducation. Il est intéressant de réfléchir et que les parents aient un retour des professionnels sur ce qu’ils font, mais il faut toujours se demander qui définit les règles et qui juge que l’on est un bon parent ou non. Il n’y a pas d’éducation idéale. Or nous avons une profusion de recettes sans véritables repères éducatifs, ce qui contribue à créer encore plus de confusion chez les parents.

Dans votre livre, vous établissez trois types éducatifs…

Je les ai mis au point à partir de 23 entretiens avec des parents et d’un questionnaire diffusé dans les collèges favorisés et dans les ZEP [zones d’éducation prioritaires] de la région bordelaise. Il en ressort trois profils types de parents. Les « épicuriens perplexes », qui gèrent de façon aléatoire tout ce qui relève du plaisir de l’enfant (jeux vidéo, vêtements, nourriture, horaires…). Par exemple, un soir, l’enfant peut regarder la télé, un autre soir, non. En revanche, ils ne reviennent pas sur leurs décisions et restent très stricts sur ce qu’ils considèrent comme « à risques » pour leur enfant, à savoir la scolarité, les dangers physiques (utilisation d’une plaque de cuisson…), les conflits ouverts, etc. Ensuite, il y a les « cadres souples », qui ne négocient pas sur ce que l’on pourrait appeler la « culture jeune » (façon de s’habiller, jeux vidéo…), mais qui adaptent les règles en fonction des circonstances, y compris la scolarité et la santé. Enfin, il y a ceux que j’ai appelés les « contingents », qui sont beaucoup plus flexibles que les deux autres et cadrent de façon aléatoire une grande partie du quotidien. Le seul point sur lequel ils ne transigent pas est l’alimentation.

Ces différences varient-elles en fonction de la catégorie sociale des parents ?

C’était ma première hypothèse : je pensais trouver des comportements liés statistiquement à l’origine sociale des familles, mais cela ne s’est pas vérifié. Néanmoins, le groupe des « contingents » est celui qui présente la plus forte connotation sociale en étant lié à des familles de niveau plutôt modeste. En réalité, mon enquête révèle que le critère qui distingue significativement les trois types éducatifs est le sexe de l’enfant. Selon qu’ils ont une fille ou un garçon, les parents agissent différemment. Les filles auront plus de chances d’évoluer dans un milieu familial de type « épicuriens perplexes » ou « cadres souples », tandis que les garçons auront la possibilité d’être confrontés aux trois styles d’éducation.

Comment l’expliquez-vous ?

L’image de l’enfant a tellement bougé dans la société que les parents sont dans une sorte de crise de modèles. Du coup, ils se rattachent au plus ancien des repères, c’est-à-dire au rôle social attribué à chacun des sexes. Ils vont avoir notamment tendance à mieux cadrer les filles. Quand une fille est enfant unique, ses parents sont plutôt « épicuriens perplexes » ; quand elle a des frères et sœurs, ils rejoignent surtout le groupe des « cadres souples ». Mon hypothèse est que les parents ont davantage d’anxiété quand ils ont un premier enfant, donc ils sont assez cadrants. Forts de leur première expérience, ils se montrent un peu plus souples avec les autres enfants et ont aussi moins de temps. D’une manière générale, on ne peut pas dire que l’éducation de classes ait disparu, mais sur l’autorité, qui était mon sujet, il n’y a pas de distinction.

Propos recueillis par Brigitte Bègue

Repères

Docteure en sciences de l’éducation, Julie Pinsolle est enseignante à l’université de Bordeaux. Elle est l’auteure de Une question d’autorité ? Les pratiques d’éducation familiale (éd. PUF, 26 €). Ce livre a reçu le prix « Le Monde » de la recherche universitaire.

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