Depuis deux ans, nous recevons des appels de parents dont les enfants sont victimes de la prostitution et qui ne voient pas leurs démarches aboutir. Ils se sentent totalement isolés et démunis. Leur témoignage n’est généralement pas pris au sérieux par les services de police et les différents interlocuteurs vers qui ils se sont tournés. Ils essuient régulièrement des remarques blessantes du type « Vous avez mal éduqué vos enfants » ou « Si votre fille se prostitue, on n’y peut rien ». Nous lançons ces groupes de parole afin que les parents puissent parler et être écoutés avec bienveillance, sans être jugés, et aussi pour qu’ils prennent conscience qu’ils ne sont pas les seuls.
Il n’y a pas de chiffres officiels, donc il est difficile de savoir. Les estimations fluctuent entre 5 000 et 8 000 en France, mais ce chiffre peut être en dessous de la réalité. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il paraît prendre de l’ampleur, notamment à cause du développement d’Internet. Il est très difficile à repérer, car, excepté pour les jeunes migrants, l’essentiel ne se passe pas dans la rue : il a lieu à l’abri des regards, dans un appartement, une chambre d’hôtel, des toilettes d’établissement scolaire… En novembre 2016, nous avions organisé un colloque à l’Assemblée nationale sur la prostitution des enfants pour alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de mettre en place des campagnes nationales de prévention et de former les travailleurs sociaux à cette question. De fait, c’est un sujet dont on ne parle pas ou peu et que l’on relègue dans la sphère familiale, intime. On pense aussi, à tort, qu’il ne concerne que les jeunes étrangers. Or, il touche également les mineurs français, quels que soient le milieu social et le niveau de revenu des parents.
A 85 %, ce sont des filles. L’âge à partir duquel elles commencent à se prostituer est en moyenne de 14 ans. Dans la prostitution occasionnelle, cela peut commencer à 12 ans, au collège, par des fellations tarifées pour des camarades de classe. Ces pratiques sont souvent influencées par leurs groupes de pairs avec l’idée sous-jacente que « tout le monde le fait ». Il y a aussi le michetonnage, sorte de préprostitution dans laquelle les filles entretiennent des rapports romantico-sexuels avec des hommes dans le seul but d’obtenir des faveurs financières et matérielles. Les adolescentes peuvent aussi se retrouver sous l’emprise d’un certain type de proxénète, le « loverboy ». D’abord attentionné, il peut, par exemple, les menacer de diffuser des photos ou vidéos intimes, exploiter leurs addictions aux drogues pour les obliger à avoir des relations sexuelles avec ses amis. Enfin, il y a le proxénétisme classique. L’initiation peut se faire par l’intermédiaire d’une copine, prostituée elle-même. Puis l’intermédiation passe souvent par les sites Internet comme Vivastreet et les réseaux sociaux.
Le décrochage scolaire en est un. Un mineur qui était plutôt bon élève et qui commence à avoir de mauvaises notes ou à sécher les cours, cela doit mettre la puce à l’oreille. Un changement brutal de comportement, un usage intensif du téléphone portable et des réseaux sociaux, des objets ou des cadeaux de provenance inexpliquée ou inconnue, des relations amoureuses avec des personnes plus âgées, une lingerie de rechange dans un sac, une hypersexualisation, une consommation importante d’alcool, une addiction aux drogues, des fugues… sont des signaux d’alerte. Le problème est que, pris isolément, certains de ces signes sont caractéristiques de l’adolescence. Il est donc difficile de penser à la prostitution sans y être sensibilisé. Les parents tombent des nues quand ils découvrent que leur enfant se prostitue, d’où l’importance de ne plus fermer les yeux et d’accentuer la prévention.
(1) ACPE : 14, rue Mondétour, 75001 Paris. Tél. : 01 40 26 91 51. Les prochains groupes de parole auront lieu le 7 décembre à partir de 19 heures dans les locaux de l’association. Inscription :