Le dispositif de l’accueil familial de personnes âgées et d’adultes handicapés se caractérise d’abord par la modestie de son envergure : environ 10 000 accueillants agréés par les conseils départementaux(1) et 15 000 personnes accueillies(2). La répartition moyenne est presque égale entre personnes âgées (46 %) et personnes handicapées (54 %)(3). Ces 10 000 accueillants familiaux, dont 90 % sont des femmes, sont peu face aux 50 000 assistants familiaux qui reçoivent à leur domicile un enfant dans le cadre de la protection de l’enfance.
Le dispositif se distingue aussi par une grande disparité de la capacité d’accueil d’un territoire à l’autre : dix départements totalisent 33 % des accueillants agréés, avec un écart allant de quelques foyers à plusieurs centaines. Cela tient à l’histoire des territoires et à la nature même de l’accueil familial – qui s’établit « de gré à gré » entre particuliers et repose sur un contrat de droit privé. Les départements, chargés de délivrer l’agrément, de vérifier la conformité du contrat avec la loi et d’assurer le suivi médico-social des personnes accueillies, n’ont pas de pouvoir décisionnel sur l’ensemble des points du dispositif et sont donc limités pour le réguler.
La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 est venue définir le métier d’accueillant familial, mettant ainsi un nom sur une pratique préexistante depuis plusieurs siècles ; elle a instauré un contrat type et a précisé les conditions d’agrément. Mais de nombreux points, restés en suspens, ont donné lieu au développement de moult formes d’organisation. Chaque département a suivi sa propre approche du dispositif, gérant directement sa mission d’agrément, de formation et de contrôle, ou la confiant par délégation à des associations ; et a imprimé sa marque dans le contenu même de ces différentes actions. Ainsi, d’un territoire à l’autre, les exigences ne sont pas les mêmes, qu’il s’agisse des conditions de logement ou de la durée des formations initiale et continue. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (« ASV ») du 28 décembre 2015 peut être abordée comme une volonté d’homogénéisation de l’accueil familial, dans un objectif d’amélioration et de développement (voir page 27). Les décrets d’application du 19 décembre 2016 et du 14 avril 2017 sont venus encadrer de façon très détaillée la procédure d’agrément et réglementer la formation des accueillants familiaux. Jean-François Baudelin, chef de service de l’évaluation médico-sociale « allocation personnalisée d’autonomie » (APA) et « accueil familial » à la direction générale adjointe de la solidarité et de la prévention au conseil départemental de Dordogne (228 familles d’accueil), a été sollicité, avec des responsables d’autres départements, pour travailler avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) sur la rédaction de ces décrets d’application. Il confie que l’intention était « de mettre en place des documents de travail qui ne seraient pas des usines à gaz ».
Les départements semblent percevoir la loi « ASV » comme un appui pour faire évoluer l’accueil familial : « C’est un vrai plus, qui ouvre la voie à une professionnalisation », estime Isabelle Lagarde, vice-présidente chargée des solidarités pour les personnes âgées et handicapées au conseil départemental de la Charente (221 familles d’accueil). Les associations d’accueillants familiaux, elles, livrent un avis plus mitigé. « Les intentions de cette loi, visant à protéger les personnes fragiles et à élargir le choix entre l’entrée en établissement et le maintien à domicile, sont excellentes. Cependant, ses textes d’application sont encore approximatifs et incomplets. Par conséquent, nous déplorons des malentendus et des confusions, préjudiciables au développement de l’accueil familial », estime Etienne Frommelt, secrétaire général de l’association Famidac, dont le réseau d’accueillants familiaux est le plus important de France. Il note notamment des difficultés dans l’organisation de la formation pour les départements « qui n’ont parfois qu’une ou deux nouvelles personnes agréées par an ». Makis Passiketopoulos, président de l’association 3DAF (Découvrir, développer, défendre l’accueil familial pour personnes âgées et adultes handicapés), qui compte une cinquantaine d’adhérents, principalement en Isère, estime qu’« il a manqué, au moment de la rédaction de la loi, des vrais défenseurs de l’accueillant familial chez les responsables politiques ». Il pointe l’« absence de sécurisation de l’emploi » – l’accueillant ne peut toujours pas bénéficier de l’allocation chômage –, la persistance du contrat de gré à gré et la non-mise en place d’« un vrai contrat de travail ».
Par ailleurs, la loi « ASV » ne règle pas l’épineux problème des congés des accueillants familiaux, qui semble cristalliser les tensions de ces derniers avec les départements. Le contrat d’accueil prévoit que c’est à l’accueillant de s’organiser : un exercice complexe au vu des contraintes de sa fonction. Néanmoins, certains départements, ou les associations ayant reçu délégation, facilitent ces remplacements. « Nous organisons les congés des accueillants qui le souhaitent », témoigne Fabienne Balhadère, cheffe du service Prefass (« placement recherche de familles d’accueil et suivi social ») de l’Association départementale des parents et amis de personnes handicapées mentales de Charente-Maritime (Adapei 17), qui a reçu délégation du département et gère quelque 380 accueillants familiaux. « Il faut être cohérent, insiste-t-elle. On ne peut pas leur demander de prendre du recul, de se ressourcer… et les laisser sans solution ! Donner la possibilité de prendre des congés, c’est aussi une façon de renforcer leur statut et de les considérer. »
En profitant de l’élan de la loi « ASV », plusieurs départements semblent vouloir donner plus de visibilité à l’accueil familial, portés par l’ambition de proposer un panel toujours plus large de modes d’accueil. Le Nord, l’un des territoires qui comptent le plus d’accueillants (531), a récemment repris en interne le suivi médico-social, auparavant délégué à des associations. « Nous voulions avoir une vision d’ensemble du dispositif et disposer d’un levier d’action pour développer à l’avenir des modes d’accueil plus souples, comme l’accueil quelques jours par semaine, à la demi-journée ou pendant les vacances, notamment pour tenir compte des attentes des aidants. Et c’est bien l’accueil familial qui peut répondre à ces situations ! », avance Geneviève Mannarino, vice-présidente du département chargée de l’autonomie. « Il s’agit pour nous d’apporter une réponse de proximité. Vieillir près de chez soi est souvent l’une des premières exigences des personnes », complète Sylviane Dris, responsable du service « accueil familial et habitat inclusif ». Le département a commencé par resserrer les liens avec les accueillants « en essayant de mettre en place des automatismes de collaboration » et a internalisé la formation initiale introduite par la loi « ASV ».
Dans l’Hérault (124 accueillants familiaux), le développement de l’accueil familial permettra de « garantir la liberté du choix de la famille, assure Patricia Weber, vice-présidente déléguée du conseil départemental aux solidarités à la personne. Le département s’engage à garantir un accueil sécurisé et bienveillant ». L’Hérault vient de revoir sa communication sur le dispositif, tant auprès des publics en recherche d’un mode d’accueil qu’auprès de potentiels accueillants. De son côté, la Dordogne a conçu un film(4) qui est régulièrement projeté dans les petites communes. Une vidéo qui « ne cache rien des aspects difficiles de la fonction d’accueillant, qui peut être ingrate, tout en valorisant cet engagement », souligne Jean-François Baudelin. Il pointe les malentendus qui entravent le développement du dispositif, « parfois diffusés par les professionnels du médico-social », qui estiment qu’« une personne âgée ne peut vieillir qu’en établissement » ou que « les accueillants ne seraient pas formés pour accompagner des personnes affectées par la maladie d’Alzheimer ».
Toujours dans la perspective de renforcer le dispositif, différentes expériences ont vu le jour, comme les maisons d’accueil familial (MAF) de la Vienne (183 accueillants), qui sont gérées par des communes et permettent de couvrir un besoin local avec des accueillants salariés. Quant au Gard (environ 120 accueillants familiaux), il annonce réfléchir à des projets d’accueil familial de jour adossé à un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), en partenariat avec des services d’aide à domicile.
Le département est le troisième partenaire d’une relation nouée entre deux particuliers, avec qui il peut travailler étroitement : l’accueillant (dont nombre d’anciens professionnels du médico-social en reconversion, ambulanciers, aides-soignants…) et la personne accueillie – sans oublier son représentant légal (41 % des personnes âgées sont sous mesure de protection, 82 % des personnes handicapées). « Nous avons l’habitude de faire des réunions de synthèse », souligne Sylviane Dris. « Nous assurons le suivi d’un contrat que nous n’avons pas nous-mêmes cadré. Pour instaurer un climat de partenariat, nous essayons d’être présent lors de sa signature », complète Lucie Leroy, cheffe du service d’accompagnement à domicile du département de la Charente. Par ailleurs, « l’accueillant et l’accueilli se choisissent sans notre intervention. Il y a tous les cas de figure, avec des degrés d’autonomie variables et des organisations de vie tout aussi diverses ; des personnes travaillent en journée en ESAT ou, au contraire, passent toute leur journée chez l’accueillant », expose Sylviane Dris. Un autre paramètre a, lui aussi, des conséquences sur le suivi médico-social : « L’accueil en famille est plus souvent le choix de celle-ci que celui de la personne concernée, souligne Dominique Blachon, responsable au pôle « accueil familial » du département de la Vienne. C’est une décision qui peut être prise tardivement, quand la personne ne peut vraiment plus rester chez elle. Elle arrive chez l’accueillant dans une situation de perte d’autonomie importante. L’adaptation se révèle alors délicate. » Même constat du côté de Lucie Leroy : « On peut avoir assez d’informations pour savoir que l’accueil familial n’est pas la bonne solution pour une personne, mais on devra accepter cette décision, qui est souvent celle de la famille, et en assurer le suivi. » Une fois l’agrément délivré, le département n’a pas de pouvoir décisionnaire, « sauf en cas de maltraitance », souligne Guylaine Halgand, du bureau d’évaluation médico-sociale du département de la Sarthe (193 accueillants familiaux). En 2013, les retraits d’agrément ont concerné 0,5 % des accueillants agréés. Le département est placé dans un positionnement complexe, qui peut parfois relever du numéro d’équilibriste.
Pour assurer leur mission de suivi médico-social, les services départementaux expliquent adopter une position de conseil. « Nous pouvons orienter un accueillant ayant besoin d’un soutien vers les ressources du département, par exemple un adulte handicapé vers un centre médico-psychologique [CMP], détaille Guylaine Halgand. Même si nous n’avons pas la possibilité de nous opposer à un accueil, nous discutons avec l’accueillant de ses projets, de l’intégration d’une personne supplémentaire ». Comme les effets de la loi « ASV » ne peuvent pas encore se faire ressentir, les outils mis en place pour les accueillants diffèrent d’un département à l’autre. Certains, volontaristes, proposent un référentiel de bonnes pratiques, soutiennent l’émergence de groupes de parole pour les accueillants, ou l’organisation d’activités et de loisirs pour les accueillis. Fabienne Balhadère, de l’Adapei 17, qui suit une soixantaine d’accueillants familiaux pour le département de Charente-Maritime, explique : « Nous cherchons en permanence la mise en adéquation entre le projet de l’accueillant familial et le projet de l’accueilli. » Dans cette recherche, le facteur humain pèse de tout son poids : « Quand une personne nous fait part d’un malaise ou de sa volonté de mettre un terme au contrat, il faut savoir évaluer finement la situation. Quel est le problème exact ? Est-ce davantage qu’une période de mal-être ? Nous devons prendre en compte la loyauté de la personne accueillie envers son accueillant. Elle peut se sentir très honorée qu’une famille lui ait ouvert sa maison… et ne pas tout dire. De l’autre côté, nous savons que l’arrêt d’un contrat peut mettre l’accueillant dans une situation financière délicate. Aucune décision n’est prise à la légère. »
A la volonté d’inscrire plus visiblement l’accueil familial dans une politique générale des personnes âgées et des adultes handicapés semble s’ajouter celle de faire évoluer le rôle des travailleurs sociaux chargés du suivi médico-social. « Désormais, on souhaite se présenter comme des évaluateurs, pas comme des contrôleurs ; et, en même temps, porter auprès des accueillants un nouveau discours, dire “nous sommes entre professionnels” », éclaire Dominique Blachon, qui a réorganisé son service en ce sens. Deux personnes (une assistante sociale et une éducatrice spécialisée) sont affectées exclusivement à l’accueil familial – auparavant, elles s’occupaient aussi de l’APA. « Le rôle des travailleurs sociaux est d’accompagner l’accueillant dans sa compréhension du grand âge et du handicap. Les formations dispensées ne peuvent suffire et les accueillants n’ont pas les connaissances des personnels d’établissement », précise Fabienne Balhadère. Pour assurer cet accompagnement, la cheffe de service peut compter sur une équipe pluridisciplinaire – assistante sociale, éducatrice spécialisée, conseiller en économie sociale et familiale [CESF]… – et sur l’intervention d’une psychologue et d’un médecin psychiatre pour aider à l’analyse des situations les plus complexes. Cette situation n’est pas générale : l’association Famidac déplore le manque de moyens humains du service d’accueil familial de certains départements.
Autre élément très variable d’un département à l’autre : la périodicité des visites (programmées ou à l’improviste) des travailleurs sociaux. Anne Elisabeth Delaunay, accueillante familiale depuis 2014 dans la Sarthe, voit un travailleur social tous les trois mois environ. Cela lui semble être « un bon rythme, qui permet à la fois d’anticiper et de traiter des points concrets ». Elle reçoit aussi une visite improvisée par an, qu’elle « accepte sans difficulté ». « Si l’on ajoute les échanges fréquents avec les tuteurs et les visites des professionnels de santé, je peux dire que je suis entourée », évalue-t-elle. Les visites portent sur des questions très diverses : l’hygiène, l’organisation et surtout la relation, « avec un important travail de médiation sur les attentes et les limites de chacun », souligne Lucie Leroy. « L’accueil familial, c’est avant tout une rencontre humaine, une histoire d’alchimie, qui peut engendrer des liens très forts. Nous sommes souvent témoins de très belles histoires », conclut Fabienne Balhadère.
La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (« ASV ») a fixé un cadre général à l’accueil familial, a précisé divers points en suspens et est venue homogénéiser un dispositif jusqu’alors très variable d’un département à l’autre, dans un objectif d’amélioration et de développement. Dans son prolongement, le décret n° 2016-1785 du 19 décembre 2016 a apporté des informations sur la procédure d’agrément (délivré pour 5 ans) avec la production d’un référentiel très développé, ainsi que sur le contrat entre la personne accueillie et l’accueillant. Désormais, tout refus d’agrément ou de renouvellement d’agrément doit être motivé, de même que toute décision d’agrément ne correspondant pas à la demande. Le décret n° 2017-552 du 14 avril 2017 est venu, lui, réglementer la formation des accueillants familiaux. Il institue notamment le principe d’une formation (minimum 12 heures) obligatoire avant le premier accueil. Au total, la formation initiale représente 54 heures, complétée par une formation continue de 12 heures par période de 5 ans. Par ailleurs, le décret introduit l’obligation d’une initiation aux gestes de premiers secours, organisée par le conseil départemental. Néanmoins, les acteurs de l’accueil familial attendent toujours, deux ans après la loi, les décrets qui fixeront le contenu du dossier de la demande d’agrément (la liste des pièces à fournir) et la trame du projet d’accueil personnalisé (PAP) de la personne accueillie. Le PAP vient remplacer le « projet de vie » qui s’établit normalement avec la personne accueillie, son représentant légal et l’ensemble des personnes qui la prennent en charge. Enfin, une actualisation du Guide de l’accueil familial pour les personnes âgées et les personnes handicapées(1) est attendue. Ce document sans valeur réglementaire a été publié en janvier 2013 par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Plus généralement, l’accueil familial des personnes âgées et des personnes handicapées est codifié dans le code de l’action sociale et des familles.
(1) Les chiffres cités sont tirés de l’enquête de l’Institut de formation, de recherche et d’évaluation des pratiques médico-sociales (IFREP) publiée en 2015. Elle s’appuie sur des données départementales de 2013-2014.
(2) Chaque accueillant peut héberger en même temps trois personnes au maximum, sauf dérogation pour l’intégration d’un couple.
(3) Pour se faire une idée, on peut rapporter ces chiffres à ceux de la dépendance : 1,4 million de personnes âgées dépendantes et 557 644 lits en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), selon les Tableaux de l’économie française – Ed. INSEE, 2017 –
(4) Portraits de familles. L’accueil familial en Périgord vert – Réalisé par Laura Leeson et produit par le conseil départemental de Dordogne.
(1) En ligne sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.