Passera, passera pas ? Un amendement remettant en cause le versement d’un « pécule » d’allocation de rentrée scolaire (ARS) aux jeunes sortant d’une mesure de placement devait être examiné en séance publique au Sénat à la fin de cette semaine, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018. A l’heure où nous écrivions, l’issue des débats n’était pas encore connue, mais le sujet faisait déjà polémique.
Ce « pécule » a été instauré par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, puis mis en œuvre par une série de textes réglementaires(1). L’ARS est versée sur un compte bloqué géré par la Caisse des dépôts et consignations afin que l’enfant, une fois devenu majeur ou émancipé, puisse disposer des sommes accumulées. Pour mémoire, l’ARS est habituellement versée à la famille, sous conditions de ressources. A la rentrée 2017, son montant variait entre 364,09 € et 397,49 €, suivant l’âge de l’enfant. L’amendement dont il est question, déposé par Elisabeth Doineau (UDI, Mayenne), a été adopté par la commission des affaires sociales du Sénat le 8 novembre – un vote de principe, car le PLFSS ne peut être modifié qu’en séance publique. Il vise à ce que l’ARS soit versée non pas à l’enfant mais « au service ou à l’établissement auquel [ce dernier] est confié ». Il introduit également cette précision : « Le juge peut décider de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer. »
Dans l’exposé des motifs de l’amendement, Elisabeth Doineau signale que lors des débats sur la loi de 2016, le Sénat s’était déjà « prononcé pour le versement de [l’ARS] au service qui a la charge de l’enfant ». Interrogée par le quotidien La Croix(2), elle a défendu ainsi son amendement : « Le pécule était une très belle idée, mais les enfants placés pâtissent du non-versement de [l’ARS] pendant leur scolarité. […] Parfois, ce sont les assistants familiaux qui prennent sur leurs propres deniers de quoi financer les fournitures des enfants. »
Durant la réunion de la commission des affaires sociales, Laurence Rossignol (PS, Oise), qui était ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes au moment de l’adoption de la loi de 2016, s’est opposée à l’amendement : « Les enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance [ASE] en sortent […] sans un centime pour faire face aux difficultés de la vie. Parmi les jeunes sans domicile fixe, 40 % viennent de l’ASE. » Elle a averti : « Vous allez provoquer l’indignation des associations ! »
De fait, les réactions ne se sont pas fait attendre. Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), dans un communiqué, a demandé aux parlementaires de rejeter l’amendement. « Malgré la complexité et les limites [du « pécule » dans sa version actuelle] et la nécessité impérieuse d’aller au-delà, et de développer une politique ambitieuse d’aide aux jeunes majeurs, cette expression de la solidarité nationale à l’égard de ceux qui en ont le plus besoin doit être maintenue », plaide l’instance. « Ce soutien financier et moral est un symbole fort de la mobilisation pour ces jeunes très vulnérables et de la lutte contre leur précarisation », souligne-t-il.
Lyes Louffok, ancien enfant placé et et membre du CNPE, a lancé une pétition en ligne contre l’amendement, qui avait réuni près de 8 500 signatures mercredi(3). « Jusqu’à la rentrée scolaire 2016, fait étrange, l’ARS était versée à nos familles d’origine qui, la plupart du temps, ne nous en faisaient pas profiter. Je n’ai, pour ma part, aucun souvenir que mes parents m’aient acheté un stylo ou un cahier », témoigne-t-il dans ce texte.
(1) Voir ASH n° 2970-2971 du 22-07-16, p. 49, n° 2980 du 21-10-16, p. 35, n° 2986 du 2-12-16, p. 35 et n° 2998 du 17-02-17, p. 35.
(2) La Croix du 13 novembre 2017.
(3) Lien abrégé : frama.link/PetitionPecule