Déchirure de l’exil

« Je suis plusieurs hommes dans un seul corps », lance le protagoniste de Shoba, itinéraire d’un réfugié. Plusieurs hommes, plusieurs noms et plusieurs vies… C’est une incroyable odyssée que retrace dans ce livre Anthonythasan Jesuthasan, alias Shoba – et plus connu sous le nom de Dheepan, le héros du film de Jacques Audiard récompensé en 2015 au Festival de Cannes(1). L’histoire d’un jeune Tamoul né dans un village du Sri Lanka en 1967 et dont la vie va être brusquement emportée par une guerre civile qui va déchirer le pays durant trente ans. Face à la terrible répression dont sont victimes des milliers de Tamouls de la part de l’armée cingalaise, Shoba décide de rejoindre le mouvement de libération des Tigres tamouls, avant de comprendre que la brutalité et l’horreur sont dans les deux camps. Commence alors le temps de l’exil, seul moyen d’échapper aux anciens camarades de combat comme aux militaires sri-lankais. Fuite en bateau vers Colombo, avant de rejoindre Hong Kong ; retour au pays natal, où il est arrêté et torturé ; nouvelle fuite vers la Thaïlande, où il est sévèrement blessé au cours d’une bataille entre gangs… L’histoire de Shoba décrit les conditions misérables de la vie d’un réfugié et les nombreuses violences auxquelles il doit faire face pour survivre. Celle d’un homme qui tente malgré tout de se construire dans cet exil, au gré des rencontres amoureuses, des amitiés et des hasards heureux. Car il faut aussi pouvoir compter sur la chance pour s’en sortir, pour que celui qui se décrivait alors comme « une épave » rencontre, au détour d’une rue de Bangkok, l’ancien ami qui lui permettra de rejoindre la France et de croiser ensuite celui qui l’amènera jusqu’aux marches du Festival de Cannes. Ce témoignage passionnant montre surtout de manière très concrète les conséquences des conflits qui naissent de l’intolérance et divisent des communautés, avant de jeter sur les routes de l’exil des millions de personnes. Vingt ans après être arrivé en France, l’ex-guérillero devenu écrivain et acteur se considère toujours comme un réfugié. « Tous les migrants connaissent ce sentiment, déchirés entre deux cultures, envahis par nos souvenirs », explique-t-il. Ce livre a été aussi écrit pour eux.