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De nouveaux « pro » à domicile

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Depuis près de dix ans, une entreprise sociale rouennaise, Ologi, forme des professionnels à un nouveau type d’intervention chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Un mode d’accompagnement psychosocial sur le long terme qui vise à stimuler les capacités cognitives des personnes et à soulager les aidants.

« A quoi ça vous fait penser ? » Elodie Freulon présente une carte à Marie-Claude Lainé. Les yeux rieurs de la septuagénaire se fixent sur le dessin, à la recherche d’une réponse. « C’est un tambourin, enchaîne la jeune femme. On va essayer de le retrouver sur la petite plaque. » Fleurs, métiers… Elodie Freulon varie les thématiques avant de proposer une autre activité. Il s’agit de compléter des débuts de mots évoquant des fruits. Brusquement, Marie-Claude s’interrompt pour demander l’autorisation d’aller aux toilettes. « Mais bien sûr, vous êtes chez vous, Marie-Claude », répond d’un air amusé la jeune femme. « C’est par là ? », demande timidement Marie-Claude en se levant… En présence de sa protégée, Elodie Freulon préfère parler de « petits problèmes » de mémoire. Conseillère en économie sociale et familiale, elle a d’abord travaillé dans la prévention des expulsions locatives avant de changer de voie au printemps dernier.

Un nouveau mode de suivi à domicile

Aujourd’hui, la jeune femme accompagne à domicile des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et est devenue une « Alzami », terme qui désigne les professionnels formés à la méthode d’intervention élaborée par Ologi(1), une entreprise sociale créée à Rouen en 2008. Nous sommes alors à la veille du plan « Alzheimer » 2008-2012, qui prône le renforcement du maintien à domicile des malades et leur soutien via l’intervention de nouveaux professionnels spécifiquement formés aux soins d’accompagnement et de réhabilitation. « Au moment du démarrage d’Ologi, la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie] a soutenu notre démarche parce que celle-ci était tout à fait complémentaire des dispositifs qui allaient être lancés dans le cadre du plan “Alzheimer”, notamment par rapport au rôle des équipes spécialisées Alzheimer », souligne Olivier Lanos, le cofondateur d’Ologi. Issu d’une famille de médecins et de psychologues, ce quadragénaire est profondément marqué par l’impact de la maladie sur un de ses proches. Il profite d’une rencontre avec Magali Audes, psychologue spécialisée en neuropsychologie, pour mettre au point un nouveau mode d’accompagnement psychosocial à domicile des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer qui permette d’apporter dans le même temps un soutien aux aidants familiaux. Des malades et leurs proches le plus souvent démunis lorsqu’il s’agit d’affronter les difficultés cognitives et comportementales qui surgissent au quotidien… « A part les auxiliaires de vie pour les soins de tous les jours, rien d’autre n’était proposé à la personne malade et sa famille à domicile. Il n’y avait aucun professionnel pour stimuler la mémoire, le langage et l’attention des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et fournir des conseils à des aidants parfois dépassés et épuisés », explique Magali Audes.

Aujourd’hui, une dizaine de professionnels interviennent une ou deux fois par semaine auprès de quelque 80 personnes touchées par Alzheimer ou une maladie apparentée, ainsi que de leurs aidants. Educateurs spécialisés, assistantes sociales, psychologues ou conseillers en économie sociale et familiale, tous ont suivi une formation d’une dizaine de jours à ce nouveau mode d’intervention. « Ça peut paraître un peu court, confie Elodie Freulon, mais d’autres journées de formation sont prévues sur différents thèmes et je continue à apprendre à travers les groupes d’échange de pratiques organisés tous les mois. »

Connaître l’histoire des personnes

Au-delà de la compréhension théorique de la maladie, la formation organisée en interne a pour but d’aider les professionnels à repérer les troubles cognitifs et comportementaux des personnes à travers des études de cas pratiques et à mettre en place les outils adaptés à chaque situation. L’observation et la prise en compte de l’histoire des personnes et de l’écosystème – familial, social et médical – dans lequel elles évoluent doivent permettre à l’Alzami de développer un accompagnement au plus près des centres d’intérêts et des capacités de chaque malade. Au niveau cognitif, par exemple, il est essentiel de détecter les capacités existantes qu’il faut stimuler et celles qu’il vaut mieux ne pas solliciter pour ne pas mettre la personne en échec. Dans le salon, une télévision ronronne. Elodie Freulon demande au mari de Marie-Claude la permission de mettre un peu de musique. Classique, jazz, chanson française, mais aussi livres et voyages, la jeune femme connaît bien les goûts de Marie-Claude. Elle feuillette le classeur qui l’accompagne dans toutes ses interventions. Une boîte à outils dans laquelle elle sélectionne les activités qu’elle juge les plus pertinentes en fonction des personnes et des circonstances. « On a arrêté les anagrammes, qui étaient trop compliquées, ou encore les exercices qui consistent à trouver l’intrus dans une liste de mots, note Elodie Freulon. En revanche, Marie-Claude aime beaucoup faire des jeux comme le Scrabble et des activités axées sur la lecture. »

Cette connaissance de l’histoire et de l’environnement de la personne malade se révèle tout aussi précieuse pour prévenir ou atténuer les troubles du comportement qui apparaissent au fil du temps. D’autant, soulignent certains intervenants d’Ologi, que ces troubles se manifestent rarement durant les deux heures passées avec les personnes. Ce sont les informations recueillies auprès du conjoint, d’un enfant ou encore d’un auxiliaire de vie qui vont alerter les professionnels sur des situations très perturbantes pour la personne malade ou son entourage.

Ancienne Alzami, aujourd’hui chargée de développement chez Ologi, Sophie Dupas se souvient de la femme d’un ex-dirigeant d’entreprise atteint de la maladie d’Alzheimer accourue au-devant d’elle pour lui raconter l’agressivité soudaine et inquiétante de son mari lors d’un dîner de famille. « En discutant avec elle, j’ai appris que le fils avait annoncé au cours du repas qu’il avait entièrement changé le site Internet et le logo de l’entreprise fondée par le papa. Ce dernier n’a pas su exprimer ce qu’il ressentait et s’est mis en colère. J’ai donc repris les choses avec les membres de la famille pour les aider à aborder différemment ces questions par la suite. »

Intégrer l’aidant à la démarche

Les intervenants formés à cette nouvelle méthode se définissent volontiers comme des « traducteurs » chargés de reconstruire un lien entre le malade et les proches qui ne comprennent plus ses réactions. Il s’agit, par exemple, de sensibiliser la famille aux angoisses que ressent la personne lorsque la nuit tombe, et de l’inciter à mettre en place des rituels apaisants : une musique douce, une lumière tamisée, une tisane… Parfois, il faut travailler également avec les aidants familiaux pour les amener à accepter un trouble du comportement qui fait du bien à la personne, les rassurer le cas échéant lorsque surviennent des hallucinations ou des épisodes délirants. « Nous avons accompagné une femme qui avait beaucoup de mal à accepter le fait que sa mère puisse discuter avec une poupée comme s’il s’agissait d’une personne réelle, poursuit Magali Audes. Nous lui avons expliqué que c’était juste une compagnie qui la tranquillisait, une sorte d’objet transitionnel. » Au contact des personnes souffrant de cette maladie, les équipes d’Ologi ont réalisé par ailleurs que nombre d’entre elles étaient désocialisées : elles n’allaient plus au musée, ni à la bibliothèque, ni faire leurs courses… L’approche cognitive et comportementale s’est donc enrichie dans un deuxième temps d’un accompagnement destiné à stimuler les capacités des personnes par le biais d’une ouverture vers l’extérieur.

Mais cet accompagnement global et personnalisé de la personne ne peut se faire sans intégrer pleinement l’aidant à la démarche, martèlent les professionnels. Une approche qui, pourtant, ne va pas toujours de soi… Il faut ainsi souvent faire face au déni de certaines familles confrontées à une maladie qui fait peur, et travailler avec elles pour qu’elles acceptent cette réalité et adaptent leur façon d’être afin de ne pas mettre leur proche en difficulté, voire en danger. « Quand on évoque la maladie d’Alzheimer, on entend souvent des choses comme : “il ne va plus nous reconnaître”, “il va devenir méchant”, ou encore : “il va falloir l’enfermer”. Et combattre ces représentations qu’ont les familles de la maladie est un travail de longue haleine », reconnaît Magali Audes.

La première rencontre avec la famille est déterminante. Les équipes d’Ologi tentent de cerner les attentes des proches et expliquent en quoi consiste leur travail. Il est indispensable de clarifier au préalable le cadre de leur intervention. L’Alzami n’est pas là pour faire la toilette de la personne, aller faire ses courses ou lui donner un traitement, rappellent alors les professionnels. Ni pour donner de faux espoirs. « Certaines familles attendent de nous que l’on redonne de la mémoire à leur proche. Il faut donc bien préciser dès le départ ce que l’on va faire et quelles sont les limites existantes », explique Magali Audes. Il s’agit aussi de détecter à temps les difficultés d’aidants familiaux qui ont tendance à se mettre en retrait par rapport à la personne malade et à ne pas vouloir prêter attention à leur propre souffrance et à leur fatigue.

Assis dans le canapé, Michel Lainé parle avec fierté des tomates ou des melons provenant de la parcelle du jardin ouvrier qu’il cultive à quelques pas de la maison. Il parle aussi du plaisir que procure ce jardin à sa femme lorsqu’elle n’est pas trop fatiguée pour l’accompagner. Et s’il évoque en plaisantant les restrictions et autres petits tracas liés à son diabète, cet homme affable ne laisse rien paraître de l’épuisement qui le gagne parfois. Un danger qui n’a pas échappé aux intervenants d’Ologi. Rapidement, ils ont proposé au couple de mettre en place un accueil de jour dans un établissement proche de leur maison. Aujourd’hui, Marie-Claude s’y rend deux fois par semaine et semble apprécier cette coupure qui lui permet de rencontrer d’autres personnes et de s’adonner à d’autres activités dans un nouvel environnement. Deux journées qui permettent aussi à son mari de souffler un peu et de ne pas perdre pied dans une vie commune qui devenait compliquée.

Une approche holistique au long cours

Une des spécificités du nouveau mode d’intervention développé par Olivier Lanos et Magali Audes tient à la possibilité d’accompagner au long cours les personnes malades et de proposer des aménagements adaptés aux évolutions de leur état. « Le travail de l’Alzami s’inscrit dans une logique de complémentarité par rapport à des professionnels comme l’assistant de soins en gérontologie, par exemple, dans la mesure où il est dans une approche holistique et sur du long terme. Cela lui permet d’inscrire le projet d’accompagnement dans une dynamique au fil du temps », assure Olivier Lanos. Si l’objectif de ces nouveaux intervenants est d’aider les personnes atteintes à rester chez elles le plus longtemps possible, il faut néanmoins savoir s’articuler avec l’ensemble des acteurs concernés pour mettre en place des solutions alternatives ou prévoir la fin de l’accompagnement à domicile le moment venu. Le travail de l’équipe consiste notamment à alerter un médecin ou les équipes d’un centre local d’information et de coordination (CLIC) lorsque l’aidant n’en peut plus, à accompagner les changements qui risquent de bouleverser son quotidien avec les interventions à domicile d’une auxiliaire de vie, d’une infirmière ou d’un ergothérapeute et à préparer, lorsque c’est nécessaire, l’entrée de la personne malade dans un établissement. « Nous arrivons malheureusement parfois un peu tardivement sur des situations où la famille est épuisée et où l’entrée en EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] est catastrophique parce qu’elle se fait dans l’urgence, regrette Magali Audes. La personne malade est alors dans le refus et les aidants culpabilisent. On essaie donc de les accompagner en amont pour leur montrer qu’il peut y avoir des étapes et leur faire visiter un accueil de jour dans un établissement. »

La spécificité de ce nouvel accompagnement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et l’adéquation de la démarche avec les recommandations du troisième plan « Alzheimer » ont permis aux équipes d’Ologi de bénéficier du soutien de l’agence régionale de santé de Normandie et du département, grâce à la signature d’une convention visant à légitimer l’intervention de l’Alzami dans le parcours de santé du couple malade-aidant et à réaliser une première étude d’impact. Une reconnaissance qui permet en outre aux familles de bénéficier d’une prise en charge(2) dans le cadre de l’allocation personnalisée d’autonomie. Pour cette approche développée au sein de l’entreprise sociale rouennaise, l’avenir passe désormais par un développement national. « Nous sommes en train de créer un pack de formation pour permettre aux service d’aide à domicile intéressés de créer en interne ce type d’accompagnement », note Sophie Dupas. A Saint-Etienne-du-Rouvray, dans le pavillon des époux Lainé, l’intervention d’Elodie Freulon touche à sa fin. Marie Claude lit à voix haute une lettre qu’elle a écrite avec un de ses fils. Elle y raconte les moments les plus marquants de sa vie, ses bons résultats à l’école, son mariage, ses voyages… Elodie Freulon la relance fréquemment, lui pose des questions sur cette histoire, la sienne, qui revient par petites bribes sur le papier. Et repense à sa propre grand-mère, atteinte elle aussi de la maladie d’Alzheimer. « J’ai connu ce que pouvaient être les difficultés de l’aidant, son épuisement, et aujourd’hui je suis passée de l’autre côté », sourit la jeune femme.

Des premiers résultats encourageants

L’étude d’impact réalisée dans le cadre de la convention passée avec l’agence régionale de santé de Normandie et le département de Seine-Maritime a permis de réaliser une première évaluation des accompagnements psychosociaux menés par les Alzami. Elle semble montrer une baisse de 88 % des réactions d’agressivité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, ainsi qu’une diminution de l’apathie pour neuf personnes sur dix. En outre, plus d’une fois sur deux, les méthodes développées par les professionnels d’Ologi permettraient de trouver une solution aux troubles du comportement perturbateur. Tous les aidants interrogés dans le cadre de cette même étude affirment, quant à eux, avoir une meilleure compréhension de la maladie et de ses troubles cognitifs grâce à l’intervention de l’Alzami, et 77 % d’entre eux disent trouver auprès de ces professionnels des réponses leur permettant de mieux appréhender les symptômes de leur proche. L’Alzami semble également être un relais important pour orienter les aidants dans leurs démarches. Ils seraient ainsi 75 % à solliciter les professionnels d’Ologi pour trouver des aides complémentaires. Au-delà de cette première évaluation, une étude scientifique menée avec l’appui d’un gérontopôle est d’ores et déjà prévue pour affiner ces résultats, assure le fondateur d’Ologi.

Notes

(1) Ologi : 12, rue de la Tour-de-Beurre – 76000 Rouen – Tél. 02 76 30 64 84 – contact@ologi.fr.

(2) Le coût de l’intervention d’un Alzami s’élève à 33 € de l’heure.

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