Le droit des étrangers continue à alimenter l’activité des juridictions françaises, et notamment administratives. En 2016, le contentieux des étrangers représentait 30 % des affaires entrantes devant les tribunaux administratifs et pas moins de 45 % devant les cours administratives d’appel. Au Conseil d’Etat, sur 9 620 pourvois formés, près de 1 700 avaient trait au contentieux de l’immigration et de l’asile(1).
Alors que l’adoption des lois portant réforme de l’asile en 2015(2) et du droit des étrangers en 2016(3) crée déjà de nouveaux contentieux, nous avons choisi de donner un coup de projecteur sur plusieurs décisions rendues par le Conseil d’Etat dans des domaines aussi variés que l’hébergement des déboutés de l’asile, l’accueil des mineurs isolés étrangers, la délivrance d’autorisations de travail aux jeunes étrangers pris en charge par les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance ou encore la délicate question du placement en rétention administrative de familles avec enfants.
La convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole de New York du 31 janvier 1967 définissent comme réfugiée toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
Selon une jurisprudence désormais bien établie du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 27 juillet 2012, n° 349824)(1), un groupe social est constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions.
Ainsi, en fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social et demander le bénéfice du statut de réfugié pour ce motif.
Dans une telle hypothèse, il convient d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elles ont la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur elles la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe.
Les ressortissants de plusieurs pays sont particulièrement concernés. Il s’agit, notamment, du Bangladesh, de Haïti, du Cameroun ou encore de la République démocratique du Congo.
Dans quatre décisions rendues le 8 février 2017, la Haute Juridiction administrative est venue préciser les conditions d’octroi du statut de réfugié du fait de l’orientation sexuelle du demandeur (Conseil d’Etat, 8 février 2017, n° 395821, n° 396695, n° 397745 et n° 379378).
Ces décisions nous apprennent ainsi que l’octroi du statut de réfugié pour un tel motif ne peut être subordonné « à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne ». En effet, un groupe social n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête, mais parle regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. De la même manière, le Conseil d’Etat rejette l’idée que le demandeur d’asile soit obligé, pour éviter le risque de persécution dans son pays d’origine, de dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l’expression de son orientation sexuelle.
Par ailleurs, le fait que l’orientation sexuelle en question ne fasse l’objet d’aucune disposition pénale répressive spécifique dans le pays d’origine est « sans incidence » sur l’appréciation de la réalité des persécutions à raison de cette appartenance. Celle-ci peut, « en l’absence de toute disposition pénale spécifique, reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles ».
La Cour nationale du droit d’asile (CNDA), lorsqu’elle est saisie d’un tel cas, doit former sa conviction sur les points en litige « au vu des éléments versés au dossier par les parties et, tout spécialement, du récit personnel du demandeur d’asile ». En revanche, elle ne peut pas exiger de ce dernier qu’il apporte la preuve des faits qu’il avance et, en particulier, de son orientation sexuelle, mais elle peut écarter des allégations qu’elle jugerait insuffisamment étayées et rejeter, pour ce motif, le recours dont elle est saisie.
L’une des affaires dont le Conseil d’Etat avait à connaître (n° 395821) concernait un ressortissant bangladais craignant d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle.
La CNDA avait refusé de lui octroyer le statut de réfugié en se fondant sur le fait que ni les pièces du dossier ni les déclarations de l’intéressé ne permettaient de prouver les faits allégués et les craintes évoquées.
Pour le Conseil d’Etat, en se fondant sur le caractère faiblement circonstancié du récit personnel du demandeur et les contradictions dont il est empreint, la cour, « qui n’a pas exigé qu’il établisse la réalité de son orientation sexuelle », a pu considérer que les persécutions que l’intéressé craignait ne justifiaient pas l’octroi de la qualité de réfugié.
En revanche, dans une autre affaire (n° 396695), qui concernait un jeune homme de nationalité ivoirienne, la cour avait relevé que l’orientation sexuelle de l’intéressé était établie mais s’était fondée, pour rejeter sa demande, sur la circonstance que ni les pièces du dossier ni les déclarations du demandeur ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués et les craintes évoquées.
Pour le Conseil d’Etat, dès lors qu’elle considérait pour établie l’orientation sexuelle du jeune homme, la CNDA aurait dû se livrer à une appréciation de la réalité des persécutions auxquelles il soutenait être exposé au regard de la situation des personnes homosexuelles en Côte d’Ivoire et rechercher si elles y constituent un groupe social.
(A noter) Pour la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’existence d’une législation pénale qui vise spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater qu’elles constituent un groupe à part qui est perçu par la société environnante comme étant différent. Elle estime, en revanche, que la seule pénalisation des actes homosexuels ne constitue pas, en tant que telle, un acte de persécution. Pour constituer un acte de persécution, la sanction prévue par les textes doit être « disproportionnée ou discriminatoire » (CJUE, 7 novembre 2013, aff. C-199/12 à C-201/12). Par ailleurs, la Cour s’oppose à ce que les autorités nationales procèdent à des interrogatoires détaillés sur les pratiques sexuelles d’un demandeur d’asile (CJUE, 2 décembre 2014, aff. C-148/13 à C-150/13).
Dans une décision du 8 juin 2016, le Conseil d’Etat a précisé la teneur de l’information que doit recevoir une personne qui présente sa demande d’asile à la frontière (Conseil d’Etat, 8 juin 2016, n° 386558).
Cette obligation d’information découle du droit de l’Union européenne(1). Le demandeur d’asile doit ainsi être informé, « dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend », de la procédure à suivre et de ses droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de ses obligations ou le refus de coopérer avec les autorités.
Ces dispositions ont été transposées en droit français aux articles L. 221-1 et R. 213-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Sur le fondement de ces deux articles, la Haute Juridiction estime que « l’étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d’asile doit être informé du déroulement de la procédure dont il fait l’objet et des moyens dont il dispose pour satisfaire à son obligation de justifier du bien-fondé de sa demande ».
Le Conseil d’Etat a précisé le 8 juin 2016 que ces dispositions impliquent notamment que l’étranger soit informé de la possibilité de communiquer avec un représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Dans cette affaire, un ressortissant sri-lankais avait vu sa demande d’asile, qu’il avait présentée lors de son arrivée à l’aéroport de Roissy, rejetée. Soutenant qu’il n’avait pas été informé de la possibilité de communiquer avec un représentant du HCR, il avait obtenu gain de cause auprès du Conseil d’Etat.
Les départements sont tenus, en vertu de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles (CASF), de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE), parmi lesquels les mineurs étrangers isolés, dès lors que le juge judiciaire a ordonné une mesure de protection.
Face à l’afflux massif de jeunes migrants ces dernières années, certains départements se sont trouvés dans l’impossibilité de satisfaire l’ensemble des demandes de protection. Dans quatre décisions rendues le 27 juillet 2016, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les conséquences des carences des départements en la matière (Conseil d’Etat, 27 juillet 2016, n° 400055, n° 400056, n° 400057 et n° 400058)(2).
En l’espèce, les mineurs, sans famille connue et dépourvus de toute ressource, avaient été confiés à l’ASE du département du Nord par un jugement en assistance éducative du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Lille. Face à l’inaction du département, le juge des référés du tribunal administratif de Lille lui avait enjoint de leur proposer une solution d’hébergement, incluant le logement et la prise en charge de leurs besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de 3 jours, sous astreinte. Il avait prononcé la même injonction à l’encontre du préfet du Nord, en cas de carence du département à l’issue d’un délai de 17 jours.
Saisi en appel par le département, le Conseil d’Etat a jugé qu’une obligation particulière pèse sur les départements « lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger ». A ce titre, une carence dans l’accomplissement de cette mission qui entraînerait des conséquences graves pour le mineur, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale en ce qu’elle pourrait l’exposer à un traitement inhumain ou dégradant, estime la Haute Juridiction administrative.
Mais l’Etat ou le maire, en ce qu’ils sont titulaires du pouvoir de police générale, peuvent-ils être contraints d’intervenir si un département ne remplit pas ses obligations ? Pour le Conseil d’Etat, le titulaire du pouvoir de police générale est effectivement garant du respect de la dignité humaine. Il doit donc veiller à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.
Le Conseil d’Etat considère toutefois que la compétence de l’Etat et du maire ne dispense pas le département de ses obligations. Un juge des référés ne pourrait donc prononcer une injonction à l’égard de l’Etat que dans l’hypothèse où « les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d’action du département ».
En l’occurrence, le Conseil d’Etat a constaté que face à la carence du département, ces mineurs avaient trouvé refuge dans le jardin des Olieux, à Lille, dans lequel un campement s’est progressivement installé depuis l’été 2015 et où vivent plusieurs dizaines de mineurs isolés, sous des tentes mises à leur disposition par une association, sans accès à l’eau potable. Pour justifier son inaction, le département se prévalait de la saturation de son dispositif d’accueil, 775 mineurs lui ayant été confiés par décision judiciaire.
La Haute Juridiction administrative considère néanmoins que l’abstention du département du Nord à prendre en compte les besoins élémentaires de ces mineurs en ce qui concerne l’hébergement, l’alimentation, l’accès à l’eau potable et à l’hygiène, malgré leur placement à l’ASE et les injonctions du juge des référés du tribunal administratif de Lille, fait apparaître une « carence caractérisée », de nature à les exposer à des traitements inhumains ou dégradants et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à leur liberté fondamentale.
S’il reconnaît que le département a consenti des « efforts importants » pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers, en nombre croissant, le Conseil d’Etat considère qu’aucun élément du dossier ne fait apparaître qu’aucune solution ne pourrait être trouvée pour mettre à l’abri ces mineurs et assurer leurs besoins quotidiens dans l’attente d’une prise en charge plus durable. Les requêtes du département ont donc été rejetées.
La délivrance d’une autorisation de travail est de droit pour les étrangers autorisés à séjourner en France pour la conclusion d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée (code du travail, art. L. 5221-2). Par ailleurs, il résulte de l’article L. 311-3 du Ceseda que les étrangers âgés de 16 à 18 ans qui déclarent vouloir exercer une activité professionnelle peuvent recevoir, sous conditions et également de plein droit, un titre de séjour.
Aucune disposition ne régit, en revanche, la situation des mineurs isolés étrangers placés auprès des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance sollicitant une autorisation de travail dans le cadre d’une formation en apprentissage. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’éclaircir cette question dans un arrêt du 15 février dernier (Conseil d’Etat, 15 février 2017, n° 407355).
Dans les faits, un jeune Malien âgé de 17 ans avait été confié aux services de l’ASE du département de la Haute-Garonne jusqu’à sa majorité. Il avait déposé un dossier de pré-inscription auprès du centre de formation des apprentis (CFA) de Blagnac en vue de réaliser une formation de cuisinier dans le cadre d’un certificat d’aptitude professionnelle. La signature d’un contrat d’apprentissage avec une société lui avait permis de faire valider temporairement son inscription auprès du CFA, dans l’attente de son autorisation de travail, indispensable pour qu’il puisse occuper effectivement son poste. Cette autorisation lui avait toutefois été refusée, l’administration soutenant que la délivrance d’une telle autorisation était subordonnée à la délivrance d’un titre de séjour. Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse avait toutefois enjoint à l’administration de lui délivrer cette autorisation de travail.
Saisi en appel, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé que la privation pour un enfant, notamment s’il souffre d’isolement sur le territoire français, de toute possibilité de bénéficier d’une scolarisation ou d’une formation scolaire ou professionnelle adaptée est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le préambule de la Constitution de 1946 consacre en effet le principe de l’égal accès à l’instruction.
Il a ensuite indiqué que les mineurs étrangers âgés de 16 à 18 ans confiés au service de l’aide sociale à l’enfance doivent être regardés comme autorisés à séjourner en France lorsqu’ils sollicitent, pour la conclusion d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée, une autorisation de travail. Il a par ailleurs précisé que « cette autorisation doit leur être délivrée de plein droit ».
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la France, par cinq arrêts, le 12 juillet 2016, pour avoir placé en rétention administrative des enfants en bas âge avec leurs parents en situation irrégulière, dans l’attente de leur expulsion (CEDH, 12 juillet 2016, n° 11593/12, n° 24587/12, n° 76491/14, n° 68264/14 et n° 33201/11)(1).
Cette condamnation n’est pas inédite puisque la France a déjà été épinglée par la Cour en 2012 pour le même motif (CEDH, 19 janvier 2012, Popov, n° 39472/07 et n° 39474/07)(2). Cette première condamnation n’avait été que peu suivie d’effets, alors même que François Hollande, candidat à l’élection présidentielle la même année, avait fait de la fin du placement en rétention des enfants une promesse de campagne. Promesse à l’évidence non tenue puisque, en 2016, 4 467 enfants ont été placés en rétention, dont la très grande majorité à Mayotte. En métropole, ce chiffre s’est élevé à 182 (contre 105 en 2015)(3). Néanmoins, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France prévoit désormais les cas de placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur (voir encadré page 46).
En l’espèce, la Cour était saisie à la suite du placement en rétention administrative d’enfants âgés de 4 mois à 4 ans. Les requérants se prévalaient de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants, de l’article 5, qui prohibe la détention arbitraire, et de l’article 8 relatif au droit au respect de la vie familiale.
La CEDH rappelle que l’appréciation du seuil de gravité au-delà duquel un traitement humain et dégradant est caractérisé dépend « de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime ».
Traditionnellement, la Cour apprécie la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme en cas de placement en rétention d’enfants à la lumière de trois critères :
→ le bas âge des enfants ;
→ la durée de leur rétention ;
→ le caractère inadapté des locaux.
Dans ces affaires, les familles avaient été placées aux centres de rétention de Toulouse-Cornebarrieu et Metz-Queuleu. S’agissant du premier centre, la Cour a relevé qu’il est situé en bordure immédiate des pistes de l’aéroport de Toulouse qui génèrent de fortes nuisances sonores. Les occupants du second centre sont, quant à eux, soumis à des appels diffusés toute la journée par haut-parleurs au volume sonore élevé.
La Cour européenne des droits de l’Homme a ensuite indiqué que de telles conditions, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, « ne sont pas suffisantes, dans le cas d’un enfermement de brève durée et dans les circonstances de l’espèce, pour atteindre le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 ». En revanche, au-delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles « ont nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant le seuil de gravité ».
Dans ces affaires, elle a jugé qu’un placement en rétention d’une durée de 7 à 18 jours était excessif. La violation de l’article 3 a donc été reconnue.
Selon la CEDH, lorsqu’un enfant est présent, la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour pouvoir mettre en œuvre l’expulsion de la famille.
Dans le fameux arrêt dit « Popov » rendu en 2012(4), la Cour avait conclu à la violation de l’article 5 paragraphe 1 après avoir notamment constaté que les autorités n’avaient pas recherché si le placement en rétention administrative était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer.
La Cour a précisé, en 2016, que la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 paragraphe 1 qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre.
Dans trois affaires (n° 33201/11, n° 11593/12 et n° 68264/14), la Cour a conclu à la violation de l’article 5 paragraphe 1 dans la mesure où le préfet n’avait pas recherché, au regard de la présence de l’enfant, si une mesure moins coercitive était possible. En revanche, dans deux autres affaires (n° 24587/12 et n° 76491/14), elle a conclu à la non-violation, le préfet ayant justifié le placement en rétention en raison, notamment, de condamnations pénales dont ont pu faire l’objet les parents pour des faits graves.
La CEDH considère, comme dans l’arrêt « Popov », que le fait d’enfermer les requérants dans un centre de rétention les soumettant à une privation de liberté et aux contraintes inhérentes à ce type d’établissement s’analyse comme une ingérencedans l’exercice effectif de leur vie familiale.
Une telle ingérence enfreint l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, sauf si elle poursuit un but légitime et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour atteindre ce but.
S’agissant du but poursuivi, la Cour estime que le placement en rétention s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et du contrôle de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire. Cette action peut se rattacher, selon elle, à des objectifs tant de protection de la sécurité nationale, de la défense de l’ordre, du bien-être économique du pays que de prévention des infractions pénales. La mesure de placement en rétention poursuit donc un but légitime.
S’agissant de la proportionnalité de la mesure au regard du but poursuivi, la Cour précise que lorsqu’il s’agit de familles, les autorités doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour sa part, elle apprécie cette proportionnalité au regard de trois éléments, définis dans l’arrêt « Popov » :
→ un risque de fuite nécessitant la détention ;
→ l’absence d’alternative à la rétention ;
→ la mise en œuvre par les autorités de toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps de l’enfermement.
Ainsi, par exemple, dans les affaires dont la Cour a eu à connaître en juillet 2016, le fait que les parents aient refusé d’embarquer dans l’avion qui devait les éloigner vers la Russie ne suffit pas à caractériser la réalité du risque de fuite et l’impossibilité de trouver une solution alternative à la rétention (n° 68264/14).
En revanche, compte tenu de l’interdiction judiciaire du territoire français dont une personne fait l’objet et des faits graves qu’elle a commis nécessitant la préservation de l’ordre public, le juge national peut considérer que ni l’assignation à résidence, ni un placement sous surveillance électronique ne permettraient d’empêcher le risque de fuite (n° 76491/14).
Dans trois arrêts du 21 avril 2017 (n° 405164, n° 406065 et n° 404934), le Conseil d’Etat a précisé la portée de la procédure instituée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile qui autorise le préfet à saisir le juge des référés pour obtenir l’autorisation d’expulser les demandeurs d’asile déboutés de leurs lieux d’hébergement (Ceseda, art. L. 744-5)(1).
Se posait notamment la question de savoir si les dispositions de l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution (CPCE) qui interdit les mesures d’expulsion entre le 1er novembre et le 31 mars de l’année suivante (que l’on appelle communément la « trêve hivernale ») sont applicables aux expulsions des déboutés de l’asile.
Dans une information du 6 mai 2016(2), le ministre de l’Intérieur avait précisé que les intéressés ne peuvent se prévaloir des garanties accordées par la loi aux occupants faisant l’objet d’une procédure d’expulsion régie par le CPCE, et notamment le bénéfice de la trêve hivernale. Le ministre demandait toutefois aux préfets d’être « particulièrement attentifs » à ce qu’une solution transitoire d’hébergement puisse être proposée, concomitamment à l’expulsion, en raison des conditions climatiques parfois rigoureuses pendant cette période.
Le Conseil d’Etat a pour sa part adopté une position plus stricte. Il a en effet indiqué que ces dispositions du code des procédures civiles d’exécution ne sont pas applicables, « en l’absence de disposition législative expresse », à la procédure d’expulsion des personnes se maintenant dans un lieu d’hébergement pour demandeurs d’asile organisée par l’article L. 744-5 du Ceseda (Conseil d’Etat, 21 avril 2017, n° 405164 et n° 405165).
La Haute Juridiction administrative a toutefois tempéré cette position dans un troisième arrêt rendu le même jour (n° 406065). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a rejeté la requête en référé du préfet au motif qu’elle était dépourvue d’urgence du fait de la situation de vulnérabilité de l’intéressée. En l’occurrence, la personne qui faisait l’objet de la mesure d’expulsion, mère d’un enfant de 1 an, était atteinte d’une affection tuberculeuse et devait subir une intervention chirurgicale à bref délai.
A l’inverse, dans les deux autres affaires du même jour, la circonstance que les intéressés soient parents d’enfants âgés de 2 et 10 ans n’était pas de nature à remettre en cause l’urgence et l’utilité de la mesure d’expulsion « eu égard aux besoins d’accueil des demandeurs d’asile et au nombre de places disponibles dans les lieux d’hébergement ».
Le Conseil d’Etat a précisé, dans quatre arrêts du 13 juillet 2016, que les étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire n’ont pas vocation à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence, sauf circonstances exceptionnelles(Conseil d’Etat, 13 juillet 2016, n° 400074, n° 399836, n° 399834 et n° 399829)(1).
Ces affaires concernaient des personnes dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée, entraînant de ce fait la fin de leur prise en charge et de leur hébergement par l’Etat au titre du dispositif national des demandeurs d’asile. Elles avaient alors sollicité, en vain, une prise en charge au titre de l’hébergement d’urgence, notamment par l’intermédiaire du « 115 ». Un juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait enjoint à l’Etat, dans une affaire (n° 400074), et à trois départements, dans les autres affaires (n° 399829, n° 399835 et n° 399836), de leur attribuer le bénéfice d’un hébergement d’urgence approprié.
Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat n’a pas suivi le même raisonnement.
La Haute Juridiction administrative a, tout d’abord, indiqué qu’il appartient aux autorités de l’Etat, sur le fondement des articles L. 345-2, L. 345-2-2, L. 345-2-3 et L. 121-7 du CASF, « de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ». Elle a ensuite précisé qu’une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission peut faire apparaître une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale « lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ».
Dans une telle hypothèse, il incombe au juge des référés d’apprécier « dans chaque cas les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée ».
Le Conseil d’Etat a toutefois nuancé ce principe s’agissant des étrangers en situation irrégulière.
Ainsi, les ressortissants étrangers qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire « n’ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence, une carence constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l’issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu’en cas de circonstances exceptionnelles ».
Une circonstance exceptionnelle peut être caractérisée lorsque, « notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l’aide sociale à l’enfance, l’existence d’un risque grave pour la santé ou la sécurité d’enfants mineurs, dont l’intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant ».
En l’espèce, le Conseil d’Etat ne va reconnaître de telles circonstances que dans une seule affaire où les requérants se trouvaient à la rue avec leurs enfants de 1 et 3 ans (n° 399829).
S’agissant des obligations d’un département en la matière, le Conseil d’Etat a reconnu que la compétence de l’Etat « n’exclut pas l’intervention du département par la voie d’aides financières destinées à permettre temporairement l’hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l’exigent », sur le fondement de l’article L. 222-3 du CASF.
Il a toutefois précisé que « de telles prestations ne sont pas d’une nature différente de celles que l’Etat pourrait fournir en cas de saturation des structures d’hébergement d’urgence ; que les besoins des enfants ne sauraient faire l’objet d’une appréciation différente selon la collectivité amenée à prendre en charge, dans l’urgence, l’hébergement de la famille ». Il en résulte que, dès lors que ne sont en cause ni des mineurs relevant d’une prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, ni des femmes enceintes ou des mères isolées avec leurs enfants de moins de 3 ans, « l’intervention du département ne revêt qu’un caractère supplétif, dans l’hypothèse où l’Etat n’aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d’une procédure d’urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l’autorité principalement compétente, les diligences qui s’avéreraient nécessaires ».
Orientation sexuelle.
L’octroi du statut de réfugié à raison de l’orientation sexuelle du demandeur n’est subordonné ni à la manifestation publique de cette orientation, ni à sa pénalisation. Saisi dans une telle hypothèse, le juge de l’asile doit se prononcer, tout spécialement, au vu du récit personnel de l’intéressé. En revanche, il ne peut pas exiger qu’il apporte la preuve de son homosexualité.
Accueil des mineurs non accompagnés.
Une obligation particulière pèse sur les départements lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger. L’Etat ne peut être enjoint à agir que si les mesures de sauvegarde à prendre excèdent les capacités d’action du département.
Trêve hivernale.
Les personnes déboutées de l’asile faisant l’objet d’une mesure d’expulsion de leur lieu d’hébergement ne peuvent pas bénéficier du dispositif de la « trêve hivernale ». En revanche, la situation de vulnérabilité de la personne peut faire échec à la procédure d’expulsion en urgence déclenchée par le préfet.
Hébergement d’urgence.
Les étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire n’ont pas vocation à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence, sauf circonstances exceptionnelles. En présence de telles circonstances, la compétence de l’Etat n’exclut pas l’intervention du département par la voie d’aides financières. Cette compétence ne revêt toutefois qu’un caractère supplétif.
Depuis la loi du 7 mars 2016, l’article L. 551-1 du Ceseda (entré en vigueur le 1er novembre 2016) prévoit que le placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur n’est possible que dans trois hypothèses :
• s’il n’a pas respecté une mesure d’assignation à résidence ;
• si, à l’occasion de la mise en œuvre de la mesure d’éloignement, il a pris la fuite ou opposé un refus ;
• si, en considération de l’intérêt du mineur, le placement en rétention de l’étranger dans les 48 heures précédant le départ programmé préserve l’intéressé et le mineur qui l’accompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert.
Ce même article précise que, en cas de rétention, sa durée est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l’organisation du départ. Dans tous les cas, le placement en rétention n’est possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à l’accueil des familles. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale pour la mise en œuvre de la mesure.
(1) Rapport d’activité des juridictions administratives 2016 – Disponible sur
(2) Voir ASH n° 2934 du 20-11-15, p. 45, n° 2936 du 4-12-15, p. 49, n° 2937 du 11-12-15, p. 47 et n° 2938, p. 55.
(4) Toutes les décisions de justice citées dans ce dossier sont consultables sur
(5) Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.
(9) Rapport commun de l’Assfam, la Cimade, Forum réfugiés-Cosi, France terre d’asile, Solidarité Mayotte et l’Ordre de Malte France sur les centres et locaux de rétention administrative, disponible sur
(12) Information du 6 mai 2016, NOR : INTV1612115J.